* 17 mai – Brexit et re-Brexit, par la barbichette

Ca recommence ! Le gouvernement de Boris Johnson menace de récuser des pans entiers du protocole du traité de Brexit de décembre 2019 instaurant une frontière douanière entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. ‘’Nous n’avons pas encore pris de décision finale mais la situation est très sérieuse’’ : non il ne s’agit pas de l’Ukraine mais bien du ‘’front’’ britanniqueLes répliques du divorce acrimonieux se répètent à l’infini entre Londres et Bruxelles. Et ça lasse fermement le public.

Défié par la cuisante défaite des Unionistes nord-irlandais en Ulster, Londres redouble d’assauts contre ce dispositif conçu pour éviter de relancer la confrontation entre communautés catholique (en progrès) et protestante (qui a perdu la majorité parlementaire). Johnson menace d’abandonner le chapitre irlandais du Traité – unilatéralement – en violation des engagements internationaux du Royaume. Le Royaume-Uni se verra   »contraint d’agir si l’Union européenne continue à se montrer inflexible’’. Ce sera par le biais d’un projet de loi que la Chambre des communes examinera dès la semaine prochaine. Il révoquera purement et simplement les contrôles douaniers établis en mer d’Irlande et cela rétablira ipso facto un marché unifié pour les produits transitant entre l’Angleterre et l’Irlande du Nord. Ce qui revient à séparer à nouveau les deux parties irlandaises. Est-il vraiment correct d’instrumentaliser Bruxelles ainsi, avec autant de mauvaise foi et de mettre de plus de l’huile sur le feu irlandais ?

A Bruxelles, on maintient qu’’’on ne renégociera pas le protocole’’ mais quel en serait le besoin si celui-ci se voit torpillé sans semonce ?  Boris Johnson est un pirate, on le sait, et on ne peut y faire grand-chose, sauf à manigancer une seconde guerre en Europe. Mais l’ère napoléonienne est passée de mode. On n’y peut d’autan rien que l’Union a déjà fait toutes les concessions possibles. A l’automne 2021, les contrôles sanitaires et phytosanitaires pour les produits alimentaires, végétaux et animaux destinés à l’Irlande du ont été réduits de 80% et les formalités douanières, allégées de moitié. Les règles concernant l’approvisionnement de l’Irlande du Nord en médicaments britanniques ont également été assouplies. L’Ulster, dans la vision de la ‘’Grande Bretagne globale’’ (la résistance sacrée à l’UE) est destiné à devenir un grand entrepôt où toutes les exportations anglaises passeront sans contrôle aucun dans le marché unique européen. J’aime beaucoup les biscuits Mc Witties et j’escompte bien qu’ils arriveront jusqu’à moi par la bande, hors-taxe !

Seulement, un grain de sable pourrait se glisser dans ce ‘’great design’’. Le jour où le Sinn Fein, majoritaire, prendra la tête de l’Exécutif nord-irlandais, la réunification des deux Irlande ne sera plus loin. Le nouvel Etat réunifié resterait amarré à l’Europe et sa frontière tomberait exactement là où Londres la refuse farouchement. Damnée Europe, vous dis-je !

* 18 avril –  Traite des exilés et jugement de Dieu

Vraiment pas drôle ! Alors qu’à l’Est de l’Europe la démocratie se bat pour survivre, sur la Manche et sur sa rive Nord, la plus ancienne des démocraties s’échine à déporter en masse des malheureux, comme au 19 ème siècle puis sous Staline. A Londres, quelques-uns marchent sur la tête ! Le fait est là : le gouvernement de Boris Johnson a annoncé, le 14 avril, un accord avec celui de Kigali (Rwanda) visant à transférer manu militari, dans ce pays distant de 6500 kms, les demandeurs d’asile parvenus ‘’illégalement’’ au Royaume-Uni : un non-sens puisque fugitifs, ceux-ci n’ont pas à justifier d’un visa mais seulement des persécutions avérées ou justement craintes qu’ils ont subies.

