* 22 juin – Au pied du mât de cocagne

Demain et vendredi, les Etats membres de l’Union européenne vont se prononcer sur un statut de candidat de l’Ukraine à l’Union. L’avis positif de la Commission européenne sera discuté lors du sommet du Conseil européen, à Bruxelles. Au 120ème jour de l’invasion russe s’ouvrira une semaine ‘’vraiment historique’’, selon les mots de Volodymyr Zelensky. En conséquence, le président ukrainien s’attend à ce que Moscou intensifie ses offensives contre son pays : ‘’Les Russes ont besoin de cette crise et ils l’aggravent de façon délibérée’’, analyse-t-il. La semaine dernière à Kiev, Paris, Berlin et Rome (rejoints par Bucarest) se sont prononcés pour l’octroi ‘’immédiat’’ à l’Ukraine de ce statut de candidat. Jamais un avis sur une demande de candidature n’aura été rendu en mode aussi express. Reste à faire prendre la ‘’tambouille’’ bruxelloise. 

De fait, c’est à l’unanimité que les 27 devront donner leur feu vert : ce n’est pas gagné. Il faudra dépasser les réticences des Pays Bas et du Danemark – assez fondées en droit, vu certaines mauvaises habitudes ukrainiennes – et la velléité générale d’obstruction dont fait preuve la Hongrie. La question des normes juridiques, sociales, juridiques ou écologiques ne se pose d’ailleurs pas à ce stade : on est dans la diplomatie de guerre, la géopolitique de combat, comme d’autres opèrent dans la médecine d’urgence. Dans le meilleur des cas pour Kiev, le chemin d’une adhésion sera long et lourd en contraintes. Qu’importe le processus, on en parlera plus tard, c’est l’arrimage géopolitique immédiat qui compte … et c’est bien ce qui heurte la volonté hégémonique de Moscou. Le Kremlin, faute de mieux, simule hypocritement l’indifférence.

Ursula von der Leyen a adopté l’expression clé de ‘’perspective européenne pour l’Ukraine’’, synonyme flou d’un sanctuaire provisoire dans cette antichambre où la Turquie, la Serbie et d’autres ont longtemps mariné dans la frustration. ‘’Nous savons tous que les Ukrainiens sont prêts à mourir pour défendre leurs aspirations européennes’’, dixit la patronne de la Commission. Et encore : ‘’Nous voulons qu’ils vivent avec nous, pour le rêve européen’’. Il y aurait donc aussi un ‘’rêve européen’’ comme, à Pékin, Xi Jinping cultive son ‘’rêve chinois’’ ? Décidemment, on est bien en guerre !

La Commission recommande par ailleurs d’accorder à la Moldavie le même statut de candidat, à la condition qu’elle mène à bien d’’’importantes réformes’‘. Si toutefois, enlevant Odessa, les chars russes devait déferler plus au Sud, gageons que ces conditions tomberaient dans l’oubli ipso facto, concernant ce petit pays sans défense. Vendredi, donc, on devrait y voir plus clair.

Quant à la Géorgie, l’oligarque américanisé qui dirie son gouvernement est réputé pour sa complaisance envers Vladimir Poutine. Malgré la sympathique figure de sa présidente (une ancienne collègue à moi, au Quai), le pays attendra et devra faire la preuve d’une meilleure gouvernance politique. Dans l’immédiat, Tbilissi ne paraît pas être la capitale la plus menacée, le pays ayant déjà été partiellement dépecée en 2009, en conséquence d’une occupation partielle par les troupes russes. Deux de ses provinces on été perdues à l’ennemi. Depuis l’avis de la Commission, l’inquiétude y est massive, les Georgiens s’identifiant désormais à la résistance ukrainienne. Agitant des drapeaux européens, quelque 120 000 manifestants se sont massés devant le Parlement pour exprimer ‘’l’engagement du peuple géorgien dans son choix européen et dans les valeurs occidentales’’. L’ensemble des partis d’opposition avait convoqué cette marche pour  »le rêve européen » d’Ursula.

