* 9 décembre – Migrations : une âme française à l’œuvre

Le 25 novembre, un naufrage a coûté la vie à 27 personnes qui tentaient de rejoindre le Royaume-Uni par la Manche. Ces décès s’ajoutent à longue liste des personnes mortes, portées disparues et gravement blessées à la frontière franco-britannique, mais aussi à celles franco-italienne et franco-espagnole. Le malheur des habitants les plus mal lotis du globe, ceux qui ont le ‘’tort’’ de chercher un avenir viable ailleurs ne sera jamais assez cruel, jamais assez douloureux, pour ceux d’entre nous qui gardent les yeux fermés à l’état calamiteux du monde et renient ce sentiment d’humanité, supposé inhérent au genre humain (?). Les citoyens du Nord sont incontestablement privilégiés par rapport aux acteurs de cet exode – très petitement absorbé par le France.

Certains ‘’Français de souche’’ (en fait, ça n’existe pas), eux-mêmes douloureux dans leur ressenti d’injustices et d’inégalités sont un peu perdus. Il leur faut alors chercher une consolation un peu morbide dans la déchéance de l’Autre… voire y rajouter une dose. Dans le traitement des personnes, la pratique administrative s’est dissociée du droit et elle vise à dissuader les arrivants de faire valoir leurs droits, puis à les rendre invisibles. Pour cela, on les chasse du moindre campement, on leur refuse les protections élémentaires, on renonce à pourvoir à leurs besoins essentiels comme ceux d’un accès aux soins, d’un hébergement, de l’hygiène. On les renvoie illégalement à travers les frontières, en les enfermant, en détruisant leurs affaires. Ces pratiques n’ont jamais apporté autre chose que des souffrances, la fracturation de nos sociétés, et l’affaiblissement de nos valeurs communes.

Pourtant, le franchissement des frontières est un droit par la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, le refoulement à ces mêmes frontières est prohibé par la Convention de Genève de 1951, l’accès extrêmement lent et truffé d’obstacles aux guichets de la demande d’asile ou de séjour constitue une discrimination contraire aux lois de la République. La mobilité forcée des sans-abri et leur renvoi en masse à la clandestinité, tout comme les violences policières, la double peine en cas d’incartade ou encore la protection négligente des mineurs sont constitutives de mauvais traitements et répréhensibles par la Loi. On pourrait allonger à l’infini la liste des enfreintes au droit qui laissent hélas indifférent.

C’est le fait des très irresponsables réseaux sociaux, du déni frileux des réalités, par ceux qui – ils le jurent – ‘’ ne font pas de politique’’ mais qui alimentent quand même les préjugés et la rage ainsi que, il faut bien le dire, de la parole populiste d’une grande partie du monde politique. Tous alimentent l’effacement de nos valeurs humaines au bénéfice des bas-fonds de la haine et de la violence. Haïr, c’est aussi une façon de se dire qu’on est encore vivant, peut-être supérieur à certains autres, tombés dans le bas du panier. C’est encore être victime d’un conditionnement général, en se persuadant que l’on vit à fond son identité en pulsant de tous ses instincts. Ca rassure !


En France, les institutions fonctionnent encore et, à l’occasion, certaines sont à même de réfléchir et d’élaborer une politique migratoire plus respectueuse des droits fondamentaux. Le Parlement a ainsi institué une Commission d’enquête – un niveau d’autorité élevé et peu usé, pour interpeler l’Exécutif – sur les migrations et l’asile. Ses propositions au Gouvernement, publiées fin-octobre, parlent d’elles-mêmes, exprimant une volonté de renouer avec l’esprit de justice et les valeurs des lumières. Voici les principales prescriptions consignées dans son rapport :

Prévoir des financements dédiés à la réinstallation des populations chassées par la guerre contre Daech

Ne pas pénaliser les populations qui voyagent par une réduction drastique de la délivrance des visas, ce qui renforce les filières clandestines

