* 19 mai – Biden en virage lent

Le cauchemar israélo-palestinien rattrape Joe Biden, qui espérait bien échapper le plus longtemps possible à ce conflit sans issue. Détourné, malgré lui, de ses priorités asiatiques et des grands défis globaux (climat, crise du Covid, relance de l’économie, etc.), le voilà confronté, comme ses prédécesseurs, à la violence enracinée dans le Proche-Orient incandescent… et exposé à la pression de l’aile gauche de son parti : le dilemme se situe entre le droit d’Israël à se défendre et la prise en compte des droits des Palestiniens.


L’aile progressiste des Démocrates l’appelle à revoir la politique traditionnelle des Etats Unis d’appui inconditionnel à la sécurité de l’État hébreu. Bernie Sanders, l’incarnation de la gauche qui se réveille au sein de la jeunesse, comme la très populaire Alexandria Ocasio-Cortez, élue de New-York, l’appellent à pousser plus à gauche le curseur d’un grand nombre politiques intérieures. La question est également posée pour la diplomatie, désormais.
Mais la crise israélo-palestinienne n’était pas censée ressurgir aussi vite, avant le délai nécessaire à une revue générale des politiques extérieures, nécessitant d’intenses et longues tractations internes. Les incidents de Jérusalem et leur généralisation aux territoires mixtes ou occupés – et même au-delà – créent soudainement la nécessité d’une posture face à la violence extrême que rien n’a pu éteindre, depuis le 10 mai. Cette violence s’est muée en guerre entre Tsahal et le Hamas. Le monde arabo-musulman risque la contamination et le reste du monde désigne le président américain comme le seul qui puisse y mettre fin, du moins du côté israélien. Selon Mme Ocasio-Cortez, l’absence d’admission des faits à l’origine du cycle de violence – à savoir ‘’les expulsions de Palestiniens et les attaques contre la mosquée Al-Aqsa -escamote les motifs de révolte des Palestiniens et laissent prévoir que les États-Unis vont fermer les yeux sur la catastrophe humanitaire en cours. ‘’Pourquoi cette question n’est-elle presque jamais posée ?  »Quels sont les droits du peuple palestinien ?’’ questionne, de son côté Bernie Sanders.


Nombre de personnalités démocrates issues de la majorité modérée pressent aussi la Présidence de prendre ses responsabilités, démarquées de l’engagement inconditionnel pro-israélien de l’ère Trump, en mettant en avant son souci déclaré des droits humains et une volonté d’équité entre les protagonistes. Un émissaire américain a été dépêche sur zone. Biden a contacté le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, mais pas le Hamas, taxé de terrorisme. A ce jour, il s’est contenté d’appeler à la retenue militaire tout en soulignant surtout le droit d’Israël à se défendre. La frustration du camp du changement est à son comble et le reproche monte qu’il fait fi des droits des Palestiniens et de la situation humanitaire à Gaza. Signe de leurs hésitations à franchir le pas, les États-Unis assistent aux réunions du Conseil de sécurité pour y refuser toute résolution qui pourrait imposer (en théorie) une cessation des hostilités. Un répit sanglant est donné à Nétanyahou, pourtant privé de toute légitimité politique dans son pays, pour ‘’finir le travail’’. Dans cette mer de critiques, l’administration Biden cherche surtout à maintenir l’équilibre entre l’aile gauche et l’aile traditionnelle des Démocrates, tout en se préservant d’ouvrir un nouveau front avec les Républicains, par principe alignés sur les positions israéliennes. On ne gouverne pas les Etats Unis comme on piloterait un hors-bord : c’est un très lourd vaisseau et tout changement de cap est laborieux. Rarement à 180 ° d’ailleurs sur ce genre de question ‘’quasi-interne’’ mobilisant le Congrès, mais pas impossible. Souhaitons que le timonier soit vaillant et musclé, à la barre !

* 14 mai – Ruminer le Proche-Orient

La situation du Proche-Orient est si dramatique, si violente, qu’on ne peut échapper au sujet. Avouons néanmoins que tout ou presque a déjà été dit et même essayé – et depuis longtemps – concernant ces enchainements de violence et de haine. Ceux-ci sont devenus, depuis des décennies, le marqueur de la tragédie israélo-palestinienne. N’attendez donc aucune révélation de cette brève, juste un souffle de tristesse devant le plus significatif, le plus impardonnable, des échecs de la Paix. De même pour ce qui est des pertes de vies innocentes, dont le décompte s’amplifie inexorablement. Ajoutons que celles-ci ne sont hélas qu’une carte ‘’dissuasive’’, pas même un enjeu, dans la stratégie de terreur concoctée, comme par connivence, entre l’extrême droite israélienne, dominée par les colons et les ‘’orthodoxes’’ (bien télécommandés par les derniers gouvernements de Jérusalem) et une jeunesse arabe palestinienne désespérée et risque-tout, que le Hamas sait porter à ébullition (pour étendre son influence aux dépens du Fatah). Dans un conflit aussi ancré dans les psyche collectives, lesquelles sont presque fossilisées par un siècle d’affrontement, les crimes se répartissent inévitablement entre les deux bords.


