* Mardi 8 novembre – La démocratie partie en vacances ?

Pendant que la pénombre géopolitique persistait sur le monde, des élections ont eu lieu ça et là. Peut-être faudrait-il s’en réjouir. Peut-être, car la sagacité des gouvernements ne s’en trouve pas accrue, la démocratie n’y trouve pas toujours son compte, l’alternance se fait le cas échéant vers le passé, les populations ne s’attachent pas prioritairement aux vraies questions, celles qui touchent à leur (future) vieillissement, à la Paix, à la guerre, à l’émancipation, au climat et à la biodiversité, bref à la viabilité du monde à venir.

– L’exemple du bref passage à Downing Street de Liz Truss est sans doute le plus accablant. Elue à la barre d’un navire qui prend l’eau depuis le Brexit, la dirigeante conservatrice tirait sa légitimité du vote de 0,03 % de l’électorat britannique. C’est presque surréaliste survenant après l’isolement, le déclin et les mauvaises manières induits par son prédécesseur ébouriffé, l’inimitable brouillon, Boris Johnson. La dame s’était perçue comme réincarnant Margaret Thatcher, dans les heures graves des Falklands. Reniement des liens avec l’Europe, affirmation d’une grandeur toujours victorienne du Royaume auquel le monde devait rendre hommage, dureté avec les pauvres et fiscalement dévotion aux riches : elle n’est parvenue qu’à affoler sa propre banque centrale, les marchés et une majeure part de la classe politique anglaise. Las ! Rattrapée par le monde réelle, elle tente un tour de passe-passe faisant peser le coût des dégâts sur son chancelier des finances, Jeremy Hunt. Celui-ci annonce que le gouvernement de sa Majesté fera tout le contraire de ce à quoi la Première ministre s’est engagée devant le parlement de Westminster. Trois semaines après avoir été ‘’inaugurée’’ par le roi Charles III, Liz a été débarquée par ses amis les plus proches. Le maire de Londres, vaincu du scrutin interne des Torries récupère la place.

– Au Brésil, la campagne présidentielle a ressemblé à une guerre civile en vraie grandeur. L’insulte a dominé l’espace des débats. Jaïr Bolsonaro, le sortant, obsédé par le précédent créé par Donald Trump n’a pas manqué d’afficher un colossal mépris pour les règles de la démocratie. Au point que son silence au lendemain du scrutin a pu être interprété comme un appel lancé à l’armée – dont il est issu – pour qu’elle effectue un putsch. Ignacio Lula da Silva a gagné, ric-rac, sans gloire ni grandeur particulière. Le dirigeant syndicaliste et ancien chef d’Etat emprisonné pour concussion n’est plus le héros populaire qu’il avait été avant son prédécesseur. On a un peu l’impression que la geste politique brésilienne tourne en rond… mais n’arrive plus à reproduire les hauts faits passés, dans un contexte économique et social très dégradé. Lula garde comme atout un fort potentiel pour le dialogue et le compromis. Son vice-président a été choisi au centre droit, son programme n’est plus très progressiste. On peut prédire que le Brésil se dirige, cahin-caha vers de nouveaux épisodes de crise interne.

– Le cas israélien est à part. Cinq scrutins généraux sont intervenus en trois ans, mettant aux prises la droite dure, l’extrême droite hystérisée et les extrêmistes religieux, complètement déjantés. La gauche n’existe plus et le Centre s’est rangé à droite : le jeux politique ne peut donc plus produire une vraie alternance, car il est enchassé dans des considérations ethnico religieuses et un racisme d’Etat. Le choix est entre un état de guerre autoritaire et insensible aux épreuves des Palestiniens (eux-mêmes incapables d’organiser un scrutin) et un apartheid armé, en bonne et due forme. Les accords d’Oslo ne sont plus de ce monde et la confrontation sert de fuel à la classe politique. Le deal proposé aux citoyens est : ‘’ne faites plus de politique, nous nous en chargeons. En retour, confiez-nous sans état d’âme votre sécurité’’. François Guizot aurait-il dit autre chose alors que Louis Philippe 1er préfigurait l’humeur actuelle de l’incontournable ‘’Bibi’’ Netanyahu, centre de gravité indévissable de l’ultra-nationalisme bourgeois israélien. Le prix à payer sera élevé le jour, encore lointain, où le système s’effondrera sur fond de guerre civile, car les citoyens-électeurs seront revenus en force dans le jeu.