Cesser de focaliser sur la politique migratoire nos relations avec les pays de transit, ce qui leur confère un levier de pression sur nous

Revenir pleinement au droit commun pour la gestion de la frontière franco-italienne – accords de Schengen – et redéployer les forces de sécurité

Pour éviter de nouveaux drames, appliquer l’accord de La Valette sur la répartition : le sauvetage en mer ne vaut pas automatiquement responsabilité de l’Etat côtier au sens de Dublin

Accorder au Parlement un droit d’examen à l’occasion d’un débat annuel, notamment sur la capacité d’accueil de la France, les pays ‘’sûrs’’, la liste des métiers en tension… et un vote de loi de programmation par législature

ouvrir la possibilité de travailler aux demandeurs d’asile, dès le dépôt de leur demande

Poursuivre l’augmentation des places d’hébergement et les efforts pour une meilleure répartition géographique des demandeurs d’asile, afin de faciliter leur accueil

A Calais, mettre fin à la politique ‘’zéro point de fixation’’ et mettre en place de petites unités de vie le long du littoral ; Mettre en place une ‘’commission de suivi’’ intégrant migrants et intervenants locaux

Pour les familles avec enfants, prévoir systématiquement une alternative à la rétention, par des lieux d’accueil dédiés.


Merci à nos députés de ces propositions dignes et matures. Il faut faire le vœu qu’en 2022, leur parole de bon sens soit (un peu) entendue.

* 15 octobre – La France emmurée

Avec 0,5 % de nouveaux arrivants par rapport à sa population, certains pensent la France ‘’envahie’’ (surtout en période électorale). La principale composante de ce flux très modeste résulte des mariages franco-étrangers. Va-t-on empêcher nos compatriotes de convoler avec les personnes de leur choix ? La seconde source est aussi une obligation constitutionnelle : la réunification ou le regroupement familial. On devrait plutôt préférer les familles, structurantes, aux individus solitaires. Les études universitaires gratifient le pays de la venue de 90.000 étudiants : c’est peu pour une économie qui a des ambitions mondiales. L’asile comme la demande de séjour viennent après avec environ 80.000 demandes prises en compte. Les entreprises françaises sont bien heureuses de trouver parmi ces gens, souvent jeunes, des travailleurs à embaucher dans des secteurs en tension ou dans les high-techs pour combler les déficits de l’offre. Les naturalisations, le plus souvent comme suite des mariages réduisent d’autant l’effectif des étrangers-résidents. 36 % de étrangers installés régulièrement en bénéficient. C’est un plus pour la vitalité du pays et pour son économie.

En raisonnant en ‘’stock’’, la population de l’Hexagone comprend 6,8 millions d’immigrés pour 67,3 millions d’habitants, soit 10,2 % des résidents sur le territoire. Les politiques de restrictions à l’immigration, plutôt que de les intégrer, plus ou moins un demi-million de clandestins malgré eux. En supposant qu’ils ne circulent pas ailleurs dans l’espace Schengen (ce qu’ils font), le ‘’vivier’’ total des étrangers se montera entre 11 et 12 %. La moyenne s’agissant des pays de l’OCDE est de 13,6%. Dans ce total, le nombre d’expatriés ou de conjoints venant d’autres pays industrialisés est difficile à isoler mais il doit être substantiel. On allait oublier les retraités allemands, britanniques, belges ou néerlandais qui viennent dépenser dans ce pays béni des dieux les pensions qu’ils ont gagnées ailleurs : carrément de la philanthropie. Avec l’Italie et la Lettonie, la France est au bout du compte l’un des pays de l’OCDE les moins poreux à la pénétration étrangère. L’Allemagne (16,3% d’étrangers) a fait sept à huit fois mieux en 2015, la Belgique abrite 17,2 %, la Suède a accueilli près d’un quart de sa population en provenance de l’étranger, même la Pologne  s’ouvre libéralement à ses voisins de l’Est, en particulier les Biélorusses. Collectivement, l’Europe, représentant 6,6 % de la population mondiale, ne prend à sa charge que moins de 5% des déplacés et réfugiés victimes des maux planétaires. Elle dresse, par contre, des murailles ‘’protectrices’’ en sous-traitant à ces voisins des rives sud et orientale de la Méditerranée et au Niger le soin de bloquer les flux.