L’entrée du ‘’Grand Israël’’ dans un épisode de guerre civile va unifier les conflits et les camps protagonistes : c’est à la fois la Saint Barthélémy (deux populations, habitant Jérusalem et les villes mixtes, qui se massacrent), les croisades et l’occupation territoriale, l’ethnicisme suprémaciste conduisant à l’apartheid et enfin une posture guerrière face aux alliés extérieurs de l’ennemi intérieur. Tout cela est toxique. Dans toute enquête sur les facteurs déclenchants, le respect de la vérité oblige à pointer les mesures d’extorsion (expulsions de Jérusalem Est) et d’humiliation (non-respect des lieux saints de l’Islam, nouveau dispositif sécuritaire discriminatoire, quartier libre donné aux extrémistes anti-arabes) comme impliquant une responsabilité supérieure (mais pas exclusive) du gouvernement de l’Etat hébreux. Celui-ci a suivi cette ligne, de façon constante, sous les gouvernements Natayahou successifs.


En élevant le niveau d’analyse à la géopolitique, il apparaît que la puissance dominante devrait reconnaître qu’elle détient l’avantage d’une conscience plus éthique et d’une responsabilité plus grande, comparativement au protagoniste dominé, dont la faiblesse n’est compensée que par la vigueur de son désespoir. Nous n’avons guère perçu cette vérité au travers de nos anciens conflits coloniaux, ni les Etats-Unis dans leurs expéditions impériales en Amérique centrale. La Chine reste aveugle à ce principe, au Xinjiang comme au Tibet. Pourtant, la nécessité de compenser l’asymétrie des forces est désormais admise comme un adjuvant au rétablissement du droit international, quand il est bafoué. Par essence, la question des territoires occupés n’est pas très différente, de celle du Donbass occupé ou de ce que fut la guerre d’Algérie. Sur le terrain, demeure, au contraire, le ressassement mortifère des torts subis. Qu’il serait heureux d’oublier les blessures de l’Histoire et d’y voir plutôt une science utile pour nous faire échapper au déterminisme des ruminations vengeresses sur les errements passés ! Les émotions négatives finissent par rendre fous des peuples entiers …Vous ne lirez pas ça dans votre journal habituel car c’est une vérité incorrecte à dire.


La fin du mandat britannique en Palestine remonte au 14 mai 1948, il y a 73 ans. C’était le jour premier de la Nakba, cette dispersion forcée des habitants musulmans et chrétiens qui composeront, au fil des épreuves, le peuple palestinien. L’anniversaire est explosif. Il reste, comme le peuple juif, accroché à son malheur, mais le sien se perpétue et n’est jamais soigné. Nakba contre Shoah, les deux identités douloureuses se ferment l’une à l’autre les voies de l’avenir. Celui-ci devrait évidemment être une réconciliation et un partage (les deux Etats), mais il est désormais quasi-impossible d’y parvenir contre les acteurs eux-mêmes. Aux dépens des vieux idéaux démocratiques, l’affrontement enkysté est devenu la Loi, conférant un pouvoir fanatique guerrier aux  »profiteurs de guerre », sur des civils apeurés ou simplement inertes. Des deux côtés, la vengeance et l’humiliation de l’autre justifient une gouvernance ‘’sécuritaire’’, sans âme ni vision. Par résonnance identitaire, cette impasse menace de contagion une partie de la jeunesse européenne mais aussi l’ensemble monde arabo-musulman. Le reste du monde reste muet et impuissant. Encore et toujours d’autres guerres ?

* 11 mai – Jour de la ‘’réunification’’ de Jérusalem

Les violences de ces derniers jours dans la Ville Sainte étaient liées à de nouvelles méthodes d’expulsions de Palestiniens de Jérusalem Est. La furie s’est généralisée.

Depuis juin 1967, Jérusalem-Est constitue le nœud le plus inextricable du contentieux israélo-palestinien. C’est, à la fois, la question la plus douloureuse et la moins traitée du contentieux. De fait, les négociateurs des accords d’Oslo de 1993 l’avaient mise de côté comme étape ultime d’un processus de paix, sachant trop bien le potentiel de déchainement des passions qu’elle contenait. Ceci s’explique de par la concentration de tous les lieux saints dans un mouchoir de poche géographique, mais aussi du fait de l’enjeu politique attaché, de part et d’autre, à la fonction très symbolique de capitale d’Etat. Bientôt trois décennies et des dizaines de relances vaines, américaines ou européennes, auront scellé l’impossibilité d’un plan autour de deux Etats vivant en coexistence.


