* 7 février – Un monde post-occidental

Dans le stade ‘’nid d’oiseaux’’ de Pékin, la place a été laissée vide par les représentants des pays occidentaux, pour fait de boycott ou par retard délibéré. Poutine a donc attiré sur lui-même toute la lumière des projecteurs.  Vedettes du grand show olympique, les présidents russe et chinois ont assisté, en bons comparses bien réjouis, à la cérémonie d’ouverture des Jeux d’hiver. Au-delà du sport, la fresque parlait de l’état du monde : on était invité à entrer de plain-pied dans ‘’l’ère post-occidentale’’ (et post-démocratique). Si l’on formate le monde ainsi, les efforts – méritoires, quoique très incertains – du président français pour tenter d’arrêter la machine de guerre aux frontières de l’Ukraine tiennent de la simple anecdote de comptoir de bar, comme on le dirait d’une danse villageoise dans le Bas-Congo pour faire venir la pluie.

La réception du président russe par M. Xi, trois heures durant, la signature d’une quinzaine de documents, politiques et commerciaux (Gazprom et Rosneft ont évoqué des accords avec leurs homologues chinois), mais plus encore la publication d’une longue déclaration commune sur l’entrée des affaires internationales dans une  »nouvelle ère » ont exalté la collaboration des deux régimes dans les affaires du monde. Ce texte géostratégique met en exergue une forte convergence (circonstancielle) contre ‘’l’ennemi commun’’. La ‘’nouvelle ère dans les affaires internationales’’ serait, assurément, d’empreinte sino-russe exclusive. Pour Vladimir Poutine et Xi Jinping, l’essentiel est bien là : apparaître en leaders du monde, là où l’Occident sombre, de sa propre faute, dans l’insignifiance. Tant pis pour les athlètes et pour la trêve olympique, qui n’est d’ailleurs plus respectée depuis longtemps ! Qui plus est, la Russie n’avait-elle pas été suspendue du mouvement olympique pour ‘’dopage d’Etat systémique’’ ? Qu’importe ! Le seul podium recherché est celui de la ferveur nationaliste et de la puissance d’Etat. Les athlètes en fournissent l’occasion et une partie du décors. Le document bilatéral constitue logiquement une charge contre les Etats-Unis et leur ‘’approche de guerre froide’’, mais aussi contre l’Occident. Les deux capitales se disent  préoccupées par la formation de l’alliance militaire des Etats-Unis avec le Royaume-Uni et l’Australie (l’Aukus), estimant que cette entreprise, notamment autour de la fabrication de sous-marins nucléaires ‘’ touche à des questions de stabilité stratégique’’’. Dans cette situation, la Chine et la Russie seraient, selon le Global Times (version anglophone du Quotidien du Peuple), ‘’les deux seuls pays ayant encore la capacité de sauvegarder leurs intérêts fondamentaux et leur souveraineté’. Presqu’un appel à la guerre des peuples, venant de deux régimes totalitaires qui ont en plus le toupet de se  proclamer ‘’défenseurs d’une ‘’démocratie authentique’’.  On n’est quand même pas très loin de Berlin-1936 ! Aucune voix ne fait contre-écho, à l’Ouest. Les absents ont toujours tort et un boycott sportif n’a jamais fait avancer la cause des opprimés. On le savait trop bien, dès l’origine du débat, mais on a été veule, comme souvent.

Les présents, eux, échangent de bons procédés. L’hôte des Jeux et son invité d’honneur ont affiché un soutien mutuel sur leurs sujets de préoccupation. Ainsi, la Chine endosse-t-elle l’opposition virulente de la Russie à tout élargissement de l’OTAN. C’est une prise de position sur l’Ukraine, qui pourrait bloquer toute possibilité d’action au sein du Conseil de sécurité, si l’invasion se concrétisait. Les Etats-Unis et l’Europe auraient-ils alors la volonté et les moyens de surmonter leur potentielle impuissance, en recourant à l’arme des sanctions face aux deux puissances nucléaires dont l’une est un pilier de l’économie mondiale et peut le mettre à l’abri ? Non pas que cette alliance entre comparses soit de format  équilibré ni qu’elle repose entièrement sur des intérêts communs. Le duopole totalitaire a ses failles et ses contradictions. Chacun y roule d’abord pour lui-même. Mais la détestation de l’Occident et l’envie de le rejeter à la marge – et, avec lui, tout le système de droit et de maintien de la paix – est peut-être LE catalyseur qui alimente le mieux leur collusion mortifère.