Avec Charles Michel, Ursula von der Leyen pourrait demain régner sur un empire européen immense, s’étendant jusqu’au cœur du Caucase et des Balkans. Est-ce un rêve ? Faudra-t-il remercier Poutine d’avoir tant agrandi l’Europe ?

* 19 mai – Le Tank et la Puce viticole

Dracula s’est trompé. Sa soif de sang, qui l’a mené en Transylvanie hongroise, a raté sa destination logique : la Transnistrie, une enclave prorusse bien plus favorable aux vampires. Un petit goût d’hémoglobine commence à flotter sur ce territoire mitoyen de l’Ukraine, qui a fait violemment sécession de la Moldavie dans les années 1990-1992. C’est devenu un fossile vivant de l’URSS du temps jadis, puis un zombie de la Poutinie actuelle. En envahisseur attentionné, Moscou y entretient une petite armée de 1 500 hommes. Son armée aurait bien besoin de ce renfort pour prendre d’assaut la région et le port ukrainiens d’Odessa sur le Mer Noire, qui lui résistent.

Qu’à cela ne tienne, le Maître du Kremlin ne s’en tiendra pas au seul Donbass ! D’ailleurs, un très haut gradé de son état-major général avait même affirmé, en février, que la Moldavie, propriétaire souverain de cette région, serait ‘’traitée’’ en son temps. La pauvre (dans tous les sens du terme) minuscule république de Chisinau, productrice d’un honnête vin rouge, combat surtout son propre sous-développement, phénomène qui, en Europe, la voit concurrencer l’Albanie mendiante. Sa micro-armée de braves bidasses est bien incapable d’arrêter la horde de blindés qui se précipite vers elle. Elle se claquemure comme elle peut, bétonne  le poste-frontière de Pervomaïsk et barre d’obstacles le pont qui la relie à l’Ukraine via la Transnistrie. De quoi faire franchement rigoler les chars russes.

La bien sinistre Transnistrie, longiforme sur la rive gauche du Dniestr, n’est qu’un simple tremplin permettant aux Russes l’ouverture d’un nouveau front sur le Sud de la Mer Noire. La division russe est rattachée au commandement Sud, lequel contrôle aussi une partie du Donbass et la Crimée. En 2006, un référendum avait été organisé par les autorités rebelles de Tiraspol, avec deux choix possibles : l’indépendance ou l’annexion à la Russie. Il s’était conclu sur un score à 97 % en faveur de l’annexion, la réunification à la Moldavie n’étant pas au menu. Mais Moscou avait la tête ailleurs et, huit ans plus tard, lors de l’annexion de la Crimée, le gouvernement de Transnistrie a dû demander, à nouveau, à être lui aussi mangé. Aujourd’hui les autorités transnistriennes annoncent en boucle des tirs de drones ou la découverte de munitions, autant d’actes ‘’terroristes’’ qu’elles imputent  aux Ukrainiens sans le moindre indice produit. En cas d’intervention frontale, la Bulgarie et la Roumanie risquent d’être bousculées au passage, mais elles appartiennent à l’OTAN et restent donc, en principe, ‘’hors-limites’’ (pour l’instant) pour les stratèges du Kremlin. Selon Chisinau, de nombreux Transnistriens franchissent actuellement la frontière pour retrouver la citoyenneté moldave. La Moldavie accueille aussi un flux de réfugiés ukrainiens, considérable à son échelle. L’inquiétude va crescendo. L’offensive russe d’encerclement de la Mer Noire possède sa propre logique, celle d’une aventure insensée qui pourrait très bien dégénérer.  