– Aujourd’hui se tiennent, aux Etats Unis, des élections de mi-mandat pour le renouvellement du Congrès, une échéance politique toujours défavorable à la présidence en place. En temps normal, l’enjeu partisan reste dans les limites raisonnables d’un débat programmatique et de préférences idéologiques d’ordre commun. Mais le précédent de la révolte encouragée par Trump contre les institutions (jusqu’au raid de janvier 2021 sur le Capitole de Washington) et l’ascendant toxique que le milliardaire caractériel conserve sur le parti Républicain pourraient faire monter les enchères dans une situation où les ennemis du système’’ s’empareraient des deux chambres du Congrès. L’inflation galopante, notamment celle qui impacte les coûts de l’énergie, incite les électeurs à faire passer ‘’la fin du mois’’ avant  »la fin du monde’’ et Joe Biden pourrait se trouver impuissant à maintenir l’ordre civil et la cohésion sociale à un niveau vital minimum. Les présidentielles et législatives françaises ont été également marquées par cette propension au court-termisme, on ne peut donc blâmer l’électeur américain. Mais le poids des Etats-Unis dans les grands défi mondiaux est d’une tout autre dimension. Sous les traits d’un D. Trump de retour en 2024, un retrait définitif de l’Oncle Sam des affaires du climat, de celles de la prolifération nucléaire ou encore du soutien accordé à l’Ukraine dans la défense du droit et de la justice tracerait les contours d’un véritable cauchemar géopolitique.

*30 septembre -L’Etat de droit, encore la norme en Europe occidentale ?

Brèves des jours précédents

Au dernier carat des tractations commerciales entre Londres et les 27, la Chambre des communes a adopté, par 340 voix contre 256, le  »projet de loi sur le marché intérieur », malgré les critiques de cinq anciens Premiers ministres et d’une partie des Conservateurs au pouvoir. Invoquant l’intégrité territoriale du Royaume-Uni et la continuité des échanges entre la Grande Bretagne et sa province d’Irlande du Nord, le texte revient sur l’abolition de la frontière commerciale entre l’Irlande et l’Ulster britannique, garde-fou de l’accord de paix de 1998 sur l’île.

Ainsi est ouverte la possibilité de contrevenir à l’accord sur le ‘’divorce’’ avec l’UE, négocié en 2019 et ratifié par les deux parties. Très déstabilisante, cette entorse juridique provoque la colère et plus encore le doute à Bruxelles. Comment, sans l’indispensable confiance et après huit cycles de négociation improductifs, penser encore parvenir à un accord de libre-échange, courant octobre, et éviter un « no deal » économiquement désastreux au 1er janvier ? L’Union brandit l’hypothèse d’une action en justice, faute de retrait du texte illégal. Mais cela n’y changerait pas grand-chose.

Le plus déroutant est que le gouvernement Johnson soit totalement passif sur le fond et préfère dévier l’attention sur de fumeuses polémiques : l’UE se voit ainsi accusée de préparer le blocus alimentaire de Irlande du Nord, un acte de guerre ! Pourquoi une telle outrance, qui dépasse le mélodrame habituel de fin de négociation ? La question de fond est, en fait, celle des disciplines à respecter pour bénéficier d’un accès total au marché intérieur des ‘’27’’, question que Londres ne veut pas négocier. D’où cette affirmation fantasque que l’Ulster serait confrontée à un soi-disant problème alimentaire (que les intéressés se gardent d’évoquer). Est-ce bien utile au rapport de forces prôné par les Conservateurs, de défigurer ainsi l’Europe en ennemie ? On semble convaincu à Londres, que les Européens reculeront devant la perspective d’un ‘’No deal’’, à cause de leurs intérêts économiques au Royaume-Uni. Erreur. De son côté, Bruxelles garde le silence pour ne pas rajouter de l’huile sur le feu.

