* 29 juin – Météo OTAN : vent d’Ouest contre vent d’Est

A Madrid, l’Alliance atlantique négocie depuis hier un grand tournant : c’est son ‘’Sommet de la transformation’’. La Russie compte évidemment parmi les sujets qui font ‘’l’union sacrée’’ parmi les trente alliés. C’est l’envers de l’engagement massif dans la durée promis à l’Ukraine, jusqu’au reflux de l’agression russe. L’armée de Poutine aggrave délibérément son cas en reprenant ses bombardements de populations civiles sur la région de Kiev et sur l’Ouest ukrainien. C’est sa façon de ‘’marquer le coup’’ après les ouvertures faites à Volodymyr Zelensky, du côté de l’Union européenne, du G 7 et de l’Alliance.

– En rupture avec le ‘’partenariat russe’’ mis en avant jusqu’en 2010, la définition de la nouvelle stratégie de défense et de dissuasion, incluant les offensives hybrides et cyber ainsi que le terrorisme, définit de façon univoque la menace russe comme ‘’la plus importante et la plus directe qui soit contre la sécurité et les valeurs de la zone transatlantique ainsi que de l’ordre international. Moscou a choisi la confrontation, l’Alliance répond sur le même plan, mais défensif. Les dirigeants occidentaux préparent des mesures pour acheminer en plus grande quantité à l’armée ukrainienne un armement moderne de type OTAN.

Derrière la ‘’ nouvelle ère de compétition stratégique’’ (quel charabia !), d’autres questions, moins consensuelles, se profilent.

– Le branle-bas de combat pour porter de 40.000 hommes à 300 000 l’effectif de la Force de réaction (NRF) aura-t-il lieu ? Depuis l’invasion russe, la génération de forces lancée par l’OTAN se montre beaucoup plus lente et faible que prévu. L’OTAN essaye de compenser son déficit avec des ‘’battle groups’’ de plusieurs nationalités, pré-désignés car déjà opérationnels. Cette mobilisation de moyens incombe aux Etats bien plus qu’à l’organisation intégrée elle-même, qui dispose de très peu de moyens (avions-radars, réseaux d’alerte, renseignement …). C’est donc qu’il y a un vrai décalage entre les objectifs géostratégiques avancés et l’intendance, qui ‘’ne suit pas’’. Ce n’est pas lié à un manque de détermination mais, simplement aux capacités logistiques, organisationnelles et industrielles qui n’y suffisent pas. Les Etats-Unis exhortent à nouveau leurs alliés européens à investir au moins 2 % de leur PIB dans la défense (‘’un plancher, pas un plafond’’) mais la réalisation de l’objectif est bien plus complexe que son affirmation.

– La Turquie aura fini par lever  le chantage au veto qu’elle exerçait contre l’adhésion de la Suède et de la Finlande. Sans doute sa manœuvre aura été récompensée d’une façon ou d’une autre. Elle reste le moins fiable et le plus retord de tous les alliés, prompte à dégainer, par pur opportunisme, son pouvoir de nuisance et l’ambigüité de ses choix stratégiques.

– Une dizaine de pays de ‘’l’Indo-Pacifique’’ étaient invités à Madrid, par le Secrétaire général Stoltenberg, connu pour être la ‘’voix de l’Amérique’’. C’est dire que la Chine,soupçonnée par certains de collaborer militairement avec la Russie, figurait haut – bien que pour la première fois – dans l’ordre du jour de Washington, contre la volonté des grands pays européens. Le terme de ‘’menace’’ pour la qualifier a pu être écarté au profit de la notion de ‘’défi systémique pour l’ordre mondial’’. Paris et Berlin ont ainsi obtenu que la déstabilisation mondiale incarnée par Pékin ne soit pas élevée au même rang que la menace militaire russe.

Mais ceci crée une alerte sur l’avenir de l’OTAN. L’Oncle Sam, comme il l’a fait par le passé contre l’URSS, voudrait constituer un maillage mondial de bases militaires au service d’un engagement collectif, sur le modèle (ancien) mis en oeuvre pendant la Seconde Guerre Mondiale puis la Guerre froide. A Paris, on n’a de cesse de rappeler que la sphère de l’Alliance atlantique est circonscrite à la zone euroatlantique et que son mandat se situe là et seulement là.