* 28 avril – Le pour et le contre

Sous la pression de la guerre en Ukraine, l’Union européenne a accepté – avec une bonne part d’improvisation – d’accueillir la candidature de ce pays à rejoindre ses rangs ainsi que celles de la Géorgie et de la Moldavie. Dans le principe, tout au moins. De façon un peu théâtrale, la présidente de la Commission européenne l’a annoncé à Kiev, le 8 avril, aux côtés du président Zelensky, très demandeur en la matière. Autant dire que Bruxelles a choisi de taire la logique de l’économie et le prérequis d’une adaptation longue et complexe justifié par les écarts systémiques majeurs entre les 27 et ces trois pays. L’Europe s’est, au contraire, concentrée sur les défis qu’elle affronte au regard de l’Histoire et de la géopolitique. C’est audacieux, puisqu’ il en va de la justice et de la paix future … et risqué, car cette ambition sera trop complexe à réaliser.

Techniquement, une entrée effective dans le marché intérieur, dans les institutions bruxelloises et dans les bénéfices des politiques communautaires associées n’est pas pour demain, ni d’ailleurs pour après-demain. Inévitablement, l’invitation à rejoindre le club génèrera des déceptions dans ces trois pays menacés par la Russie. Leurs gouvernements se résoudront mal à la longue patience et à la  »soumission » qui va être requise d’eux.

Dans le contexte de crise européenne et mondiale où se trouve l’Union, face au Covid, à la Russie, à l’emballement du dérèglement climatique et aussi aux deux défis illibéral et populiste, Bruxelles a multiplié les nouvelles priorités, toujours dans une optique d’approfondissement de l’Union mais pas de son élargissement. Ce doit être l’un ou l’autre, car le cumul des deux signifierait l’implosion de l’édifice, tant le ciment reste fragile entre les 27. L’incorporation de douze nouveaux membres au cours des deux dernières décennies reste lourde à digérer. L’Union ne saurait donc se surcharger encore et se réinventer en même temps.

Le langage des instances bruxelloises est d’ailleurs subtilement opportuniste. A Kiev, Ursula von der Leyen a mentionné ‘’l’Ukraine marchant vers un avenir européen’’, le genre de langage pieux et ‘’psy’’ que l’on tient aussi à la Turquie, à la Serbie et aux autres fiefs isolés des Balkans. On ne voit guère la présidence française – fraichement réélue et, pour un mois encore, incarnant celle de de l’Union – pousser à la roue pour convoquer une négociation complète, par secteurs, avec Kiev, Tbilissi et Kichinev. Son titulaire sera d’ailleurs le dernier des dirigeants occidentaux à faire le voyage dans ces capitales. Hélas !

 En fait, l’urgence faisant loi, les Européens adoubent un Etat de 44 millions d’habitants en tant qu’’’allié militaire officieux’’ (hors-OTAN). On le sait pourtant frappé par un conflit séparatiste et, surtout, en guerre pour longtemps avec son voisin-ogre oriental. Qui plus est, il est actuellement ravagé par les bombardements et quasi-détruit. Sa reconstruction prendra peut être une génération entière.

Le journaliste de géopolitique et député européen, Bernard Guetta, le constate franchement :  ce ‘’oui’’ concédé aux Ukrainiens comporte le risque d’importer dans l’Union un conflit non résolu. Engagée aux côtés de l’Ukraine, l’Europe pourrait se découvrir, à son cor défendant, partie prenante dans les termes de la Charte des Nations Unies, bien plus qu’alliée extérieure et soutien. Le  »bonus » de l’adhésion serait de se retrouver plongée dans une guerre livrée sur son propre territoire. Ce n’est pas, bien sûr, ce qu’escomptent les 27. Bernard Guetta conclut : ‘’Nous mettons, oui, le doigt dans un engrenage suicidaire mais, sauf à jouer les autruches, à fuir nos responsabilités et à renoncer à défendre la démocratie, nous ne pouvions pas tourner le dos aux Ukrainiens… mais comment relever maintenant le défi que nous nous sommes lancé ?’’.