De fait, le vent de fureur populiste – certains disent ‘’trumpiste’’ – que le gouvernement Johnson souffle sur l’Europe a jusqu’ici contribué à son échec quasiment en toutes choses.

Lendemains de Brexit : Gueules de bois ou gueules de fauves, de part et d’autre de la Manche ?

I can fly, all alone !
I can fly, all alone !

Tout commence maintenant pour le Royaume Uni ! Dix mois, pour se repositionner dans tous les domaines. C’est le pari bravache et même un peu hystérique de Boris Johnson, dont le pays n’entamera que le 3 mars sa négociation sur le partenariat futur avec l’Union Européenne et, dès à présent, sa reconfiguration globale vers le grand large. Car il ne s’agit pas seulement pour Londres de se repositionner face aux 27. Tous les talents des négociateurs britanniques – car ils sont grands – et l’effectif d’experts mobilisable (plus restreint) y suffiront-ils ?

Sûrement pas, lorsqu’on sait qu’un simple accord commercial de libre-échange bilatéral prend communément de deux à dix ans pour être élaboré et prendre effet. Là, tout sera à réinventer, non pas dans l’esprit de rapprocher les normes et les intérêts en jeu – comme le voudrait la pratique habituelle – mais, au contraire, de les faire diverger le plus possible. Sinon, pourquoi divorcer ?

Le cap est donc mis sur le « global », la vision du monde dont rêvent les marchés, dans laquelle aucune régulation ne les encadrerait. Synonyme : la jungle. A une grosse nuance près : il n’est pas certain qu’une majorité de Britanniques, surtout les plus pauvres, approuvent ce pari.

Si on voulait provoquer une cassure totale et définitive avec le Continent, ce serait intellectuellement simple et dix mois y suffiraient largement. Ecartons pour l’heure l’ hypothèse d’un hard Brexit suicidaire. Car, outre-Manche, on n’entend pas déboucher sur un tableau cataclysmique de régression sociale et d’affrontements en chaîne. On voudrait le meilleur de tous les mondes, aux dépens éventuels des tiers… le beurre et l’argent du beurre, selon l’adage tant ressassé.

Redéfinir radicalement, après 47 ans de vie collective, son modèle de gouvernance étatique, économique et sociale n’est pas une mince affaire. Peut-on se défaire des normes continentales pour adopter celles du grand large (existent-elles d’ailleurs ?), sans casser quelques œufs dans son panier ? L’adaptation à plusieurs normes concurrentes de production, de consommation, de sécurité, etc tient de l’acrobatie. Certes, la moitié du commerce extérieur britannique, tournée vers l’Europe, est déficitaire. Mais n‘est-ce pas là une marque de fragilité qui inspire la prudence ? Au moins, cette moitié existe. Ne devrait-elle pas être sauvegardée par rapport à l’autre sphère d’échanges, en partie virtuelle ? Dans ces conditions, hisser sa stature dans la compétition mondiale des services et des industries, modifier en conséquence sa ligne de politique extérieure (deux veto anglo-saxons, au Conseil de Sécurité), attirer à soi les Etats-Unis, les pays du Commonwealth, la sphère de l’anglophonie au point de les contraindre tous à signer des accords de libre-échange « éclair » en un claquement de doigt, sans se coincer soi-même en position désavantageuse …n’est-on pas en train de vendre une chimère du type Incredible Hulk aux sujets de Sa Majesté ?

De même, est-il réaliste de restreindre l’installation d’étrangers non-désirés, sans entraver la mobilité des sujets britanniques, par le simple jeu de la réciprocité ? La barrière avancée contre l’immigration venant du Sud restera-t-elle en place à Calais, en l’absence d’une gestion commune de la frontière ? Les questions se bousculent.

