Le 25 novembre, un naufrage a coûté la vie à 27 personnes qui tentaient de rejoindre le Royaume-Uni par la Manche. Ces décès s’ajoutent à longue liste des personnes mortes, portées disparues et gravement blessées à la frontière franco-britannique, mais aussi à celles franco-italienne et franco-espagnole. Le malheur des habitants les plus mal lotis du globe, ceux qui ont le ‘’tort’’ de chercher un avenir viable ailleurs ne sera jamais assez cruel, jamais assez douloureux, pour ceux d’entre nous qui gardent les yeux fermés à l’état calamiteux du monde et renient ce sentiment d’humanité, supposé inhérent au genre humain (?). Les citoyens du Nord sont incontestablement privilégiés par rapport aux acteurs de cet exode – très petitement absorbé par le France.
Certains ‘’Français de souche’’ (en fait, ça n’existe pas), eux-mêmes douloureux dans leur ressenti d’injustices et d’inégalités sont un peu perdus. Il leur faut alors chercher une consolation un peu morbide dans la déchéance de l’Autre… voire y rajouter une dose. Dans le traitement des personnes, la pratique administrative s’est dissociée du droit et elle vise à dissuader les arrivants de faire valoir leurs droits, puis à les rendre invisibles. Pour cela, on les chasse du moindre campement, on leur refuse les protections élémentaires, on renonce à pourvoir à leurs besoins essentiels comme ceux d’un accès aux soins, d’un hébergement, de l’hygiène. On les renvoie illégalement à travers les frontières, en les enfermant, en détruisant leurs affaires. Ces pratiques n’ont jamais apporté autre chose que des souffrances, la fracturation de nos sociétés, et l’affaiblissement de nos valeurs communes.
Pourtant, le franchissement des frontières est un droit par la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, le refoulement à ces mêmes frontières est prohibé par la Convention de Genève de 1951, l’accès extrêmement lent et truffé d’obstacles aux guichets de la demande d’asile ou de séjour constitue une discrimination contraire aux lois de la République. La mobilité forcée des sans-abri et leur renvoi en masse à la clandestinité, tout comme les violences policières, la double peine en cas d’incartade ou encore la protection négligente des mineurs sont constitutives de mauvais traitements et répréhensibles par la Loi. On pourrait allonger à l’infini la liste des enfreintes au droit qui laissent hélas indifférent.
C’est le fait des très irresponsables réseaux sociaux, du déni frileux des réalités, par ceux qui – ils le jurent – ‘’ ne font pas de politique’’ mais qui alimentent quand même les préjugés et la rage ainsi que, il faut bien le dire, de la parole populiste d’une grande partie du monde politique. Tous alimentent l’effacement de nos valeurs humaines au bénéfice des bas-fonds de la haine et de la violence. Haïr, c’est aussi une façon de se dire qu’on est encore vivant, peut-être supérieur à certains autres, tombés dans le bas du panier. C’est encore être victime d’un conditionnement général, en se persuadant que l’on vit à fond son identité en pulsant de tous ses instincts. Ca rassure !
En France, les institutions fonctionnent encore et, à l’occasion, certaines sont à même de réfléchir et d’élaborer une politique migratoire plus respectueuse des droits fondamentaux. Le Parlement a ainsi institué une Commission d’enquête – un niveau d’autorité élevé et peu usé, pour interpeler l’Exécutif – sur les migrations et l’asile. Ses propositions au Gouvernement, publiées fin-octobre, parlent d’elles-mêmes, exprimant une volonté de renouer avec l’esprit de justice et les valeurs des lumières. Voici les principales prescriptions consignées dans son rapport :
Prévoir des financements dédiés à la réinstallation des populations chassées par la guerre contre Daech
Ne pas pénaliser les populations qui voyagent par une réduction drastique de la délivrance des visas, ce qui renforce les filières clandestines
Cesser de focaliser sur la politique migratoire nos relations avec les pays de transit, ce qui leur confère un levier de pression sur nous
Revenir pleinement au droit commun pour la gestion de la frontière franco-italienne – accords de Schengen – et redéployer les forces de sécurité
Pour éviter de nouveaux drames, appliquer l’accord de La Valette sur la répartition : le sauvetage en mer ne vaut pas automatiquement responsabilité de l’Etat côtier au sens de Dublin
Accorder au Parlement un droit d’examen à l’occasion d’un débat annuel, notamment sur la capacité d’accueil de la France, les pays ‘’sûrs’’, la liste des métiers en tension… et un vote de loi de programmation par législature
ouvrir la possibilité de travailler aux demandeurs d’asile, dès le dépôt de leur demande
Poursuivre l’augmentation des places d’hébergement et les efforts pour une meilleure répartition géographique des demandeurs d’asile, afin de faciliter leur accueil
A Calais, mettre fin à la politique ‘’zéro point de fixation’’ et mettre en place de petites unités de vie le long du littoral ; Mettre en place une ‘’commission de suivi’’ intégrant migrants et intervenants locaux
Pour les familles avec enfants, prévoir systématiquement une alternative à la rétention, par des lieux d’accueil dédiés.
Merci à nos députés de ces propositions dignes et matures. Il faut faire le vœu qu’en 2022, leur parole de bon sens soit (un peu) entendue.