* 21 septembre – L’Homme fort du Forum

Bravo, Manou : c’était un sans faute ! L’exercice oratoire obligé des dirigeants du monde à l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations Unies parle traditionnellement un peu pour l’état du monde, mais beaucoup plus pour leur état d’esprit du moment. L’absence, par exemple, de Vladimir Poutine s’assimile à celle d’un exalté retranché au fond de son bunker, convaincu que le reste du monde s’est ligué contre lui. Son isolement n’en est que plus criant, quand, à l’inverse, Xi Jinping, impassible sous un imperceptible sourire de façade, viendra, lui, expliquer que tous les opprimés se tournent vers lui.

La fougue française est payante, à New-York où chacun admet que le pays de Marianne a vocation à conceptualiser la géopolitique en parlant carré. La bonne idée a été de s’adresser essentiellement à la quarantaine de pays extérieurs au conflit en Ukraine, ceux qui n’avaient pas osé condamner l’invasion russe. Le ressentiment à l’égard de l’Occident et de ses guerres  »injustes » (l’Irak, la Libye, l’Afghanistan …) en est sûrement l’une des causes profondes du désamour du Sud. Le président français a habilement renvoyé ses pairs du monde émergent au crédo des Non-alignés. Il a évoqué cette ère de résistance à la guerre froide, de quête de la justice et du droit, auxquels ces membres de la communauté internationale ont adhéré ou adhèrent encore avec fierté.

Face à une invasion brutale, à des tentatives d’annexions territoriales de la part d’un nouvel impérialisme aux visées ouvertement coloniales, n’était-il pas temps d’en revenir aux valeurs qui avaient été si chères aux Non-alignés ? Eux qui affichaient une identité tierce face au monde de deux blocs Est-Ouest, laisseraient-ils la scène guerrière de 2022 (plus de cinquante conflits) se fracturer définitivement en deux : d’un côté, une communauté restée fidèle aux valeurs de la Charte des Nations Unies et à l’Etat de droit, de l’autre, un bloc composé de prédateurs, partisans de la Loi de la Jungle ? L’appel à l’introspection lancé aux neutres pourrait être ressenti comme agaçant. Justement, c’est parce qu’il pointe le défaut de leur cuirasse (de leur conscience, aussi) qu’il est mérité.

Le discours français s’emploie à corriger le tir en reconnaissant (discrètement) que l’Occident n’a pas toujours respecté ses propres idéaux et qu’il s’est parfois égaré dans des croisades sans lendemain. Mais ne s’est-il pas montré plus secourable (sous-entendu que la Russie et la Chine) dans la lutte contre le Covid et la relance consécutive de l’économie ? Emmanuel Macron propose au Sud un  »nouveau pacte financier » pour l’avenir. Le terme est beau mais pas vraiment neuf. Ce genre de concept-miracle reste, la plupart du temps une chimère ou finit en traitement homéopathique. C’est là flou principal du discours.

Sur le plan des institutions de l’ONU, la France joue sur du velours. Depuis plus de quarante ans que se pose la question  »urgente » d’une réforme du Conseil de Sécurité, Paris n’a jamais eu besoin d’afficher une position négative sur le sujet, contrairement à Moscou, Washington ou Pékin. Le blocage du débat n’est pas le fait des seules puissances, mais aussi de la multiplicité des mésententes entre les potentiels candidats du monde émergent. Aucun groupe régional ne parvient à choisir son champion. En Afrique, le Nigéria, l’Egypte et la République Sud-africaine se neutralisent mutuellement. En Asie, la Chine oppose froidement son veto à l’Inde et au Japon. En Amérique latine, l’Argentine hispaniste s’oppose au Brésil de langue portugaise. Il est aisé de jouer de ces différends pour se proclamer sans grand risque ouvert à toute  »solution ». Avec le départ du Royaume Uni, la seule chose – mais très improbable – que pourrait craindre la France serait de voir son siège au Conseil transféré au bénéfice de Bruxelles-Union Européenne. La demande n’émane d’ailleurs pas de l’intérieur de l’Europe mais de pays du Sud.

Plus concrète est la proposition de Paris de suspendre le droit de veto à une puissance, permanente ou élue, lorsqu’elle aura à voter sur un conflit auquel elle serait partie. Un soutien du monde émergent sur ce point pourrait contribuer à changer la donne. Mais il ne se manifeste guère.

Il reste que la vision présidentielle de la hiérarchie onusienne est très … présidentielle. Elle ne dit mot des pouvoirs de l’Assemblée générale qu’ils faudrait renforcer pour rendre le système plus représentatif et plus démocratique. Celle-ci, et non pas le Conseil de Sécurité, en constitue la pierre angulaire et la source de légitimité. Serait-ce parce que cette Assemblée générale apparaît un peu, aux yeux de Jupiter, comme équivalant à un  »machin » ennuyeux français du nom d’Assemblée Nationale ?