2016 Oui UK au Breaxit

L’ardeur néo-thatchérienne du Premier Ministre, son impatience simplificatrice aux parfums populistes, l’aspiration nostalgique et patriotique de beaucoup d’Anglais (je ne dis pas « Britanniques ») à renouer avec leur grandeur passée, tout cela crée une ivresse furtive du « tout est possible désormais ». Le soufflé, évidemment, va retomber. Il sera toujours temps lorsque l’enlisement en viendra à désespérer les Brexiters, de chercher des souffre-douleur parmi des partenaires extérieurs – Bruxelles en tête – eux-mêmes cabrés sur leurs propres intérêts « égoïstes ».

D’ici là, comment la Grande Bretagne, fragilisée en son sein par la fronde des Ecossais et par la méfiance des Nord-Irlandais, va-t-elle parvenir à prendre et garder l’initiative dans tous les domaines, malgré les trois ans et demi de sa quasi-léthargie à formalise le Brexit ? De son côté, comment, l’Europe, qui se sent rejetée comme une piètre maîtresse, vivra-t-elle l’obsession britannique de se différencier d’elle jusqu’au paroxysme, en revisitant aussi le passé commun sous les couleurs les plus morbides ?

Le poids économique des Îles Britanniques n’étant plus ce qu’il a été, l’amertume communautaire pourrait se muer en volonté des négociateurs européens d’avoir le dernier mot sur tout ce qui est sur la table. Avec une pointe d’autoritarisme, la tentation de « punir le renégat » ou de lui prouver sa faute sera là, corollaire du souci européen de consolider l’édifice à 27.

Une déclaration politique commune très étoffé accompagne l’accord sur le Brexit. Elle est censée cadrer la méthode et les objectifs de la négociation qui s’ouvre. S’y tiendra-t-on avec constance ? L’humeur change. Les « feuilles de route » assignées aux négociateurs des deux bords annoncent les incompréhensions et tensions du lendemain. A ce critère, les références globales et patriotiques de Boris Johnson ont des connotations passées voire archaïques. De leur côté, les trente-cinq pages de directives rédigées à Bruxelles sont sévères et de ton défensif : pas de contournement des normes, pas de dumping sur le marché unique, pas d’accès à celui-ci sans soumission aux règles communes, même si la Cour de Justice du Luxembourg devrait être flanquée d’un tribunal « frère » britannique.

La Pêche constitue assurément LE dossier sur lequel l’UE paraît la plus faible : la position désavantageuse du demandeur. C’est d’ailleurs pour cela que Bruxelles veut en traiter en début d’agenda. Johnson n‘a pas beaucoup détaillé son plan de négociation, se contentant de prôner la préférence nationale, comme le ferait Marine Le Pen. En proposant des négociations annuelles sur les quotas et l’accès de chalutiers de l’UE aux eaux poissonneuses de l’Archipel, il entend s’armer d’un levier fort sur Bruxelles, le plus longtemps possible et aux conditions qui satisferont au mieux son industrie halieutique (laquelle exporte 80 % de sa pêche … vers le Continent). On ne le blâmera pas de maximiser cet atout, mais on peut aussi deviner que la réponse prévisible du côté communautaire sera : « pas de cadeau indu pour la pêche – pas de cadeau indu d’accès au grand marché continental ». Quand toutes les corporations affectées en seront à hurler leur fureur sur la voie publique, de part et d’autre de la Manche, les politiques sauront-ils suffisamment contrôler leurs nerfs pour calmer le jeu et avancer les concessions nécessaires ? Il faut en douter si on doit vivre et négocier dans une atmosphère populiste.

L’importation sans doute massive au Royaume Uni de produits agricoles « modifiés » américains, en dépit d’une probable vigilance des consommateurs britanniques; les offensives de débauche fiscale des entreprises tierces visant le marché continental; le contournement probable des accords de libre-échange passés par l’UE par des contre-accords britanniques passés sans précaution particulière; les visées américaines sur le système de santé britannique et au-delà; … celles de l’UE sur un éclatement géographique de la City, tout cela est susceptible de relancer, dans l’esprit des gens simples, comme un goût de Guerre de cent ans. My God (Sacré vindioux) !

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