– De ce constat découle les difficultés rémanentes à traiter de l’approfondissement de la relation UE-OTAN. La France, en particulier, voudrait que le renforcement de la défense européenne soit pris en compte et valorisé par le quartier général de l’Alliance. Comme toujours, cela agace. Par exemple, se trouve proscrite par le clan ‘’tout américain’’ toute mention du ‘’pilier européen’’ de l’Organisation.

Va-t-on envoyer, un jour l’Europe guerroyer dans le détroit de Taiwan aux côtés de l’US Navy ?

* 16 juin –  »Bellico-scepticisme »

La génération aux affaires se sent déjà ‘’coupable’’ d’avoir trop tardé à traiter du dérèglement climatique. Qu’en est-il de la question, toute aussi vitale, de la guerre, c’est-à-dire de ‘’d’avoir manqué d’enraciner la Paix dans son époque » ?  La dynamique du conflit en Ukraine nous emmène vers un climat de violence barbare face auquel notre impuissance vaut démission de notre condition citoyenne et humaine.

Peut-on rester durablement dans un engagement militaire indirect et livrer à Kiev des armes toujours en quantité croissante et de plus en plus lourdes sans verser, peut-être à notre insu, dans la cobelligérance contre Moscou ? Le spectre de l’affrontement généralisé ne trace qu’une limite floue et psychologique dont le franchissement peut complètement nous échapper. D’un autre côté, ce serait un véritable suicide des démocraties et un coup de poignard dans le dos des Ukrainiens de laisser ce peuple sombrer sous une occupation  barbare. Entre ces deux écueils, où se trouve la raison ? Où tracer la ligne ‘’miraculeuse’’ qui sauverait à la fois l’Ukraine, la Paix, le climat et un ordre mondial qui ne soit pas marqué par le revanchisme, les souverainismes, la faim, les exodes, les catastrophes naturelles (l’Ours se prend la tête entre les mains, à deux doigts d’un sacré mal de crâne) …

Dans tous les cas, le coût environnemental des guerres est incommensurable. Nos efforts pour rouler électrique, recycler nos déchets, préserver la biodiversité, tenter la sobriété sont réduits à néant par une seule semaine d’opérations militaires. Croira-ton malin de réduire les émissions de CO2 kaki en électrifiant les chars de combat ou en propulsant les missiles par voie de ‘’windsurfing’’ ? Ou encore en remplaçant la poudre par des substances biochimiques plus mortelles encore ? Le réarmement que l’Europe engage est urgent mais d’autant moins propre. Oublions ces errances dues à la déplorable volonté de ce blog de faire le buzz !

L’effort budgétaire absorbé par cette nouvelle course aux armements amputera les dépenses sociales et générera mécaniquement des tensions internes. Il est un peu suspect qu’au cours d’une campagne électorale française centrée sur le thème du pouvoir d’achat et hélas, totalement insensible au cataclysme du climat (une autre source de contraintes), personne n’ait osé soulever le sujet. Les lendemains qui chantent ne sont pas pour la prochaine législature. Au-delà de l’Europe, le commerce mondial tend à se recroqueviller aux dépens des pays les plus vulnérables. L’Afrique et le Moyen-Orient paieront en pénuries alimentaires et en inflation la guerre déclenchée par Vladimir Poutine. Par une triste ironie du sort, ces régions ne le désignent pas comme coupable …

Comment naviguer sur un océan de tempêtes ? Il n’y a bien sûr pas de recette miracle, mais les valeurs et la méthode offrent néanmoins une sorte de boussole, loin du confort d’un GPS. A court terme, il va falloir accepter l’Ukraine comme candidate à l’Union européenne – ce sera devenu une évidence avant que les armes se taisent puis à l’heure de négocier la paix – mais nous n’aiderons pas à rétablir un semblant d’équilibre si Kiev devient en même temps un maillon de l’OTAN actuelle. En tout cas, directement, sous emprise américaine. La meilleure solution pour apporter les garanties extérieures que demande le président Zelensky se trouve dans le cadre d’une Europe de la Défense qui s’assumerait pleinement (sans rompre avec Washington, cependant), complété par les réseaux de vigilance de l’OSCE (dont c’est justement la vocation) et par le système des Nations Unies (casques bleus et observateurs), qui seraient implantés sur le terrain, au plus près des belligérants. On pourrait pousser le raisonnement jusqu’à concevoir un modèle de ‘’semi-neutralité’’, impliquant la non-intervention de l’armée ukrainienne hors de ses frontières, couplée à la défense collective à l’intérieur de ses frontières. C’est d’ailleurs un peu ce qui se passe actuellement de facto.