La France n’est pas cette terre d’immigration grande ouverte dont certains s’affolent, elle serait même assez malthusienne. Elle attire plus les élites que les malheureux, sauf peut-être dans la sphère francophone.  Alors, quelle raison de s’agiter depuis le donjon la forteresse ? Que veut-on faire dire aux statistiques de l’INSEE ? L’honnêteté voudrait qu’on ne quantifie que les arrivants qui s’installent pour de bon, la France constituant un carrefour de circulation au milieu de l’espace Schengen… et aussi qu’on n’attribue les termes de ‘’Français’’ ou ‘’résidents étrangers’’ selon le cas et la situation, à ceux qui ont fait souche et ne sont absolument plus des ‘’migrants’’. Le vice est politique et idéologique. Il réside là : dans un biais pervers d’enfermement des migrants historiques (qui donc ne le sont plus) dans cette polémique catégorie ‘’migrants’’. C’est un biais destructeur de la cohésion nationale, une sorte de pas initial vers l’apartheid social. Un quart des Français ont au moins un ascendant étranger. Tant mieux ! Pas bon à dire en période électorale ? Et après !

* 22 septembre – Les barrières se lèvent, les murs demeurent

L’interdiction de voyager aux États-Unis, en vigueur depuis mars 2020, va être levée le 1er novembre, pour les nationaux européens et chinois. Bonne nouvelle ! Liée à la pandémie de Covid-19, la fermeture des frontières avait été décidée par Donald Trump et n’aurait dû durer que trente jours. Il est vrai que le pays a été particulièrement éprouvé par la pandémie : plus de 600.000 décès à ce jour. Sa fermeture au monde extérieur aura duré vingt mois. Cela se compare au recroquevillement de la Chine à l’intérieur de ses frontières, toujours en vigueur. Pour les voyageurs arrivant aux États-Unis, bientôt plus de quarantaine mais la présentation d’une preuve qu’ils sont vaccinés, un test négatif, le traçage par les compagnies aériennes et le port du masque.

Les Européens réalisent-ils leur chance de vivre sur un continent où, moyennant quelques contrôles, la circulation est possible ? Les temps sont durs, mais quand même un peu moins pour certains.

Les habitants du Vieux monde sont davantage vaccinés que les Américains. Le maintien du « travel ban » leur restait en travers de la gorge, alors que l’Union européenne et le Royaume Uni accueillent librement les visiteurs d’Outre-Atlantique, moyennant les formalités sanitaires qui sont désormais d’usage. L’absence de réciprocité devenait difficile à justifier et l »interdiction de voyage était d’autant plus troublante que Washington pratiquait, par dérogation, un régime de libre-accès sans restriction en faveur certains États pourtant submergés par la crise sanitaire et pour certains investisseurs. Dans un second temps (quand ?) les frontières américaines devraient s’ouvrir à l’Inde et au Brésil.

En revanche la circulation des pauvres et des exilés n’est pas près de se libéraliser. Joe Biden annonce la dispersion et le refoulement de dizaines de milliers d’Haïtiens massés sous un pont, à la frontière du Texas. La France des jours de campagne électorale entonne à nouveau le  »fais-moi peur » du  »grand remplacement », même si les arrivées d’exilés et autre  »sans papier » fléchissent et leur nombre reste insignifiant : pas même 1 % de sa population. La circulation humaine sur la planète se rétablira bientôt, mais entre le Nord… et le Nord. Idem pour la sortie de Covid !