* 27 avril – Malbrough s’en va-t-en guerre

La guerre s’étend rapidement, c’est incontestable. Quelle guerre ?

(1) Celle commencée par une agression gratuite contre l’Ukraine, qui se reconcentre sur le Donbass et le littoral de la Mer noire jusqu’aux frontières de la Moldavie. (2) Celle qui conduit Moscou à bombarder les entrepôts d’armes livrées à Kiev, lesquels incluent désormais des blindés, de l’artillerie lourde, des drones, des missiles et des radars… peut être même quelques avions de combat Mig 29. (3) Celle qui coupe brutalement les livraisons de gaz à la Pologne et à la Bulgarie pourtant dépendantes à 90 % du fournisseur russes. (4) Celle qui voit ‘’disparaitre’’ soudainement des oligarques et chefs militaires russes atterrés, comme nombre de leurs compatriotes, par la fuite en avant de Poutine et qui cherchent à s’évader de l’étouffoir. (5) Celle, enfin, qui se joue dans les médias pour brouiller les esprits … 

Un brouillard mental se lève autour de l’Ukraine : sommes-nous sur le point, comme Serguei Lavrov nous en accuse, de lancer pour ce pays une troisième guerre mondiale, nous autres Occidentaux qui répétions en chorus ‘’ne pas vouloir mourir pour Kiev’’ ?

Il y a quand même un peu de ça, semble-t-il, lorsque Antony Blinken et Austin Lloyd, les chefs de la diplomatie et de la défense des Etats-Unis, paradent à Kiev avec Volodymyr Zelensky en affirmant fièrement que « L’Ukraine croit clairement qu’elle peut gagner et c’est aussi le cas de tout le monde ici. Nous allons continuer à remuer ciel et terre pour pouvoir les satisfaire’’.  Les livraisons d’armes gagnent en volume comme en puissance (cinquante blindés anti-aériens ‘Guepard’ allemands, douze canons de 155mm français ‘César’, drones turcs en sus de l’arsenal lourd et du renseignement américains).  Même si cela reste loin de l’effort quantitatif de Washington, la participation européenne est adaptée au plan qualitatif à la grande bataille qui s’engage au Sud-est. En Bulgarie, les détachements pilotés par le Royaume Uni sont sur le qui-vive, alors que  les troupes russes se rapprochent. De même, en Roumanie, les militaires français stationnés à la frontière de la Moldavie pourraient avoir à faire face à l’armée russe stationnée, juste un peu plus à l’est, en Transnistrie occupée. Mais tout cela, contrairement à ce qu’affirme certains esprits faibles ou rusés, ne fait pas de l’Occident un ‘’cobelligérant’’, une puissance ‘’en guerre contre la Russie’’.

Certains de nos politiciens ou de nos médias oublient un peu vite le droit de défense légitime – et collectif – qu’ouvre une agression caractérisée comme l’a subie l’Ukraine. Aussi longtemps qu’elle n’aura pas été remplacée, la Charte des Nations Unies reste la règle cardinale en matière de guerre et de Paix. Son Chapitre VII prévoit, en cas d’agression et de menace à la Paix, des mesures coercitives. Le Conseil peut alors recourir à des mesures militaires ou non militaires pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. La guerre de Corée a été menée sur cette base juridique par les forces des Nations Unies. Les casques bleus ont aussi recouru à la force, dans la guerre de Bosnie.

L’article 51 de la Charte prévoit le droit de légitime défense individuelle = = ou collective = =, dans le cas d’une agression armée contre un Membre de l’Organisation des Nations Unies.

L’agression et l’identité de l’agresseur – la Russie – ont été constatées par l’Assemblée générale des Nations Unies. Ceci, même à deux occasions successives. Dès lors, l’Ukraine ne doit pas être considérée comme belligérante à parité de responsabilité avec la Russie. Kiev – et elle seule – use de son droit à défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale, conformément à la Charte. Même en cas de violation du droit humanitaire de la part de ses défenseurs, son droit à l’auto-défense reste irrévocable (ce qui n‘exonère pas les auteurs d’avoir à rendre des comptes). D’ailleurs, en sa qualité de démocratie, le pays agressé manifeste un comportement général conforme à l’état de droit et au respect des civils.

Moscou, de son côté, transgresse  toutes les normes admises du droit et de la civilisation. Mettre au ban ce comportement, stopper cette agression ne sont possibles que par un usage croissant de la force, au service du droit.  C’est le principe de la défense collective, celui qui guide l’action actuelle des démocraties. Mais il n’y aura jamais de paix juste si le bluff de Lavrov sur ‘’une troisième guerre mondiale’’ devait paralyser le devoir de défense collective de l’Ukraine. Le risque à prendre existe, c’est vrai, mais éviter une ‘’paix injuste’’ représente un pari nécessaire sur l’avenir. Ni l’Europe ni les Etats Unis ne sont ‘’cobelligérants’’. Mais ils sont totalement dans les règles internationales dans leur rôle de ‘’co-défenseurs’’.

