* 1er mars – Le dilemme de mars

Des projets de réforme du régime d’asile européen commun sont en cours. Dans ce cadre, l’ACAT-France appelle l’État français, qui assure la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne (UE), à impulser une dynamique d’harmonisation des législations par le haut.

Ainsi, lorsque des familles afghanes sont contraintes de fuir leur pays, en raison de risques de persécutions, leurs membres éparpillés par les circonstances, devraient, en principe, bénéficier de conditions d’accueil et d’accès à l’asile semblables, quel que soit les pays européens d’enregistrement de leur demande de protection internationale. Juridiquement, les États membres de l’UE disposent d’un socle commun en matière d’asile. Les textes élaborés leur assurent-elles des normes communes, la même chance de s’en sortir et de préserver leur dignité, sur le territoire de n’importe lequel des ‘’27’’ ? Et bien, non. Le sort que l’Europe leur réserve est fortement dissemblable.

La politique européenne en matière de droit d’asile n’est, en effet, pas appliquée de bonne foi par les Etats-membres. Des variations dans un rapport de un à quatre caractérisent les chances d’octroi du statut pour un demandeur. Selon le pays, l’accès à l’étape initiale du processus sera parfois empêchée. En France, l’OFII est quasi-impossible à joindre par les arrivants et elle leur impose des délais de réaction démentiels, qui mettent en danger ces requérants, jugés ‘’sans papier’’ par la police. En Grèce ou en Hongrie, Slovaquie, etc., l’exilé standard est prestement enfermé.

En France, c’est une loterie parfois tempérée, parfois implacable. Le résultat – ou le but – en est de camoufler, dans une clandestinité opaque et dangereuse une bonne partie du flux : les faire disparaître des radars et des aides. Les préfectures divergent en matière de dureté et donc,, les règles présumées ‘’communes’’ varient d’un cas à l’autre. Le Ministère de l’Intérieur (le seul à qui ces administrations sont loyales) cherche à maquiller, aux yeux des électeurs, sa générosité nano-microscopique et son respect du droit international (la loi des chiffres, toujours ces chiffres qui nous gouvernent !).  Le refoulement aux frontières – surtout celles de l’Italie – de fuyards, hommes, femmes et enfants réduits à un état misérable est la règle, dictée à nos policiers aux frontières. Le choix d’un double langage et d’actions antagonistes remonte, en fait, au sommet de l’Etat. Mais écoutez aussi le discours purement idéologique des partis politiques … sur le sujet, ils se montrent partisans et très peu humains.

Avec cette loterie infernale de l’asile, les Afghans et les Syriens ont reculé dans l’échelle des priorités. Certains voisins européens renvoient les Afghans aux Talibans… un acte de complicité de crime contre l’humanité – ou les Syriens au Liban (sans les livrer directement au Hezbollah, il est vrai).

Mais un bouleversement d’ampleur s’empare depuis quelques jours du sinistre monde des 83 millions de personnes déplacées, celui de toutes les victimes de l’injustice et de l’insécurité croissante du monde. Le premier signe en a été l’exode des Biélorusses libres, frappés par la répression de la police d’Alexeï Loukachenko. Dans sa stratégie cynique, le tyran de Minsk a brandi contre l’Occident, une forme d’accueil forcé des demandeurs d’asile et autres migrants. La misère des exilés est ainsi devenue une arme pour instrumentaliser de pauvres gens dans la nouvelle guerre froide qui commence. Pour se venger de l’exode de ses concitoyens vers la Pologne et la Lituanie, le comparse moustachu de Poutine a machiné des filières d’entrée en Europe piégeuses en puisant dans plusieurs pays troublés du Moyen-Orient. On se souvient de la fureur de nos voisins est-européens et de leur répugnance à accueil ces milliers de morts vivants congelés et bloqués, au cœur de l’hiver, dans les forêts frontalières de la Biélorussie.