Resterait à régler, dans les négociations de Paix, la capitulation (sans humiliation inutile, mais quand même) de l’armée russe, la rétribution des crimes de guerre et le déblocage du Conseil de sécurité au sein de l’ONU. Il est d’avis de l’Ours que le système du véto des cinq membres permanents devrait disparaître, si l’on veut empêcher la multiplication des agressions commises par les ‘’grands nucléaires’’. Vous voyez la classe politique française encaisser cela ?  Accepter que l’illusion de la ‘’grandeur’’ vaut moins que l’espoir de la Paix ? C’est pourtant vrai. Il le faudra bien pour sortir du climat mortifère de la géopolitique et s’atteler au problème du climat anarchique de la Planète.

* 16 mai – Les Nordiques ‘’tournent cosaques’’

Pour vivre heureux, vivons cachés… surtout pas de vagues ». Telle n’est plus la devise officieuse de la Finlande, depuis son entrée dans l’UE. Ce peuple sobre et réfléchi m’avait étonné, par sa détermination collective et sa capacité à trancher de façon pragmatique. J’avais travaillé quatre ans en Suomi / Finnland, à l’époque de l’effondrement de l’URSS et des indépendances (fortement réprimées) des républiques baltes, ses sœurs et voisines. Le Pays des Mille Lacs avait opéré, sous mes yeux, un virage à 180° vers l’Ouest, suivant sa ‘’Mère-Suède’’ sur le chemin de Bruxelles. Il y a quelques semaines, le président Sauli Niinistö et la Première ministre Sanna Marin ont décidé que leur pays rejoindrait l’Alliance atlantique et son commandement intégré, ‘’sans délai’’ (du moins qui soit imputable à Helsinki). Nouveau basculement stratégique, comme en 1991, sous le président Koïvisto et les Finlandais font à nouveau bloc, entrainant leur voisin suédois dans leur sillage (auparavant, c’était l’inverse : Helsinki avait suivi Stockholm vers l’Europe). La candidature à l’OTAN vient d’être officialisée par l’exécutif, avant une réunion du Parlement, ce jour – une simple formalité – et l’envoi de la candidature formelle au siège de l’Alliance. Lors de son sommet de Madrid, le mois prochain, elle devrait être acceptée en même temps que celle de la Suède, également ‘’ex-neutre’’. L’agression de l’Ukraine aura servi de traumatisme déclencheur, avec le constat que l’Europe centrale et nordique est menacée par la frénésie d’expansion grand-russe. De plus, l’oukase du Kremlin sur les élargissements passés comme futurs de l’Alliance atlantique on fait l’effet d’un déni de souveraineté, justifiant ce changement de pied défensif. Vladimir Poutine s’est encore tiré une balle dans le pied.

Fidèle à sa façon de rugir, le Maître du Kremlin menace de prendre des mesures ‘’ technico-militaires’’ de représailles. Celles-ci ont été amorcées sous la forme d’une coupure de l’alimentation de la Finlande en courant russe représentant 10 % de son approvisionnement. Mais la Suède va y suppléer. D’autres manifestations agressives sont à attendre (cyber-attaques, provocations en Mer baltique ou en Laponie, contraction des livraisons de bois, pressions sur les nombreuses entreprises finlandaises en Russie, etc.).

Le pays du président neutraliste Urho Kekkonen, deux fois en guerre contre l’URSS, était devenu neutre par la force des choses (une intervention parallèle à l’offensive allemande ‘Barbarossa’ pour ‘’récupérer la Carélie’’). Cela avait été consacré dans un Traité avec la défunte URSS. Ultraprudent de ne  pas irriter l’Ours – dont il se méfie, par ailleurs – il en s’est intégré en membre solide et fiable de la famille bruxelloise, en vérité en bonne recrue. Par souci de franchise et de transparence, le chef de l’Etat finlandais a préalablement prévenu Vladimir Poutine de sa décision. L’autocrate lui a signifié que la fin du non-alignement militaire finlandais était une erreur historique, ‘’puisqu’il n’y a aucune menace à la sécurité de la Finlande’’. Pas si  évident, quand les mauvais souvenirs resurgissent de l’agression lancée par Staline en 1939 (la Guerre d’hiver).