Un fait à ne pas sous-estimer.

* 1er février – Trop dur pour y croire

Aujourd’hui, le blog de l’Ours, cite Pierre Haski, un maître en analyse géopolitique. Poutine fait ressurgir les fantômes de la guerre. Sommes nous aptes à faire face ?

 » Une guerre à l’ancienne, avec colonnes de chars et lignes de front, n’appartenait plus à notre univers mental. Or, à l’heure où les bruits de bottes russes s’amplifient aux frontières de l’Ukraine, ce risque est revenu, sous nos yeux, aux confins de  »notre » Europe, et il nous prend au dépourvu. Le maître du Kremlin en est bien conscient.

Comme tous les Européens de plus de 50 ans, j’ai grandi avec la guerre froide. Elle a façonné inconsciemment ma vision du monde. [Au point que lors de mon premier voyage de l’autre côté du rideau de fer, en Pologne dans les années 1980, je m’attendais à débarquer sur une autre planète, là où je ne découvrais en fait qu’une partie de l’Europe plus pauvre, plus triste. De même, le passage de Berlin-Ouest à Berlin-Est par Checkpoint Charlie s’accompagnait nécessairement d’une boule à l’estomac, sans doute causée par une lecture trop assidue des romans de John le Carré…] Il en fallait de l’audace pour imaginer que cette division de l’Europe disparaîtrait un jour, tant elle s’était inscrite dans nos imaginaires comme dans la géographie européenne. D’où le sentiment exceptionnel de libération à la chute du mur de Berlin en 1989, et l’euphorie – vite dissipée, hélas – qui a accompagné cette « réunification » de l’Europe.

Cette toile de fond, avec cette histoire encore fraîche dans nos mémoires, explique notre désarroi face aux bruits de bottes autour de l’Ukraine. Nous avions exclu la guerre de notre inconscient collectif. Du moins la « vraie », aux allures 1914-1918 ou 1939-1945, avec ses colonnes de chars, ses « lignes de front », le bruit de la désinformation qui, inévitablement, l’accompagne. Nous avions été traumatisés par notre impuissance lors du siège de Sarajevo et l’implosion de la Yougoslavie dans les années 1990 ; nous avons été engagés ces vingt dernières années dans des guerres lointaines en Afghanistan, au Moyen-Orient ou au Sahel ; nous avons connu le terrorisme au cœur de nos métropoles ; mais un conflit à l’ancienne, avec une puissance nucléaire de surcroît, n’appartenait plus à notre univers mental. Or ce risque est revenu, sous nos yeux, aux confins de  »notre » Europe, et il nous prend au dépourvu ».

* 28 janvier – L’Hydre vengeresse

Avant-hier, Washington a répondu à Moscou, dans les formes diplomatiques, ainsi que Vladimir Poutine l’exigeait. Le fond du message est aussi ferme que la forme courtoise est de mise. Tout en associant les alliés à sa réponse – leadership ‘’bienveillant’’ oblige –, l’Oncle Joe rejette catégoriquement la prétention russe de dicter à l’OTAN sa sphère géographique et sa composition étatique, en vue de rétablir la configuration brejnévienne de ‘’souveraineté limitée’’ dans le glacis stratégique soviétique d’avant l’implosion de 1991. Quant à l’anathème lancé sur toute manœuvre militaire occidentale à portée des frontières russes, ukrainiennes ou biélorusses, le pacte occidental le récuse sous sa forme d’ultimatum préalable à toute négociation à chaud. Il ne refuse pas d’en parler en de meilleures circonstances. L’objectif d’établir une meilleure transparence entre les deux camps protagonistes, par voie de nouvelles mesures de confiance = réciproques = est explicitement mentionné. On approuve.

A terme, la Russie est invitée à reprendre les tractations sur le déploiement des armes nucléaires de portée intermédiaire ciblant les capitales ouest-européennes, dont Paris, Lyon, Marseille, etc., bien entendu sans participation aucune des Européens. On le sait, Moscou ne veut pas de ces derniers dans les affaires nucléaires ni dans le contrôle des armements. L’Ukraine n’est qu’un enjeu parmi d’autres, dans cette partie au bord du gouffre. L’axe principal de l’offensive de Poutine vise à faire reculer loin vers l’Ouest la sphère défensive de l’OTAN, ce qui, dans un premier temps, rétablirait son pays au rang de super-puissance à parité avec les Etats Unis et lui assurerait une forme d’hégémonie en Europe. Dans un second temps, la guerre hybride, les pressions politiques et militaires lui ouvrirait la possibilité d’une ‘’re-finlandisation’’ des anciens satellites. La tentative est en cours avec l’Ukraine et avec la Biélorussie (grâce à la soumission servile de Loukachenko). Elle s’est déjà concrétisée avec le Kazakhstan, la Moldavie, l’Arménie et une grosse partie de la Géorgie.