L’accord de déportation a été négocié en secret, depuis neuf mois, entre Londres et Kigali. Contre une généreuse rétribution, il vise à dissuader les passages par la Manche – entre 500 et mille par jour, en bateaux pneumatiques ou dans des camions – et à donner consistance aux promesses xénophobes du Brexit : moins de résidents étrangers, plus de contrôle des frontières. Hypocritement, Boris Johnson maquille ses motivations en une lutte contre les passeurs ‘’lesquels engendrent trop de misère humaine et de morts’’ (petite larme émue). Il admet, un peu moins fuyant, ‘’vouloir en finir avec l’immigration illégale… le seul moyen d’accueillir ceux qui ont vraiment besoin de protection’’.

Mais les accueillir où ? Apparemment, si certains de ces exilés devaient décrocher le statut de réfugié, ce serait de la part du Rwanda et pour y rester. Contre toutes les dispositions de la Convention de Genève sur les réfugiés, il s’agit, donc d’un projet de refoulement pur et simple britannique doublé d’un examen des cas par les autorités rwandaises. Aucune garantie de protection ne serait alors donnée aux intéressés, au bout du compte. Pour ceux qui seraient déboutés, libre aux autorités rwandaises d’en faire ce qu’elles veulent. L’on sait qu’elles ne sont pas réputées pour leur comportement humanitaire ni démocratique, que la torture y a toujours cours … qu’importe !

Le Royaume Uni vit, avec cette pénible affaire, un nouvel épisode de son Brexit. Il est clair que la plupart des Brexiters idéologiques s’accommoderaient parfaitement de de dévoiement du droit. Des précédents existent, notamment de la part du très xénophobe premier ministre libéral australien, Scott Morrison, mais Canberra n’a jamais délégué à Nauru ou au gouvernement papou – ses garde-chiourmes stipendiés – le soin de statuer sur le sort administratif des retenus à jamais parqués dans leurs camps. Pour le monde comme pour l’Europe, Johnson et sa ministre de l’Intérieur, Priti Patel, ont conçu une monstrueuse première, qui pourrait bien leur revenir en pleine face, par effet boomerang. Il y a trop d’ambiguïté à jouer ainsi avec les fêtes de Pâques, l’actualité ukrainienne très prégnante et, qui sait, peut-être aussi l’effet repoussoir du second tour de la présidentielle, en France.

Dès l’annonce du dispositif, les associations humanitaires britanniques ont bien sûr crié au loup. Johnson lui-même s’attend à des recours en justice. Le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (UNHCR) fait écho aux ONG. L’opposition parlementaire travailliste a appelé le Gouvernement tory à démissionner pour cette nouvelle forfaiture venant après le scandale des fêtes pendant les confinements. La presse insulaire évoque le risque d’une mutinerie au sein de la fonction publique, certains bureaucrates menaçant même de démissionner. Plus percutant, en pleine semaine sainte, la hiérarchie de l’Église anglicane pointe du doigt de ‘’graves questions éthiques’’.  La faute ‘’ne pourra pas survivre au jugement de Dieu’’. Que dire de plus ?  Que Boris, le populiste sans vergogne, n’est pas encore sorti de l’auberge, ni très stable au 10 Downing Street.

* 1er novembre – G20 : des séquences d’humeur.

Dans les grands évènements multilatéraux, tel le G 20 qui se tient à Rome, les avancées sur les questions de fond sont millimétrées. Que des marchandages s’opèrent, des ouvertures se fassent, cela se traduira peut-être, à plus long terme, par quelque résultat peu visible du grand public. En revanche, la moindre anicroche, le moindre grincement de dents va faire la une des médias. Les dossiers sont trop fastidieux à décortiquer, mais les photos parlent d’elles-mêmes. A cet égard, la rencontre préalable – soigneusement chorégraphiée – d’Emmanuel Macron avec le président Joe Biden a capté l’attention : les images en constituaient un intéressant pantomime .

L’oncle Joe, patelin et souriant pressait doucement la main de son homologue français comme pour prendre son pouls. Il lui parlait doucement, comme à un enfant qui pleure :  »mon pauvre petit, sans le vouloir, nous avons été maladroit avec toi … je sais que cette petite histoire de sous-marins australiens t’a fait de la peine… ne pleure plus, tu es notre petit neveu chéri » (grand sourire paternel). En face du tonton consolateur, l’enfant blessé, raide comme un piquet, tournait la tête à l’opposé de son interlocuteur. Il hésitait à prendre la main douce tendue vers lui, puis l’agrippait avec force comme pour l’écraser… petit bras de fer signifiant  »d’accord pour se reparler et peut être te pardonner, mais tes déclarations mielleuses ne m’impressionnent pas … seul la preuve par les actes sera retenue ». On imagine les multiples réunions de hauts représentants qu’il aura fallu pour mettre au point la saynète. C’était plutôt bien vu pour présenter le problème sur le fond mais ça ne faisait pas totalement sérieux. On attend la démonstration par la preuve : réintroduire la France dans le dispositif allié en indo-pacifique ? lui offrir un lot de consolation industriel dans le grand projet stratégique anglo-saxon ? On ne sait.

