Pendant que la pénombre géopolitique persistait sur le monde, des élections ont eu lieu ça et là. Peut-être faudrait-il s’en réjouir. Peut-être, car la sagacité des gouvernements ne s’en trouve pas accrue, la démocratie n’y trouve pas toujours son compte, l’alternance se fait le cas échéant vers le passé, les populations ne s’attachent pas prioritairement aux vraies questions, celles qui touchent à leur (future) vieillissement, à la Paix, à la guerre, à l’émancipation, au climat et à la biodiversité, bref à la viabilité du monde à venir.
– L’exemple du bref passage à Downing Street de Liz Truss est sans doute le plus accablant. Elue à la barre d’un navire qui prend l’eau depuis le Brexit, la dirigeante conservatrice tirait sa légitimité du vote de 0,03 % de l’électorat britannique. C’est presque surréaliste survenant après l’isolement, le déclin et les mauvaises manières induits par son prédécesseur ébouriffé, l’inimitable brouillon, Boris Johnson. La dame s’était perçue comme réincarnant Margaret Thatcher, dans les heures graves des Falklands. Reniement des liens avec l’Europe, affirmation d’une grandeur toujours victorienne du Royaume auquel le monde devait rendre hommage, dureté avec les pauvres et fiscalement dévotion aux riches : elle n’est parvenue qu’à affoler sa propre banque centrale, les marchés et une majeure part de la classe politique anglaise. Las ! Rattrapée par le monde réelle, elle tente un tour de passe-passe faisant peser le coût des dégâts sur son chancelier des finances, Jeremy Hunt. Celui-ci annonce que le gouvernement de sa Majesté fera tout le contraire de ce à quoi la Première ministre s’est engagée devant le parlement de Westminster. Trois semaines après avoir été ‘’inaugurée’’ par le roi Charles III, Liz a été débarquée par ses amis les plus proches. Le maire de Londres, vaincu du scrutin interne des Torries récupère la place.
– Au Brésil, la campagne présidentielle a ressemblé à une guerre civile en vraie grandeur. L’insulte a dominé l’espace des débats. Jaïr Bolsonaro, le sortant, obsédé par le précédent créé par Donald Trump n’a pas manqué d’afficher un colossal mépris pour les règles de la démocratie. Au point que son silence au lendemain du scrutin a pu être interprété comme un appel lancé à l’armée – dont il est issu – pour qu’elle effectue un putsch. Ignacio Lula da Silva a gagné, ric-rac, sans gloire ni grandeur particulière. Le dirigeant syndicaliste et ancien chef d’Etat emprisonné pour concussion n’est plus le héros populaire qu’il avait été avant son prédécesseur. On a un peu l’impression que la geste politique brésilienne tourne en rond… mais n’arrive plus à reproduire les hauts faits passés, dans un contexte économique et social très dégradé. Lula garde comme atout un fort potentiel pour le dialogue et le compromis. Son vice-président a été choisi au centre droit, son programme n’est plus très progressiste. On peut prédire que le Brésil se dirige, cahin-caha vers de nouveaux épisodes de crise interne.
– Le cas israélien est à part. Cinq scrutins généraux sont intervenus en trois ans, mettant aux prises la droite dure, l’extrême droite hystérisée et les extrêmistes religieux, complètement déjantés. La gauche n’existe plus et le Centre s’est rangé à droite : le jeux politique ne peut donc plus produire une vraie alternance, car il est enchassé dans des considérations ethnico religieuses et un racisme d’Etat. Le choix est entre un état de guerre autoritaire et insensible aux épreuves des Palestiniens (eux-mêmes incapables d’organiser un scrutin) et un apartheid armé, en bonne et due forme. Les accords d’Oslo ne sont plus de ce monde et la confrontation sert de fuel à la classe politique. Le deal proposé aux citoyens est : ‘’ne faites plus de politique, nous nous en chargeons. En retour, confiez-nous sans état d’âme votre sécurité’’. François Guizot aurait-il dit autre chose alors que Louis Philippe 1er préfigurait l’humeur actuelle de l’incontournable ‘’Bibi’’ Netanyahu, centre de gravité indévissable de l’ultra-nationalisme bourgeois israélien. Le prix à payer sera élevé le jour, encore lointain, où le système s’effondrera sur fond de guerre civile, car les citoyens-électeurs seront revenus en force dans le jeu.
– Aujourd’hui se tiennent, aux Etats Unis, des élections de mi-mandat pour le renouvellement du Congrès, une échéance politique toujours défavorable à la présidence en place. En temps normal, l’enjeu partisan reste dans les limites raisonnables d’un débat programmatique et de préférences idéologiques d’ordre commun. Mais le précédent de la révolte encouragée par Trump contre les institutions (jusqu’au raid de janvier 2021 sur le Capitole de Washington) et l’ascendant toxique que le milliardaire caractériel conserve sur le parti Républicain pourraient faire monter les enchères dans une situation où les ennemis du système’’ s’empareraient des deux chambres du Congrès. L’inflation galopante, notamment celle qui impacte les coûts de l’énergie, incite les électeurs à faire passer ‘’la fin du mois’’ avant »la fin du monde’’ et Joe Biden pourrait se trouver impuissant à maintenir l’ordre civil et la cohésion sociale à un niveau vital minimum. Les présidentielles et législatives françaises ont été également marquées par cette propension au court-termisme, on ne peut donc blâmer l’électeur américain. Mais le poids des Etats-Unis dans les grands défi mondiaux est d’une tout autre dimension. Sous les traits d’un D. Trump de retour en 2024, un retrait définitif de l’Oncle Sam des affaires du climat, de celles de la prolifération nucléaire ou encore du soutien accordé à l’Ukraine dans la défense du droit et de la justice tracerait les contours d’un véritable cauchemar géopolitique.