Bien que ce retournement soit entièrement de sa faute, le Maître du Kremlin n’apprécie évidemment pas du tout ce changement de pied géopolitique. Restés historiquement et pour des raisons différentes hors des alliances militaires jusqu’ici, les deux pays nordiques (la Finlande n’étant pas ‘’scandinave’’) s’apprêtent à opérer une rupture majeure dans l’équilibre stratégique européen. De fait, la Finlande possède 1350 km de frontière avec la Russie, deux fois plus que l’Alliance atlantique n’en avait jusqu’ici. L’obsession russe d’un encerclement par l’Occident va s’accentuer, du Golfe de Botnie à la mer Baltique et tout au long de la frontière de Laponie, qui deviendront une aire de friction entre les deux dispositifs militaires, composante nucléaire comprise. Ladite obsession s’avère autoréalisatrice, prouvant que faire peur et sans cesse menacer ne paie pas, à terme. Un cinglant échec ! C’est par ailleurs une aubaine pour la Norvège (que tous ses voisins rejoignent désormais dans l’Alliance) et pour les Pays Baltes, dont le bouclier protecteur s’en trouve renforcé. Quant à ceux qui imaginaient une défense de l’Europe sans les Américains, la marche européenne de l’Histoire va les contrarier…

Si le soutien des membres occidentaux de l’Alliance est par avance acquis aux deux pays candidats, un imbroglio turc, totalement inattendu, apparaît pour compliquer la donne. La politique extérieure d’Ankara procédant, singulièrement au sein de l’OTAN, de tout et de son contraire, le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est mis à afficher une franche hostilité à l’entrée des deux pays nordiques. Dans ce forum, ses caprices lui valent un pouvoir de nuisance irritant. Il reproche aux Nordiques de servir d’’’auberge aux terroristes du Parti des Travailleurs du Kurdistan, répertorié comme terroriste et férocement combattu par Ankara. L’unanimité constituant la règle pour les décisions politiques des ‘’30’’, la Turquie tente de soumettre le processus à un petit chantage. Stockholm et Helsinki n’avaient eu aucune indication préalable de cette mauvaise humeur du Sultan. Sans doute, celui-ci finira-t-il par lever ses objections, non sans s’être servi de la crise en tout opportunisme. Erdogan a aussi quelques comptes à régler avec les Occidentaux et aime à les contrarier, quitte à jouer de pressions symétriques avec Moscou. Son appartenance à l’Alliance n’est ni stable, ni gratuite, à l’image d’un enfant gâté.

En tout cas,  »chapeau, la Finlande ! »

* 20 janvier – Poème russe

En introduction de son discours à Strasbourg, Emmanuel Macron a évoqué  »une Europe bâtie sur un modèle unique au monde d’équilibre entre liberté, solidarité, tradition et progrès. Il a rappelé que la construction européenne reposait sur trois promesses : la démocratie, le progrès partagé par tous et la paix. Mais aussi que ‘’l’ébranlement actuel du monde venait bouleverser ces trois promesses. Pour autant qu’il pourra y adapter le calendrier européen durant les six prochains mois, l’un de ses principaux objectifs de sa présidence européenne serait de sauver la paix, face à une probable offensive de la Russie en Ukraine. C’est noble. En prendra-t-il les moyens ?

Dialoguer avec Moscou parait un choix réaliste, si toutefois la France parvenait à se faire reconnaître du Kremlin comme un partenaire reconnu. Depuis son arrivée au pouvoir, Macron a notamment relancé à maintes reprises l’offre de partenariat, plaidant pour un dialogue ‘’franc et exigeant’’, qui, manifestement, n’intéresse pas Moscou. L’exercice ‘’n’est pas une option’’, certes, une nécessité dans l’absolu, mais cette France moyenne puissance aux intérêts globaux, capable d’intervenir militairement en Afrique et au Moyen-Orient est perçue par Poutine, sous deux angles : dangereuse et à marginaliser comme ‘’trop petite pour se mêler de tout’’.