Premier constat : aucune mise en scène comparable ‘était prévue dans la rencontre entre les deux dirigeants français et britannique : impasse sur les images, commentaires critiques de part et d’autre, plaintes auprès de la pauvre Ursula van der Leyen qui n’y peut mais. Embargo sur les perspectives de raccommodage. C’est un autre style de pantomime : un grognement silencieux. Second constat : le problème, avec ces films d’ambiance, est que le scénario finit la plupart du temps en queue de poisson.

* 19 octobre – Temps brumeux sur la Manche

Tristounet, l’état des relations euro-britanniques, et les émotions aidant, celui des liens franco-britanniques. Le divorce a été sec, brutal et acté au couperet. L’heure est aux contentieux et aux suspicions. Tout ça aurait dû être évité. Aujourd’hui, le voisin d’outre-Manche est déserté par des corps de métiers immigrés ou expatriés, certains de ses étales s’en trouvent vides et les transports désorganisés, l’essence se fait rare, les communautés étrangères hésitent à rester. Tout ça pour ne rien devoir au grand marché européen et, surtout aux institutions communautaires qui en sont des rouages essentiels. La sacro-sainte souveraineté nationale a été mise au service de la séparation et elle trouve des échos tout aussi incisifs sur le continent.

Les droits de pêche dans les eaux britanniques en sont un déplorable exemple. Le Royaume Uni et, singulièrement, les îles anglo-normandes sont en droit de négocier ‘’souverainement’’, selon leur intérêt. Dans ma Bretagne, les armements de chalutiers sont rouge d’indignation devant les procédures d’octroi  des licences. Un bon nombre sont incapables de prouver leur présence ancienne et continue dans ces eaux poissonneuses et donc de remplir les critères. Le Homard et les langoustines se fond rares chez mon poissonnier. On aurait pu travailler sur des quotas d’ensemble plutôt que bâtiment par bâtiment. De là à organiser le blocus du port de Saint Hélier et de menacer la population de Jersey de lui couper l’électricité ! Et certains élus locaux qui s’y rallient. La prise d’otages est criminelle et inadmissible : qui sont les imbéciles qui veulent faire revivre la Guerre de Cent ans ?

Une autre blessure a été ouverte par le projet (américain) ‘’d’alliance’’  AUKUS en région indo-pacifique. Pas tant du fait d’un suivisme inconditionnel manifesté à l’égard de Washington (Paris aurait souhaité pouvoir en faire autant) mais de l’omerta maintenue pendant 18 mois à l’encontre d’une marine française étroitement associée à la Royal sur le plan opérationnel. On peut bouder. On pourrait aussi bien requérir de Londres un geste généreux et réaliste pour raccrocher le bateau français et dans son sillage, l’Europe, dans un grand plan d’ensemble, s’agissant d’une région ‘’chaude’’ du globe où la France administre des territoires.

Parlant de l’Europe, elle a eu quelque mérite à se préoccuper de la paix entre les deux Irlande. Dans ce volet sensible du Brexit, la négociation du protocole nord-irlandais s’est faite de bloc à bloc. Belfast a fait corps avec Londres et Dublin s’est fondu parmi les 27. Il faut reconnaître que la solution trouvée et acceptée par les deux parties est franchement bizarre et peu pratique : une frontière douanière en mer passant au milieu d’un Etat souverain. Cet arrangement à  »souveraineté écornée » crée une paperasserie et des délais difficilement soutenables. Bruxelles a d’ailleurs proposé d’alléger les procédures de moitié. Cela aurait dû être fait dès 2020. Mais, la blessure est aussi politique, nichée dans la fierté britannique.  De ce fait, la volonté du gouvernement de Boris Johnson de délier la Cour de Justice européenne de la gestion des contentieux sur le Marché unique relance les crispations et les suspicions (le Royaume Uni exerce-t-il une vengeance au-delà des désaccords de fond ?). Aux yeux du reste du monde, cette méfiance risque simplement de décrédibiliser la grande Europe (au-delà de l’UE). Elle existe et constitue notre voisinage le plus stratégique. Raison de plus pour mettre quelques bémols à nos susceptibilités, un peu archaïques et assurément stériles.

