* 24 février – Dix ans en Libye, sans alibi

La tentative manquée de printemps libyen a aujourd’hui dix ans. La France avait cru ou feint de s’y investir en se portant au secours de la population de Benghazi, assiégée par les tueurs de Mouammar Kadhafi. Le sauvetage a été éphémère mais, en violation du mandat qu’elle s’était fait donner par les Nations Unies, ses avions de combat ont guidé les milices hostiles au dictateur jusqu’à celui-ci, caché dans une conduite en béton. Le régime s’est effondré avec son chef et une anarchie sanglante s’est installée en Libye. L’intervention de l’Otan, voulue par Paris et par Londres, a multiplié les frappes, sans assurer parallèlement aucun processus de reconstruction politique. Une décennie plus tard, le pays se débat toujours dans une guerre civile de type féodal, qui semble interminable. Divisée d’est en ouest, la Libye possède deux armées, deux banques centrales et deux parlements rivaux. Elle compte quelque 3000 milices armées qui pratiquent le pillage des ressources pétrolières et font régner la loi des bandits. De l’anarchie civile initiale, on est passé à un conflit par proxies, attisé par des puissances régionales assujettissant l’une ou l’autre des parties libyennes à leur hubris géopolitique. Pas de quoi pavoiser !

La France, par ses choix contradictoires (soutenir militairement les deux camps belligérants) et opportunistes a, elle aussi, contribué à la « décennie noire » vécue par les Libyens. Elle se dégage tardivement d’un bourbier d’interférences dans leurs luttes intestines, après s’être durement accrochée à la Turquie… et à l’Italie. Pour oublier ses errements, Paris s’en tient à une grille de lecture simplissime : l’islamisme, c’est le jihadisme ennemi et celui-ci, où qu’il soit sur le globe, ne poursuit qu’un but unique : commettre des attentats dans le ‘’nombril du monde’’ français. La même approximation règne d’ailleurs sur l’effort stratégique entrepris au Sahel, qui vise à protéger la France, pas vraiment les Africains. L’autre miroir simplificateur est celui des migrations : les pirates libyens nous aideraient en incarcérant les exilés. Les victimes de la crise syrienne ont payé cher le prix de ces errements libyens, sous la forme d’un blocage de tout règlement, à New-York : la Russie comme la Chine, échaudées par la crise précédente, ont trouvé motif ou prétexte à récuser des initiatives occidentales, soupçonnées d’objectifs ‘’cachés’’. Le coût de ces intrigues a été porté par une seconde population, plus proche encore de la France, qui a été, par le passé, la puissance mandataire de ce pays.


Saura-t-on jamais si Kadhafi a été exécuté de façon extra-judiciaire pour des contributions en cash très embarrassantes à la campagne présidentielle française de 2007 ? L’anarchie et la guerre ont effacé bien des pistes d’enquête. Au terme de deux guerres civiles, en 2011 et 2014, puis de la défaite de Khalifa Haftar, en 2020, après 14 mois de combat, la Libye vit une précaire accalmie des combats, mais sans rétablissement de la paix, de la justice ni de l’économie. L’ONU y a laissé une part de sa crédibilité. Toute à son insouciance et à sa pratique autocratique de la politique extérieure, la France, ne s’introspectera pas.

L’exil en France, un parcours du combattant

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article documentaire n° 14
La réforme législative de l’asile

Dans la définition qu’en donne la Convention de Genève : la demande d’asile (protection internationale) se fonde sur la ‘’crainte == à raison == d’être persécuté par ses autorités’’ : elle ne requière pas une persécution avérée mais des éléments de situation personnelle subjectifs, laissés à l’appréciation des Etats.

* En 1951, les réfugiés étaient européens. Maintenant, ce sont des ‘’envahisseurs’’ venus du ‘’Sud’’, dont le chemin de croix n’est pas moins lourd. Notre accueil est pourtant chiche et peu humain, jalonné d’innombrables obstacles administratifs ou policiers et de délais d’attente. Le dispositif sert à extraire, parmi les demandeurs, une majorité (83 %) de cas à rejeter, implicitement pour fraude à l’asile.

* Or, en matière de besoin de protection, il existe une graduation, du ‘’tout blanc’’ jusqu’au ‘’tout noir’’. La ligne de partage n’est pas claire entre une personne fuyant le risque d’être persécutée (réfugié) et un migrant ayant tout perdu et contraint à risquer sa vie pour s’en sortir. Nécessairement, l’asile s’intègre aux flux migratoires. Par préjugé, on va les confondre dans la même suspicion (fiche sur l’accueil en France). Pratiquement, on ne peut pas, il est vrai, traiter l’asile hors du contexte général des migrations.