En 2008, la diplomatie française avait, non sans ambigüité, œuvrer à un cessez le feu en Géorgie, aussitôt mis à profit par les forces russes d’invasion pour s’incruster / annexer ? les territoires qu’elles avaient occupés. En 2011, Paris a rendu la pièce à Poutine, en réinterprétant complètement le mandat que le Conseil de Sécurité lui avait confié sur la Libye. La manœuvre franco-anglaise, soutenue par les Etats-Unis, a provoqué la colère du Kremlin (comme d’ailleurs de Zhongnanhai). En 2014, Paris et Berlin ont mis au point un schéma ‘’Normandie’’ autour de la crise en Ukraine, schéma dont Poutine veut se débarrasser de la façon la plus humiliante possible pour les ‘’nains verbeux européens’’. Pas une option, alors, ce dialogue stratégique sans complaisance ? Mais pas une possibilité non plus. Au risque de choquer un tiers des Français, qui ont une appréciation positive du tyran moscovite, celui-ci voit la France et les Français comme une gêne et ressent à leur égard une profonde inimitié. Venir à lui avec un grand sourire le laisse carrément froid et sarcastique.

Alors que la tension s’accroît avec la Russie, notamment après l’envoi de troupes aux frontières avec l’Ukraine, Emmanuel Macron a raison de donner la priorité au renforcement de notre défense et à ‘’enfin construire un ordre de sécurité collective sur notre continent’’. Le construire d’abord entre Européens tient de la nécessité absolue et,  »en même temps », du pari impossible. On va progresser avec l’Allemagne, peut-être confirmer la vieille alliance militaire avec le Royaume Uni (surtout si les Britanniques arrivent à se débarrasser du bouffon du 10, Downing street), mais la culture dominante chez nos autres partenaires est plutôt celle d’Edouard Daladier : munichois. Quant à partager le résultat avec nos alliés dans le cadre de l’Otan, avant de le proposer le paquet à une négociation avec la Russie, c’est presque proposer un duel à mort entre Poutine et Biden dont les ‘’pages’’ européens seront les petits valais spectateurs. Le désaccord sur ce que devrait être l’Alliance atlantique est toujours là, même si la France, qui a réintégré les les forces communes, n’est plus le vilain petit canard provocateur de l’époque gaullienne. On la soupçonne quand même de tirer la couverture à elle, avec arrogance et de déstabiliser la Pax americana.

Bon courage donc au président français pour lancer, pendant les deux mois utiles de sa présidence tournante des 27, un réarmement stratégique de notre Europe comme puissance de paix et d’équilibre ! La paix et l’équilibre ne sont pas des obsessions russes. Seuls les citoyens de ce grand empire boiteux pourront, non sans peine, essayer de guérir paranoïa et mégalomanie d’une sphère dirigeante hors-du temps présent. Quant au bel agenda russe de la présidence européenne tournante, invoquons les icones des saints du Paradis pour qu’il se cristallise au-delà des belles paroles d’un maître de la Com…

* 16 juin – Autant en emporte le vent guerrier

Avons-nous envie de nous confronter à la Chine ? Veut-on faire d’elle notre ennemie ? Dans un registre très martial, le communiqué final du sommet de l’OTAN dénonce en l’Empire du Milieu un ‘’défi systémique pour l’ordre mondial et la sécurité de l’Alliance atlantique’’. Les Européens ont néanmoins cosigné ce brûlot qui réduit la seconde puissance du monde à l’image sinistre de ses arsenaux militaire et nucléaire et à sa propension à entrer en collusion avec la Russie, dans les crises internationales. Si l’économie reste un élément dans la relation avec Pékin – comment faire abstraction de la première puissance commerciale planétaire ? – l’approche devrait se faire défensive : méfiance à l’égard des investissements chinois, guerre technologique, cyber-confrontation, tricheries sur les règles du commerce. Au total, l’hostilité pékinoise à l’égard de l’Occident serait pour celui-ci un défi aussi redoutable que le revanchisme aventureux de Moscou.

Le trait est assez forcé. Pas même un mot aimable pour les peuples, les cultures, les solidarités nouées. Comme à son habitude, la France a été bien seule à s’interroger sur la pertinence d’un agenda stratégique extrême-oriental prioritaire pour une alliance centrée sur l’aire atlantique. Pékin reproche à l’OTAN ‘’d’exagérer la théorie de la menace chinoise’’. Ce n’est pas totalement faux et il est d’ailleurs piquant que la Cité interdite confirme l’existence d’une part de réalité dans sa (modeste) menace.