* 9 mars – Le droit, notre garde-fou

La brève d’hier parlait des  »jeux pernicieux » du dictateur russe avec la vie de civils innocents. Le nombre de conflits violents déclenchés de son fait depuis sa trouble accession au pouvoir, en 2000, est tel que l’on y voit une vocation à la cruauté. Ceci, toujours pour des gains prédateurs sous-tendus par un nationalisme paranoïaque (à divers degrés le nationalisme, comme on le dit,  »c’est la haine »). La dénonciation de son profond mépris pour le droit international humanitaire n’est pas nouvelle. Il agit donc en pleine connaissance de cause, en pleine jouissance de son pouvoir meurtrier absolu.

L’intervention militaire elle-même de la Russie contre l’Ukraine constitue une agression, au sens du droit international. À cela s’ajoute le fait que les comportements russes relèvent, dans beaucoup de cas, de violations des lois et coutumes de la guerre, définies par les Conventions de Genève et de la Haye. Elles incluent des attaques délibérées et des frappes aveugles sur des populations civiles. La prohibition de ces crimes porte aussi sur l’utilisation d’armes non discriminantes (ne faisant aucune distinction entre des cibles civiles et militaires).

Le droit international humanitaire, issu du droit de la guerre, considère comme civil toute personne ne participant pas aux hostilités. Les journalistes, le corps médical et les aumôniers qui interviennent dans les zones de combat (sans arme) restent des civils.  Un militaire sorti des hostilités, est lui aussi considéré comme civil, dès lors qu’il capitule ou est invalidé sur le champ de bataille. Les maisons, les immeubles, les hôpitaux, les écoles, les lieux de cultes, les bâtiments administratifs et tout ce qui fait partie du quotidien de la population sans revêtir de rôle militaire doit aussi être protégé, selon ce droit très ancien développé au fil des conflits.

Sans doute faudrait-il y ajouter quelques articles concernant l’arme nucléaire, envisagée sous un angle offensif (pour une première frappe multiple dans un pays non-en-guerre ou non-belligérant). L’atome, plus que tout autre type de feu ne distingue aucune catégorie humaine parmi ses cibles et anéantit tout. Certes, il ‘y a pas de  »gendarme » dans le système international qui soit capable d’arrêter l’offensive de la deuxième armée du monde, nucléarisée qui plus est. Néanmoins, il serait concevable de créer une coalition à l’échelle du monde pour exclure l’agresseur de toute forme de coopération, d’échanges, de jouissance de droits.

En janvier 1943, la conférence de Casablanca avait rassemblé les démocraties autour d’une vision du droit qui s’et concrétisée fin 1944 avec l’Organisation des Nations Unies. Aujourd’hui, les nations de l’Occident resserrent les rangs face à l’agression frappant l’Ukraine. Il faut aller plus loin et penser, au plus tôt, au  »coup d’après ». Sans doute serait-il nécessaire de renforcer considérablement l’autorité propre des Nations Unies sur les Etats qui la composent (pour sortir de la situation inverse actuelle). Le droit de veto permanent et définitif accordé aux cinq vainqueurs de 1945 = dont la Russie et la Chine = n’est plus justifiable. Ad minima, l’Assemblée générale de New York, renforcée et dotée de nouveaux pouvoirs d’urgence, pourrait, dans ce schéma, destituer un Etat recourant à la terreur contre les populations civiles. En aucun cas, une fois exclu de l’ONU, le coupable ne pourrait faire entendre sa voix, tout au moins avant d’avoir admis sa faute et indemnisé ses victimes.

Nous ne sommes plus en 1944-45 : ce sont les enfants à naître dans ce monde de la guerre du 21 ème siècle, potentiellement plus destructrice que la seconde guerre mondiale, qu’il nous faut protéger. Une démocratie de portée universelle, ancrée dans un droit humanitaire plus exigeant et dotée de toute la gamme de forces que les défis imposent, est-ce un rêve plus fou que celui caressé à Casablanca, il y a huit décennies ?