1 – Motifs de la Réforme (compréhensibles et parfois louables, souvent critiquables)
– L‘objectif affiché des autorités françaises : ‘’désengorger’’ le système d’accès à l’asile en triant entre ‘’vrais’’ et ‘’faux’’ demandeurs (fraudeurs présumés). L’OFPRA accumule les retards (plus d’un an d’arriérés). L’embolie n’est pas due à une invasion soudaine ou un accueil libéral de la part de la France, même si le flux global vers l’Europe explose (guerres d’Afrique et du Moyen Orient, Kosovo…).

* Parmi les causes : la réticence des préfectures à traiter les demandes d’entrée de jeu (autorisations provisoires de séjour remplacées par de simples reçus), les délais excessifs de recours ou d’obtention de l’assistance juridictionnelle (un an de plus), l’interdiction du travail (légal), le déficit d’hébergement (20 à 25 % de SDF), la formation sur le tas des officiers de protection et des juges administratifs… Pourtant, les ‘’fugitifs’’ ont franchi un point de non-retour, leur refoulement étant heureusement prohibé par la Convention de Genève. Ils vont entièrement dépendre des prestations sociales et juridiques qu’on leur accorde (rôle important, ici, des ONG).

Les chiffres sont parlants : la demande d’asile en Europe explose. Le nombre de réfugiés reconnus par la France reste égal, au fil des ans, entre 10.000 et 12.000. L’Allemagne en accueillera quatre vingt fois fois plus en 2015 ! Non sans regimber, Paris a finalement accepté de relocaliser sur son territoire 15.000 demandeurs de plus en 2016 et autant en 2017. Sur la même durée, la Suède, trois fois moins peuplée, en accueille 8 à 10 fois plus. Le Liban, quant à lui, compte 1 réfugié pour 5 habitants. Un pays hospitalier, la France ?

* Les forces armées françaises interviennent dans de nombreux pays du ‘’Sud’’ pour défendre la souveraineté d’Etats fragiles et pour protéger les populations (parfois d’elles-mêmes). Dans le même moment, tout est fait pour fermer notre porte aux fugitifs de ces mêmes pays : aux Syriens (8 millions de fugitifs et 500 places en France/an jusqu’à récemment !), Irakiens, Libyens, Maliens, Centrafricains, Kossovar, Congolais, etc. Le sort des tibétains en France est plus enviable, un effet d’empathie culturelle ?

2 – Le grand centre de tri projeté par la réforme

– Il instaurera un traitement à deux vitesses : personnes vulnérables / pays non-sûrs (traitement normal) et ‘’ tous les autres’’ : les ressortissants de ‘’pays sûrs’’, les auteurs de récits contradictoires, les ‘’lents à demander’’, les déjà déboutés, les identités mal-documentées, les demandeurs confinés dans des lieux de privation de liberté = traitement accéléré (ex-‘’prioritaire’’ = bâclé). Aujourd’hui : 1/3 des dossiers, demain : 50 % des cas sera orienté vers des recours non-suspensifs, au risque de radiation, à l’absence d’accès à l’autorité de décision. Les « hot spots » que l’Europe s’échine à improviser à sa périphérie procèdent de la même essence.

– L’OFPRA est juge et partie, sur la base des jugements qu’elle porte sur les pays d’origine des demandeurs. Son pouvoir administratif est discrétionnaire. Ses officiers de protection sont soumis à des cadences de travail éprouvantes. Ils sont seuls à décider, sous la pression de l’urgence et de la politique du chiffre. Eux aussi expérimentent des difficultés avec les traducteurs. Ils sont incités à soupçonner une fraude dans toute demande d’asile (cf. fiche ‘’parcours du combattant’’ du demandeur d’asile).

– Les demandeurs sont marqués par leurs épreuves subies, par la perte de repères, l’ignorance de la langue et du milieu d’accueil. Ils éprouvent une certaine méfiance envers les administrations et les fonctionnaires en uniforme. Cette méfiance leur a permis d’accéder jusqu’à nous en contournant les barrières migratoires. Face aux expédients visant à ‘’faire le tri’’ parmi eux, ils ne comprennent pas bien ces procédures complexes et doivent naviguer à vue entre des écueils : trop d’assurance et de précisions dans leur récit de vie = soupçon de faux témoignage. Inhibition à raconter leurs épreuves et à documenter leur dossier = désintérêt pour eux.

* La réforme introduit plusieurs motifs nouveaux pour les disqualifier, avant l’étape de la comparution: ‘’ irrecevabilité’’ de la demande, radiation de la personne, ‘’clôture du dossier’’. On sanctionnera ainsi un rendez-vous manqué à l’OFPRA ou un refus de rejoindre le CADA désigné en province. On requerra du demandeur hébergé de pointer et une autorisation d’absence s’il va contacter une ONG ou ses parents ailleurs en France.