Ce blog ratifie totalement. Trouvera-t-on, alors, un chemin intermédiaire, par exemple en faisant miroiter une réconciliation générale, à vrai dire assez théorique, au sein d’une  »Confédération européenne » à cercles de coopération concentriques. C’est ce qu’avait évoqué François Mitterrand (sans succès), après la chute du mur, en 1989. L’Ukraine y trouverait rapidement un arrimage politico-militaire, mais, plus tard aussi, la Russie, une garantie contre la vengeance et l’auto traumatisme de la défaite. L’époque s’y prêterait mieux que celle du triomphe occidental contre Moscou. Conclusion : ‘’courage et discernement de long terme ! Gardons-nous surtout des options politiques simples et tranchées ». Si elles peuvent paraître sexy dans l’instant, c’est pour la bonne et seule raison que notre jugement aura été pris en défaut sur le plus long terme. Subtile, non ?

* 8 mars – Dictateur pathologique

 »Retirer à l’Ukraine son statut d’Etat » et en faire une vaste prison, voire un charnier; assiéger les principales villes pour en chasser la population; au passage, frapper un lieu de commémoration de la Shoah … Voilà autant de signes de l’état mental inquiétant d’un psychopathe retranché dans son bunker. , Après ces dix jours sanglants, nous sommes tous convaincus qu’il peut mettre ses menaces à exécution, sans limite aucune. Au grand public européen, frappé d’effroi, on en vient à offrir les secours de la thérapie psychiatrique. Mais là n’est pas la solution : il faut rester lucide, il faut s’endurcir.

En Ukraine, l’armée tient encore face à une guerre qui devient  »totale ». L’Occident s’est dégrisé de son quiétisme géopolitique et répond aux menaces par une montée symétrique et puissante du registre des sanctions. Défensive (mais pas neutre), sa stratégie est d’avance circonscrite par certaines précautions essentielles pour ne pas se retrouver en belligérance ouverte. Les enjeux sécuritaires pourraient monter jusqu’à l’échelle nucléaire, ce dont le monde entier – excepté  »Vlad le Barbare » – ne veut pas. Ce dernier est passé de l’équilibre de la terreur à la terreur tout court en tant que méthode offensive. Il contraint les Occidentaux à faire face à une guerre extensible, dans le temps comme dans l’espace, sur plusieurs strates additionnées :

  • une menace de conflit  »conventionnel » généralisé, pour le cas où l’Alliance s’engagerait in situ, dans une intervention humanitaire unilatérale, a fortiori dans l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne destinée à stopper les bombardements qui dévastent l’Ukraine et jettent sa population sur les routes. Antony Blinken est venu sur la frontière Ukraino-polonaise activer la ligne de 10 milliards débloquée par le congrès américain pour une aide humanitaire et militaire à la résistance.
  • une menace nucléaire, au sommet de son arsenal pour terroriser l’Occident;
  • une politique de représailles aux sanctions. On voit bien qu’elle finira par  »couper le gaz », le titane, le blé, etc. … sans doute aussi par confisquer les investissements étrangers sur son sol; Forcer partout sa version brutale de l’économie de guerre;
  • une menace sur les quinze réacteurs nucléaires de l’Ukraine. Attaquer, sept heures durant, un site de six réacteurs (dont cinq ont du être arrêtés en urgence); tirer à bout portant de canon de char sur des enceintes de protection; enlever et faire disparaitre les dirigeants de cette centrale; investir la salle de contrôle et tenir en joue les techniciens : ce n’est pas improviser dans le feu de l’action, c’est délibéré;
  • l’agression contre les populations civiles et la guerre psychologique qui l’accompagne est sans doute le crime le plus choquant généré par sa haine froide mais recuite (un paradoxe). Comment ne pas songer à Varsovie et à Stalingrad, à Grozny, en replongeant dans notre passé ?

Pour faire une pause  »sourire », amusons nous un peu du spectacle bigarré d’une foule centrafricaine, un rien agitée mais très enthousiaste, qui célèbre les  »hauts faits » de l’ami Vladimir en Europe. Ces braves gens se soucient-ils du sort des étudiants africains coincés sous les bombardements, en Ukraine ? Ce sont des images burlesques sur fond de tragédie. A l’inverse, l’angoisse se propage dans la société russe citadine et éduquée. Elle se voit écrasée dans un étau qui se resserre et l’emprisonne dans son propre pays. Il lui faut quitter le bateau ivre. Nous aurons à accueillir des réfugiés russes aussi.