* 21 septembre – Le  »Machin » et les machines de guerre

Premier jour de l’automne, moment des discours rituels à New York des dirigeants de la planète devant l’Assemblée générale des Nations Unies. Tout le monde s’en fout ! Et depuis pas mal de temps ! Les grands du monde sont en général polis (pas tous) mais la bienveillance n’est plus de notre époque et la Paix n’est plus à leur programme. Est-ce toujours cette ONU crée à San Francisco, au sortir de le seconde guerre mondiale, dans l’allégresse des peuples fatigués des affrontements ? Répond-t-elle toujours au besoin d’arbitrage des différends par le droit international et au devoir moral de les résoudre pacifiquement ? Papa (ou Grand Papa) y a cru. Le général de Gaulle a, lui, moqué le  »Machin », en bon souverainiste (l’ONU avait été sévère avec la France coloniale) et pour faire un bon mot. On oublie un peu vite que, sans les Nations Unies, la prolifération des armes nucléaires et la course quantitative aux armements militaires auraient atteint le stade de l’holocauste. ous ne serions pas là. Aussi, que jusqu’à des temps récents, le  »machin » new-yorkais est parvenu à prévenir des conflits dès leur phase initiale et à éteindre des guerres parties pour durer toujours. Il a établit des droits sans lesquels toute humanité se serait évanouie de l’espèce humaine. La réalité est que les membres de ce conseil, censé veiller sur la bonne marche du monde, ne méritent pas (ou plus) l’honneur de la fonction qui leur incombe.

Les cinq membres permanents ne représentent plus depuis longtemps la société internationale telle qu’elle fonctionne. Ils s’entendent plus ou moins pour bloquer toute réforme qui légitimerait leur monopole. Aucune crise majeure depuis celle de Syrie, en 2011, n’a pu se dénouer à New York faute de possibilité d’entente entre les  »grands ». La Russie de Poutine allume tous les incendies qu’elle peut dans les arrières cours de ses adversaires stratégiques. Elle pratique une guerre hybride menaçante et débarque en Afrique avec ses mercenaires Wagner. La Chine de XI Jinping se taille un empire sur les mers du Sud et se montre encline à lancer, pour la conquête de Taiwan, un conflit potentiellement mondial. Les Etats Unis de Joe Biden retombent dans l’unilatéralisme de Trump et tentent de refaire leur prestige et leur cohésion interne en affrontant le Dragon chinois. Le Royaume Uni se vend à qui veut bien, pourvu que ce ne soit pas l’Europe. La France se repaît de ses désaccords avec l’oncle Sam, parle fort sur l’avenir de l’Europe sans se faire entendre ni dissiper les soupçons à son endroit. Sa diplomatie de puissance moyenne, à assise économique limitée, est devenue parcellaire : elle n’est plus à l’échelle du monde.

Collectivement, le 15 du Conseil utilisent ce forum pour couvrir ceux de leur camp qui se sont mis en position d’agresseur, pour punir les protagonistes d’en face (qui les sanctionneront à leur tour)… et pour bloquer toute tentative de résolution des conflits. Même la pandémie qui a ravagé tous les pays dans une simultanéité sans précédent, n’a pas vu ces garants de la bonne marche du monde se réunir, encore moins décider une trêve des combats. C’est ainsi qu’on a abandonné aux armes de leurs assaillants des populations déjà victimes du virus. Pire, encore, de nouveaux conflits ont éclaté. Citons seulement l’Arménie/Azerbaïdjan, les zones kurdes de Syrie, la Libye envahie de l’extérieur, l’Ethiopie, le grignotage du Donbass qui a repris en Ukraine et les opérations au Sahel qui se sont étendues à de nouveaux pays, en se rapprochant du littoral du Golfe de Guinée, La note à payer (par les populations) pour toutes ces défaillances du système multilatéral est simplement effroyable.

On a aujourd’hui l’impression que le seul et dernier membre du Conseil de Sécurité serait … le secrétaire général de l’Organisation. Profond et pathétique, le plaidoyer d’Antonio Gutterres pour un retour au mode multilatéral, pour la préservation de la paix et de la stabilité, mais aussi pour soigner la détresse humanitaire de centaines de millions de gens, n’est guère repris dans les médias : ce ne serait rien d’autre que le blabla bien pensant habituel. Au Conseil, se succèdent les empoignades et les coalitions agressives. A l’idéal humaniste et pacifique des pères fondateurs de 1945 fait suite une machinerie à régler des comptes, parfois même à légitimer des machines de guerre. Ce blog tient des exemples précis à votre disposition. Mais, encore une fois, qui se soucie de ce que des Etats-vampires aient vider l’Organisation des Nations Unies de son sang ? Avons nous vu des foules à Paris, Pékin, Moscou ou New York manifester pour la Paix ? Avons nous vu des partis politiques inscrire le mot  »Pax » dans leurs priorités programmatiques ? N’entendons-nous pas d’innombrables voix bien intentionnées appeler à des jours nouveaux, climatiques, écologiques, éducatifs, sanitaires, de justice sociale, de développement, etc., sans trop réaliser que, sans la paix – et la stabilité corollaire -, rien de tout cela ne pourra se faire, même pour quelques » happy few ».