* En fait, des nouvelles directives de l’UE, la France n’a repris que les dispositions pouvant étendre son pouvoir de contrôle, ce qui rend son dispositif plus restrictif encore.
– Demeurera le problème des recours non-suspensifs devant les juridictions administratives d’appel, dénoncé par la CEDH. Celle-ci voit dans ces démarches sous couperet, sans moyen d’aboutir (traducteur, conseil, accès à un fax, etc.) la marque d’un droit ‘’non-effectif’’= en trompe-l’œil. Dans les situations courantes, le droit de recours sera consolidé (recours en CNDA ? recours depuis les CADA) et on attendra que le juge ait statué pour expulser. Dans d’autres (Zones d’attente aéroportuaires, CRA) l’administration gardera les mains libres.

– De plus, pour diminuer le coût de fonctionnement des juridictions on s’engage vers des cours administratives siégeant avec un juge unique au lieu de trois. Les problèmes de compréhension du parcours de vie des personnes et de la situation qui les fait fuir leurs pays vont donc empirer.

3 – L’U.E protège jalousement ses frontières. Elle traite les réfugiés sans cohérence ni ménagement

– Un autre point que la réforme française ne règlera pas est l’inégalité de l’accessibilité à la protection, au niveau des Etats-membres de l’UE (cf. fiche sur l’Europe). Certains pays européens ne respectent pas leurs obligations juridiques. Ainsi, la Grèce renvoie les Afghans, la Pologne les Tchétchènes, la Hongrie et la Bulgarie ne mettent en place que l’incarcération, s’affranchissant de tout dispositif d’instruction de l’asile ; l’Italie est très libérale pour le transit, beaucoup moins pour l’installation ; la Grande Bretagne se retranche derrière ses frontières (non-appartenance à l’espace Schengen) ; la France n’est pas toujours dans les clous, on l’a vu. Seules la Scandinavie, l’Allemagne et Malte jouent plutôt bien la règle du droit.

* Ailleurs, aux frontières de l’espace Schengen, bien menacées désormais d’un retour au « chacun pour soi », des murs anti-migrants sont parfois érigés (Hongrie – Serbie & Croatie ; Grèce-Turquie ; Bulgarie – Turquie ; Enclaves espagnoles – Maroc) et des dispositifs navals policiers – ceux de l’agence Frontex – gardent les frontières contre les migrants, quitte à en sauver quelques-uns de la noyade lorsque le drame est trop visible depuis nos côtes (plus de 4000 noyés recensés en 2014).

– Une fois l’exilé parvenu, malgré tout, en Europe, la loterie sur la vie des gens est aggravée par la procédure de Dublin. A chaque passage de frontière, le clandestin risque d’être refoulé vers son premier point d’arrivée en Europe – pays auquel revient, seul, la décision d’asile – et au pire, vers son pays d’origine. Il n’y a donc pas de choix libre de destination pour un fugitif, mais un jeu du chat et de la souris, imposé par la géographie de l’UE. Le Conseil Européen de Varsovie (automne 2015) a insisté sur la nécessité de revoir tout ce dispositif, parallèlement à l’attribution de « quotas d’admission » / clé de répartition, aux Etats-membres. Mais, alors que Schengen se délite, que les Pays-Membres de l’Ouest (plus accueillants) et de l’Est se renvoient la balle, rien ne se fait dans cette direction.

¤ Conclusion : La France ne connaît pas de vague d’immigration plus importante que dans son passé récent.

– Alors que ‘’ tous les malheurs du monde’’ dirigent sur l’Europe une petite partie du vaste exode de victimes (8 réfugiés sur 10 sont accueillis dans les pays du sud), elle se situe, surtout, au carrefour de routes migratoires empruntées. Pour autant, l’afflux vers l’UE ne se retrouve pas – pour le moment – dans les statistiques de demande d’asile de l ‘OFII et de l’OFPRA (5 % des arrivants seulement sollicitent et obtiennent une protection  et l’augmentation n’est que de 8 % en 2015 par rapport à la même période de 2014!).

– Surtout, la ‘’Patrie des droits de l’Homme’’ prend quelque liberté avec le droit international en matière d’asile et sa population se montre peu accueillante aux éprouvés. La réforme ne va guère corriger cette culture du soupçon mais contribuer à expulser plus vite les supposés fraudeurs. C’est un problème de débat citoyen qui dérive, hélas, vers la paranoïa contre ces autres nous-mêmes, que l’humanisme nous invite justement à aider. A l’heure de la réforme de l’asile, il y a là un motif urgent de plaidoyer.

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