A Bruxelles, la vulgate très dure de Washington avait été relayée par avance, par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg. Les Européens n‘y croyaient pas plus que ça, mais ils ont quand même avalé la potion, ‘’pour ne pas gâcher des retrouvailles sentimentales si belles avec Washington’’. Toujours Mars et Venus (qui l’aime secrètement) …et une bonne dose de naïveté chez les ‘’27’’. Angela Merkel a modéré la sortie contre la Chine en invitant les partenaires européens à maintenir une position équilibrée envers Pékin. Il est vrai que le commerce extérieur allemand, hors-OCDE, se nourrit essentiellement du marché chinois. Emmanuel Macron a invité l’OTAN à ‘’ne pas confondre les objectifs’’ et à ne pas ‘’biaiser’’ la relation avec la Chine. Le défi ne serait pas de nature exclusivement militaire : ‘’cette rivale est aussi un partenaire indispensable pour résoudre de grands problèmes du moment, climatiques par exemple’’. Un ricochet inaperçu sur les eaux lisses de l’Alliance. Pourtant, ce qui est dit est dit.


Armé du punch de ses alliés, il ne reste plus, à Joe Biden, qu’à rencontrer Vladimir Poutine à Genève, pour lui régler son compte (pas à coups de revolver, mais de vérités). Associera-t-il les Européens à un dialogue ‘’carte sur table’’ avec son meilleur ennemi ? Berlin et Paris, notamment, voudraient un ‘’dialogue exigeant ‘’ avec le Kremlin et surtout en être parties prenantes. Emmanuel Macron tient particulièrement à ce que la France soit actrice dans toute négociation sur la maîtrise des armes nucléaires. La crédibilité de la force de dissuasion ne peut être préservée qu’à ce prix. Les intérêts stratégiques de l’Europe, de même. La hantise existe toujours que ressurgisse le condominium russo-américain sur l’équilibre stratégique européen et la paix ou la guerre au plan global. Inviter la Chine n’apparaît pas non plus comme une bonne idée aux Européens, ou alors, pourquoi pas, avec l’Inde, le Pakistan, Israël, etc., ce qui ne serait pas plus réaliste.

Enfin l’objectif d’une autonomie stratégique de l’Europe n’a été traité qu’en passant : l’Alliance  »relève sa cohérence et sa contribution à l’OTAN », mais elle ne dit rien sur la façon dont elle pourrait s’en accommoder pratiquement. Tant qu’à Bruxelles/OTAN, les Européens ne frapperont pas leurs chaussures sur leurs micros pour exiger que l’on passe aux actes, le concept restera … un concept, donc rien qui ne puisse troubler la sérénité retrouvée de l’OTAN.

* 12 janvier – Partenaires contre les illuminés du monde

Dopés par la fin pitoyable du mandat de D. Trump, les régimes voyous ciblés par Washington peaufinent leur vengeance. Téhéran fait monter en régime ses centrifugeuses pour porter à 20% le taux d’enrichissement de son combustible nucléaire, une cote mal taillée, supérieure à une utilisation civile mais aussi bien en deçà d’un usage militaire efficace. L’aile dure du régime des Mollahs adopte une posture triomphale, plus belliciste que jamais. Il est vrai qu’avant de quitter la Maison Blanche, le président calamiteux doit éprouver in peto quelque tentation de ‘’frapper un dernier coup’’ contre les Pasdarans. Inscrire les Houtis du Yémen sur la liste du terrorisme international (et Cuba, tant qu’à faire) constitue déjà un message d’au revoir mais cela reste loin du but.

A Pyongyang, devant le 8e congrès du Parti des Travailleurs, Kim Jong-Un annonce le prochain lancement d’un sous-marin nucléaire à même de ‘’subvertir’’ les Etats-Unis (comprendre : frapper de ses missiles nucléaires une ou plusieurs mégapoles américaines). L’Oncle Sam est ‘’le plus grand obstacle à notre révolution et notre plus grand ennemi’’. Pour se rendre suffisamment menaçante, la Corée du Nord va s’appliquer à développer davantage sa technologie nucléaire et, notamment, à produire des ogives nucléaires légères et miniaturisées transportables en ‘’bouquet’’, par ses lanceurs à longue portée Nodong. Le point d’impact potentiel dépasserait la cible actuelle de Hawaï, étirant la portée des frappes jusqu’à Los Angeles, voire plus loin. Tel est le point d’aboutissement des relations  »affectueuses » établies lors du sommet de Singapour Trump-Kim en 2017. Entre insultes et poignées de mains, aucun progrès substantiel n’a été enregistré. La mollesse des positions de Washington n’a nullement empêché cette dérive tumultueuse de Pyongyang, qui se considère gagnante au jeu des initiatives provocatrices et tumultueuses entretenant la tension. Joe Biden est bien instruit de cet échec et il ne choisira pas le ton de l’apaisement face au voyou nucléaire. Le nouveau président est déjà qualifié par la Maison Kim de ‘’chien enragé’’, qu’il faudra ‘’battre à mort’’.