Les générations se sont succédé : intransigeante, insensible au droit et ancrée dans la confiance en sa force, du côté d’Israël ; déstructurée, abandonnée et révoltée de sa propre faiblesse et de l’indifférence du monde, du côté des Palestiniens. La cassure entre l’OLP et le Hamas, depuis 15 ans, de même que 12 années de gouvernement Netanyahu à la tête de l’Etat Hébreu ne procurent, à chaque camp, que des séquences de violence absolue, en guise d’unité retrouvée. Les prédations des colons israéliens, les collisions entre fidèles de confessions rivales, les décisions de justice iniques – dont les expulsions forcées de Palestiniens de leurs logis ou de leurs terres ancestraux – les cycles de vengeance prenant pour cibles des non-combattants, la mort qui rôde dans les airs… On aurait du mal à recenser toutes les étincelles qui peuvent mettre le feu aux poudres. Une circonstance aggravante s’y ajoute : après quatre scrutins accouchant de coalitions impossibles en Israël, ‘‘Bibi’’ a perdu tout mandat mais reste néanmoins au mannettes comme gestionnaire des ‘’affaires courantes’’. Il s’est fait une spécialité de se maintenir au pouvoir par la guerre. Ce n’est guère mieux du côté palestinien, où Mahmoud Abbas, totalement déconsidéré, rechigne à l’exercice de la démocratie et frustre la jeunesse palestinienne.


A Jérusalem Est,  »partie inaliénable de la capitale éternelle d’Israël », la présence arabe est méthodiquement grignotée au fil des expulsions. Cette menace réveille le douloureux souvenir des grandes dépossessions de 1948 et 1967. Comme stratégie de conquête, elle déstabilise les Palestiniens dans leur espace de vie traditionnel. L’épicentre en a été le quartier de Cheikh Jarrah, où vivent 300 000 Palestiniens, progressivement chassés par l’expansion de plus de 200 000 extrémistes juifs. Il n‘en fallait pas plus pour faire exploser les territoires occupés et tout l’espace israélo-palestinien. En pleines cérémonies de fin du Ramadan, les violences ont éclaté sur l’esplanade des Mosquées, puis partout.
La justice israélienne n’approuve pas explicitement, mais elle ne se hâte pas non plus à trancher les litiges. Elle laisse simplement le déplacement de population se produire de facto. C’est donc aussi à cause d’elle que l’idée d’une solution à deux États est devenue pratiquement impossible, le grignotage continu des territoires occupés ayant privée ce schéma de toute viabilité. Plusieurs pays arabes (Bahreïn, Émirats arabes unis, Maroc, Soudan) ont normalisé leurs relations avec Israël, l’ex-administration Trump a transféré son ambassade à Jérusalem… Tout va dans le même sens : le Grand Israël prend forme – sous un régime d’apartheid – et plus personne ne semble à même d’arrêter ce processus destructeur autant qu’illégal.


Réagirait-on encore à l’annexion de Jérusalem Est ? Par des mots courroucés, certainement. Mais qui aurait la folie d’introduire la force du droit dans cette poudrière ? Pour le système des Nations Unies et toute la chaîne des institutions post-1945, fondées sur la Charte de San Francisco, se serait un terrible revers systémique. Accepter ce précédent reviendrait à entériner les conquêtes en Ukraine, Moldavie, Géorgie, etc. de la Russie de Poutine ou d’attribuer toute la Mer de Chine et les franges de l’Himalaya à la Chine. Ce serait aussi passer aux pertes et profit le droit international humanitaire et celui des conflits, dont dépendent les vies de centaines de millions d’innocents (à commencer par les 83 millions de civils déplacés ou exilés). Une ère de colonisation débridée et violente ne pourrait-elle pas s’en suivre, alors que les catastrophes climatiques suscitent des convoitises pour la terre et pour l’eau et qu’elles se concrétisent par des bruits de bottes ? Le monde n’en peut plus du conflit israélo-palestinien. Celui-ci use les énergies positives et menace la sécurité de l’Europe, où ses résonnances sociales et psychologiques sont multiples et mortifères. Cela fait des décennies que le contrôle de l’incendie depuis l’extérieur est perdu. Les pompiers de la Paix y renoncent. Il faut néanmoins espérer que de nouveaux acteurs, mieux pourvus en discernement et plus courageux politiquement, émergeront parmi les protagonistes. Plaise à Dieu !