Vladimir Poutine est en train de faire pire encore. En envahissant un grand pays d’Europe, il crée un énorme mouvement d’exode vers l’Ouest, pour des millions de victimes ukrainiennes forcées de fuir leur pays sous les bombes et les obus. Ne doutons pas qu’il croit ainsi déstabiliser les Européens, en même temps que se débarrasser des patriotes ukrainiens. Mais, cette fois, l’Europe va faire de son mieux pour les accueillir.

Tendra-t-elle la main, de la même façon, aux Africains et aux Moyen-orientaux fuyant Kiev, Kharkiv ou Odessa ? Là se trouve le message de ce blog : toutes les guerres sont horribles et tous ceux qui cherchent à en réchapper ont droit à la même attention, à la même solidarité et au même réconfort. Espérons que les directives européennes assureront une certaine équité et, surtout, qu’elles seront respectées.

Qui va rappeler ce principe d’équité, dans cette campagne électorale française, où la transgression de l’Humain et les discriminations entre les identités de souffrance semble emporter l’opinion majoritaire ?

* 20 juin – Les damnés de la Terre ont leurs bourreaux

Iran, France, Ethiopie, Arménie, le 20 juin a vu une série d’élections plus ou moins convaincantes et plus ou moins suivies. Cette date marque aussi la Journée mondiale du Réfugié. Il y a peu de chance, dans l’atmosphère d’apathie post-Covid, qu’on y prête beaucoup d’attention. Chaque jour que Dieu fait est la Journée mondiale de quelque chose. Pourtant, celle-là est spéciale, en ce qu’elle teste notre humanité et notre capacité d’ouverture aux autres. Elle est aussi un indicateur de notre volonté de vivre en démocratie, à l’abri des discriminations et des souverainismes imbéciles. Surtout, en nous invitant à regarder et à comprendre le monde tel qu’il est, là où les gens (sur)vivent, la question des déplacés et réfugiés nous appelle à préparer un avenir qui ne soit pas dominé par les guerres et les conflits. Nous le devons à nos enfants.


Selon l’ONU, le monde compte 82,4 millions de personnes réfugiées ou déplacées dont 42 % de mineurs. 86 % des personnes déracinées sont accueillies dans les pays émergents, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). De fait, la France n’a reçu que 95 600 demandes d’asile en 2020, une contribution infime au soulagement de cette détresse. Chaque jour, dans le monde, des personnes s’enfuient de leur domicile. Rejoindre leur famille, chercher un emploi, se former à un métier porte leur espoir de trouver un lieu vivable. La guerre, les persécutions, les menaces, l’absence d’avenir les poussent à fuir, dans l’espoir tout simplement d’un avenir. Personne ne veut vivre pur rien sur cette Terre.

C’est un déni d’humanité de considérer toutes cette détresse comme une menace. Le droit international reconnaît et protège les droits des migrants, lesquels ne sont pas délimités par les frontières. Leur intégration passe par l’égalité des chances, la lutte contre les discriminations dans l’emploi, le refus des ghettos, le soutien éducatif, la participation citoyenne, tandis qu’en retour, les nouveaux résidents ont le devoir de respecter l’identité de la société, ses valeurs positives et l’ordre public. Pourtant, les déracinés constituent la population humaine la moins protégée contre le virus COVID 19. En avril, le HCR a étudié la situation sanitaire de 153 pays supposés dotés de stratégies de vaccination : très peu de plans prévoient un accès praticable au vaccin pour les exilés.

Parmi toutes les tensions qui traversent la société française – et toutes les sociétés occidentales -, l’immigration est la plus instrumentalisées qui soit. Ceci se fait à des fins partisanes malveillantes, au point que, même à l’occasion des scrutins départementaux et régionaux (sans aucun rapport avec leurs fantasmes), les états-majors ‘’illébéraux’’ s’échinent à introduire le thème de la ‘’sécurité’’. Le  »tout sécuritaire » est synonyme, pour eux, d’une confrontation avec l’ensemble du monde musulman (bien au-delà de l’islamisme) et des pauvres, d’une fermeture autarcique des frontières et d’une pratique xénophobe – voire belliciste – de la souveraineté, détruisant la démocratie. Il ne s’agit pas tant de contrer un chimérique ‘’grand remplacement’’ que de se hisser au pouvoir en surfant sur les peurs et les préjugés ignorants. Régner sur des ruines misérables mais régner, voilà toute la philosophie.