Tout ce qu’il y a de dictatorial ou de malfaisant sur la planète va s’empresser de tester les nerfs de l’administratio démocrate entrante. Heureusement, J. Biden s’entoure, pour la politique extérieure, d’une équipe de professionnels accomplis, de bon sens et particulièrement bien disposée à coopérer avec les Européens. L’Amérique se sait moins forte, moins respectée du monde et les nouveaux venus devraient moins insister à imposer leur leadership de principe. C’est un bon point de départ pour établir un partenariat des démocraties, respectueux des projets des uns et des autres. ‘’UE, précise nous vite quel est donc ton projet !’’

Idleb, capitale de l’inhumanité

Bachar : « On se retrouve, après une page de négociations ». Dessin de Chappatte (Suisse), publié dans Le Temps le 14 mars 2016

Tombée dans l’oubli, à l’heure du « tout-pandémique », la région syrienne d’Idleb (3,5 millions d’habitants) est soumise par le régime de Bachar al-Assad à une offensive militaire acharnée visant à reconquérir l’ultime bastion tenu par des rebelles, pour une bonne part jihadistes. La guerre de reconquête est menée, on le sait, avec le soutien de l’aviation russe, à qui revient le privilège d’effectuer les plus gros bombardements (écoles, hôpitaux, etc.). En trois mois, les combats ont fait près d’un million de déplacés civils, un bien triste « record ». L’offensive a, par ailleurs, provoqué des accrochages meurtriers entre soldats syriens et mercenaires (également jihadistes) envoyés par la Turquie. Celle-ci occupe une large bande territoriale du nord de son voisin pour la « nettoyer » de ses habitants Kurdes, qui ont été des alliés efficaces de la coalition internationale contre Daech puis ont été froidement abandonnés par l’Occident, depuis lors. Elle a fermé sa frontière contre laquelle les survivants fuyant l’offensive de Bachar et de Poutine se trouvent bloqués dans la souricière. Pas simples, ni glorieuses, ces calamités en mille-feuilles …

On est donc dans le plus grand drame humanitaire du Siècle et voilà qu’une vingtaine de soldats turcs vient d’être tuée dans les frappes aériennes qui dévastent la région. Ces pertes s’inscrivent dans une spirale d’affrontement entre Ankara et le régime de Damas, appuyé par Moscou.  De déséquilibré, le néo-sultan Erdogan en devient fou-furieux, son immense susceptibilité paraissant blessée. Une riposte militaire est décidée, au moins contre Damas sinon contre son mentor russe (qui tente, en vain, de calmer le jeu, double jeu en ce qui le concerne).

Le comble : Ankara fait appel à la solidarité atlantique et demande l’instauration d’une zone de non-survol, oubliant avoir trahi l’OTAN par ses comportements offensifs, ses achats d’armes antiaériennes et ses tractations cyniques… avec Moscou ! Pour faire bonne mesure, une fois de plus, la menace est lancée d’ouvrir « les vannes » aux réfugiés entassés sur son territoire, pour submerger l’Europe. On devrait suspendre la Turquie de l’Alliance atlantique en attendant qu’elle s’achète une conduite et la boycotter sur le plan de la défense européenne. Et, pourquoi pas, sanctionner un gouvernement-voyou. Malheureusement, l’Europe, claquemurée dans ses doutes et ses craintes,  est comme absente du monde. Malheureusement aussi, D. Trump ne pense que du bien de son homologue turc et même l’encourage à persévérer… Ce réflexe d’appuyer »l’allié » turc est franchement mal inspiré. Est-ce uniquement parce que la Russie sévit du côté adverse ou, aussi, la marque d’une sorte d’affinité entre potentats populistes ?

(article tiré des brèves du jour)