La Géorgie et la Moldavie, toutes deux partiellement occupées par des troupes russes, se voient promises au même asservissement que l’Ukraine. Tbilissi et Kichinau emboîtent le pas à Kiev en pressant l’Union Européenne et l’Alliance atlantique de les intégrer pour les protéger. Sans fournir au Kremlin l’aubaine d’un casus belli, une forme de protection est à trouver du côté de l’OSCE et des Nations unies (observateurs, casques bleus, forces d’interposition sur les frontières). En fait, les buts de guerre poutiniens sont devenus, sinon inatteignables, du moins extrêmement ardus à réaliser. Raison de plus pour qu’il joue son va-tout stratégique. Au moins trois scénarios de fuite en avant se présentent à lui :

*renoncer à une grande part de souveraineté et peut-être, à la Sibérie, en se jetant dans les bras de la Chine pour se protéger des sanctions et sauver son régime;

*saigner à mort l’Ukraine, la Biélorussie et aussi son pays, pour tenter d’en extraire les ressources qu’impliquent un effort de guerre prolongé à mener sous autarcie;

* »mettre le paquet » pour conclure l’offensive, mobiliser le banc et l’arrière banc de ses réserves militaires, de ses mercenaires et de ses milices parallèlement aux outils d’une dictature renforcée.  »Finir le travail » à marches forcées, implique une escalade continue des destructions et des massacres de populations civiles. Ceci l’amènerait s’en prendre,, tôt ou tard, à  »l’arrière » des combattants ukrainiens, c’est à dire d’attaquer leurs bases logistiques en Pologne, dans les républiques baltes, etc. Bref, en se laissant emballer dans ses émotions froides, le stratège-psychopathe en viendrait à tenter le tout-pour-le-tout, au final, à franchir le seuil d’une guerre généralisée et donc nucléaire.

Ce dernier scénario supposerait qu’aucun contre-pouvoir interne n’ait pu arrêter son bras alors qu’il en était encore temps. Une carte reste à jouer de ce côté là. Inéluctable, la déchéance de Poutine devrait être précipitée (par son entourage), pour qu’on n’en arrive jamais là.

* 13 juillet – Modèle moldave

La victoire aux législatives moldaves du parti de la présidente Maia Sandu (Parti Action et Solidarité – PAS, du centre droit) confère un visage pro-européen, avenant et honnête, à cette ancienne république soviétique assez obscure. Celle-ci n’échappe pas à sa géographie, à la charnière de l’OTAN et de la CEI (elle est en partenariat avec l’une et participante à l’autre). Ce pays paraît sans cesse écartelé entre un courant pro-russe anti-démocratique et une majorité étroite tournée vers l’Europe et l’ouverture à l’Ouest. Avec 48 % des suffrages, la formation de la présidente pro-européenne devance largement le Bloc des socialistes et communistes (BESC) de l’ex-président prorusse Igor Dodon (2016-2020), crédité de 31 % des suffrages. Nouveau mouvement de balancier vers l’Ouest ! Ce pays pauvre de 2,6 millions d’habitants, pourrait beaucoup bénéficier d’une évolution économique et sociale ‘’à la roumaine’’, même si l’idée d’une fusion avec Bucarest n’est plus de mise, après trente années d’indépendance ‘’encadrée’’. Par ailleurs, les Moldaves sont las des scandales de corruption à répétition. Le plus retentissant avait vu, en 2015, la volatilisation de 15% du PIB des banques du pays.