Cette évolution du discours politique a remis en question une histoire nationale faite de construction de la Nation par apports humains successifs. Triste et destructrice radicalisation des esprits, alors que l’immigration comme la mobilité des gens remontent aux origines de l’Histoire et contribuent à la richesse collective . Triste dégoût du brassage humain. Triste défiance à l’égard de la République et de l’intégration citoyenne, attachée à celle-ci depuis la Révolution française. Triste combat contre l’humanisme et contre l’humanité. Triste préférence pour la guerre, celle qui saignera les générations suivantes. Nous ne sauverons notre pays et notre continent que par la fraternité.

* 04 janvier – L’Europe à la matraque


Quand les frontières se ferment, singulièrement celles de l’Europe, est-il encore besoin d’y poster une police anti-immigration ? Depuis sa création, en 2004, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes – Frontex – n’a cessé de durcir son action, sans justification légale pour ce faire. Forte d’un effectif tendant vers 10 000 hommes et d’un budget pluriannuel de 5,6 milliards, Frontex a progressivement cessé d’apporter secours aux groupes humains en danger, sur terre comme sur mer, et elle se consacre surtout à refouler les nouveaux arrivants, en tous cas plus qu’à organiser leur accueil et à les canaliser vers des procédures d’asile ou de séjour. Cette implication dans la pratique du ‘’pushback’’, en violation de la convention de Genève sur les réfugiés de 1951, est tout simplement dénuée d’un minimum décent de comportement humaniste. Les faits émergent peu à peu comme un scandale communautaire, les refoulements illégaux entachant l’image des institutions européennes au point de créer un malaise. De plusieurs enquêtes, diligentées par l’Office de lutte antifraude de l’Union et par la Commission, ressort la mise en cause d’un mode de fonctionnement de l’Agence assez chaotique, incarné par son directeur, Fabrice Leggeri. Frontex s’en voit contrainte à arrêter ses opérations en Hongrie, du fait de sa collusion avec la police hongroise. Ses agents contrevenaient au droit européen en commettant des ‘’bavures euro-policières’’, en quelque sorte.

La Cour de justice de l’Union européenne a d’ailleurs condamné Budapest sous ce chef d’accusation, le17 décembre 2020, pour 50 000 refoulements opérés vers la Serbie, depuis 2016. La Commissaire aux affaires intérieures, Ylva Johansson, s’attelle, en conséquence, à un projet de réforme incluant la nomination de trois sous-directeurs et la création d’un système de surveillance des droits humains. Aux Nations Unies, l’UNHCR a évoqué, le 28 janvier, ‘’un droit d’asile menacé en Europe’’, sur la base des nombreux rapports lui parvenant, établissant des violences aux frontières de l’Union. Outre la Hongrie, la Grèce, la Croatie, l’Italie ou la Slovénie sont également mises en cause pour s’être livrées à des opérations de ‘’pushback’’ sur des milliers de personnes innocentes. Au-delà du cas posé par Frontex, on attend encore la définition d’un pacte migratoire européen comportant la refonte des règles de l’asile et l’instauration d’un devoir de solidarité respecté entre Etats-membres. La négociation bloque, malgré l’utilisation d’un simulateur censé aider chaque Etat à déterminer le niveau qui lui serait raisonnablement imputable dans la répartition des flux de réfugiés. Le fait est que le facteur de blocage est principalement d’ordre idéologique, identitaire et souverainiste, notamment dans l’Est européen. Que peuvent gagner ces pays, à long terme, à s’enferrer dans un déni du monde tel qu’il est ?