En une autre époque, j’ai pu constater la forte affinité entre les stratèges britanniques et français quant à leur vision du monde. De façon générale, les élites des deux pays se fréquentent avec plaisir. Quelle tristesse que les brûlots  des media des deux rives imposent un ton sarcastique et désobligeant à cette relation de toujours. Depuis la chute de l’Empire romain jusqu’à la Guerre de cent ans, on s’est certes pas mal ‘frités’’ comme entre toutes les tribus occupant un terroir, mais les Celtes des deux rives appartenaient aux mêmes familles et partageaient leur espace, leur langue et leur culture naturellement. Il faudrait s’inspirer de ce vieux cousinage.

* 26 mars – Piqués au vif

Le comportement tortueux de la firme AstraZeneca en matière d’exportation du vaccin anti-Covid fait monter le ton entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Au point de déclencher une mini guerre commerciale. La Commission et les Etats membres de l’UE accusent l’entreprise anglo-suédoise de ralentir délibérément la livraison des doses qu’ils ont commandées. Un quart des quantités réservées seulement a effectivement été fourni, tandis qu’une partie de sa production (30 millions) au sein des trois établissements qu’elle possède sur le continent reste stockée sans destination connue. En sens inverse, pas une dose produite dans ses établissements britanniques n’a été dirigée vers l’Europe. Ce ne sont là que des indices de tripatouillage, mais ils parlent déjà d’un égoïsme carabiné. D’où une suspicion tacite que le gouvernement de sa Majesté – partie à la stratégie vaccinale de l’Union et servi par celle-ci – encouragerait – voire, aurait conçu – une manœuvre de détournement à son profit. A ce stade, se posent les questions du respect de la transparence et du devoir d’équité, qui amènent l’UE à renforcer son contrôle sur les exportations de vaccins.

Boris Johnson n’a pas une forte réputation de rectitude, comparé, par exemple, à Angela Merkel. Sa stratégie électoraliste consistant à faire oublier l’erreur magistrale du Brexit par un succès – très réel – sur la vaccination conduit à le croire très capable de coups bas. D’un autre côté, le fait que plus du tiers de la population britannique ait été vacciné reste en soi un accomplissement positif, dont il faut se féliciter. Doit-on alors laisser le torchon brûler et enfourcher le destrier idiot du ‘’nationalisme vaccinal’’, ce réflexe populiste que Charles Michel, le président du Conseil européen condamnait, le 19 mars, comme indigne de l’Europe. Et il avait raison. Engager la polémique avec Johnson serait rejouer la bataille perdant-perdant du Brexit. Il a été confortablement élu et sa moralité n’est pas une exception dans le monde politique. Il faudra donc faire avec lui et poursuivre de façon déterminée les négociations sur les nombreux chapitres non-résolus du partenariat post-Brexit. Ceci implique une certaine retenue d’expression dans une relation qui doit se poursuivre, dense et dépassionnée.

En revanche, AstraZeneca ne doit pas établir impunément un précédent de dissimulation et de discrimination, dans une situation d’urgence sanitaire solidaire. C’est à la Commission européenne d’enquêter et de réclamer, le cas échéant, des indemnisations à cette firme. Que sa mauvaise réputation éloigne le public européen de ses produits n’est pas très grave, au moment où des sérums concurrents vont affluer  sur le marché européen. Une seconde injection effectuée avec Spoutnik V pourrait d’ailleurs fournir une alternative fonctionnelle. En pleine confusion, nos médias répercutent les très sévères jugements du gouvernement chinois, de l’OMS et de certaines ONG, comme quoi les Européens égoïstes ont sur-commandé des vaccins et en accaparent deux à trois fois les besoins de leur population, pour embrayer, en rubrique suivante, sur le grave déficit de vaccins à l’origine des retards de leurs campagnes d’immunisation. Qui croire ? Cette pandémie nous fait tous  »muter » en bourriques.