Maia Sandu, une économiste de 49 ans, professionnellement formée aux institutions de l’ONU et de la Banque mondiale, a promis, le 11 juillet, la ‘’fin du règne des voleurs’’. Ce succès électoral renforce son pouvoir sur deux fronts, face à aux mafias qui se partagent l’économie du pays et face à ses ennemis prorusses, relayés par la présence aux frontières d’une armée russe occupant la province ‘’séparatiste’’ de Transdniestrie, un formidable levier de soumission au Kremlin !
Mais, on l’imagine, le revanchisme des partisans de Moscou se manifeste sur bien d’autres plans que par le seul suffrage universel. Trente ans après les ex-‘’démocraties populaires’’, depuis longtemps ‘’passées à l’Europe’’, ce petit pays européen coincé entre la Roumanie (de même culture qu’elle) et l’Ukraine connait des tourments géostratégiques qui nous semblent archaïques et caricaturaux. Mais cela nous concerne. Le combat du gouvernement de Chisinau pour choisir sa voie et ses alliés est loin d’être gagné. La Géorgie, la Crimée et le Donbass ukrainien ont montré ce qu’il en coûte de chercher à diverger de l’orbite de la Russie de Poutine. La capitale est à portée des canons des chars russes.

Figée dans la sphère stratégique russe lors de l’implosion de l’URSS, l’ancienne République soviétique de Moldavie bouge, mais depuis avril 2009 seulement. Des milliers de manifestants ont alors dénoncé l’irrégularité du scrutin législatif remporté par le Parti des communistes (PCRM). Le Parlement et la Présidence ont été pris d’assaut. Le pouvoir communiste, qui a accusait Bucarest d’avoir manigancé les troubles, a brutalement réprimé l’agitation, mais le Président communiste, Voronine, au pouvoir depuis 2001, a dû se résoudre à dissoudre l’Assemblée, faute de majorité suffisante pour élire son successeur. Le PCRM ne pouvait plus gouverner seul. En août 2009, est né une « Alliance pour l’intégration européenne’’ (AIE), formée par les partis d’opposition libéraux et démocrates. Celle-ci a formé un gouvernement en septembre, sous la direction de Vlad Filat. Voronine a démissionné et les communistes sont passé dans l’opposition, tout en bloquant l’activité législative. Ainsi, le parlement de Chişinau a échoué, à trois reprises, à élire un président.

Septembre 2010 : le gouvernement de coalition pro-européen tient un référendum constitutionnel pour débloquer l’impasse, par l’organisation de la présidentielle au suffrage universel direct. Les communistes boycottent le scrutin et font encore échouer la réforme. Des législatives suivantes (novembre 2010) émerge, à nouveau, un gouvernement de coalition non-communiste, pro-occidental. Nicolae Timofti, élu président en mars, pour la plus grande frustration du Parti des Communistes, plaide pour l’intégration de son pays à l’Union européenne et entend nouer un rapprochement avec la Roumanie. Il cherche un retrait des troupes russes de Transnistrie et décline toute intégration politique de la Moldavie dans l’Union économique eurasiatique que tente de lui imposer Moscou. En réaction, le Kremlin nomme l’ultranationaliste russe Dmitri Rogozine, comme représentant spécial du président russe (gouverneur de facto) pour la Transnistrie. De 2016 à 2020, la présence au pouvoir d’un ‘’collaborateur’’ (Igor Dodon) satisfait les visées du Kremlin.
Mais, en novembre 2020, Maia accède confortablement à la présidence et évoque l’intervention des médiateurs de l’OSCE pour dégager en douceur les soldats russes de la Trandniestrie : branle-bas de combat chez Poutine ! De fait, le moment choisi est plus que délicat : les Biélorusses se sont soulevés contre leur dictateur, Alexander Loukachenko. Il n’est plus question de laisser se déliter la façade occidentale du glacis stratégique russe. Voilà pour l’arrière-plan historique.

‘’Les défis sont grands, les gens ont besoin de résultats et doivent ressentir les bénéfices d’un Parlement propre et d’un gouvernement honnête et compétent’’. C’est un bon point de départ. A nous de travailler à la libre souveraineté des Moldaves comme des Biélorusses et des habitants du Donbass, sans, bien sûr, clamer la victoire d’un camp sur l’autre ni déshabiller trop ostensiblement l’autocrate du Kremlin.