Bien qu’il y ressemble un peu, le plan d’ensemble n’est pas un avatar douteux de ‘’Mein Kampf’’, mais il est lisible à l’avance. Il s’agit de défaire, pièce après pièce, la géographie européenne consécutive à la chute du mur de Berlin et à la dissolution de l’URSS, peut-être même d’une prétention à refaire au bout du compte un Yalta à l’avantage du Kremlin. Joe Biden prône une issue diplomatique mais s’énerve aussi un peu en  »shérif de l’Ouest » (pistolet en main), en même temps content de retrouver un leadership que les Européens, apeurés, ne lui contesteront pas. Mais le président américain est quand même une bonne pâte. Imaginez le scénario actuel avec, au pouvoir à Washington, Donald Trump, l’ami de Poutine et contempteur de l’Europe, … s’il revenait en 2024 !

La France est sans doute un peu plus lucide sur les risques de la crise que la plupart de ses voisins européens. Conjointement à Berlin, Paris a pris l’initiative d’une réunion en ‘’format Normandie’’, sur la situation aux frontières de l’Ukraine. Les Ukrainiens ont bien sûr répondu et – bon signe ! – les hauts fonctionnaires russes ne l’ont pas boycottée. Rien de promis, rien de cédé non plus. Cette formule de négociation établie après l’invasion de la Crimée et du Donbass crédibilise un peu l’existence de l’Europe et donne à la Russie un forum ou s’exprimer sans faire rouler ses chars. Pas terrible, mais c’est mieux que rien, quand même ! Attendons la suite …

* 24 janvier – Vertiges et bords de gouffre

Drôles d’interactions entre trois continents… ou quatre ! L’Europe entrevoit la possibilité d’une guerre dévastatrice sur son territoire, si Vladimir Poutine poursuit jusqu’au bout sa volonté affichée d’ ‘’avaler’’ l’Ukraine. On en est au point où les diplomates américains quittent à la hâte l’ex-satellite soviétique devenu une cible pour une destruction massive. Les missiles nucléaires russes regagnent leurs bases en Biélorussie, avec l’armée du ‘’Grand frère’’. Pourtant, Moscou avait présidé, elle-même, au début des années 1990, à la décision de regrouper sur la terre de Russie toutes ses armes d’apocalypse dispersées dans l’empire soviétique. De beaux esprits nous rassurent : ‘’Poutine est un homme intelligent et tout à fait rationnel’’. Outre qu’on ne voit pas bien la rationalité consistant à jouer cette partie mortifère, au bord du gouffre, pour simplement prouver qu’on a du muscle et qu’on peut imposer le respect (une psychologie de racketteur de quartier HLM ou de petit maître-chanteur), on sait bien qu’Alexandre, Néron, Charles VI, Napoléon 1er ou Adolf ont été très rationnels dans la conception de leurs plans de grandeurs. C’est après avoir atteint le niveau incurable de la paranoïa que le Prince dévoile sa perversité profonde. Ladite perversité a de la gueule, de l’efficacité et du prestige : elle sera applaudie, mais saignera l’humanité.

Un point de basculement dans la tourmente est également perceptible en Afrique subsaharienne. Le continent noir est devenu un ‘’ventre mou du monde’’ comme les Balkans l’avaient été pour l’Europe. Les casernes se soulèvent, ça et là, contre des dirigeants mal élus. Tout récemment, c’est le cas au Burkina Fasso, qui s’ajoute aux putschs opérés en Guinée, au Mali, aux menaces qui apparaissent au Niger, au chaos de la Centrafrique. Les situations locales varient, mais le contexte continental est bien celui de la colère de populations mal ou non-gouvernées et celui d’une perception montante de la déferlante djihadiste, laquelle emporte tout sur son passage. Les classes politiques et les citoyens perçoivent que les armées locales, construites pour accumuler des privilèges et non pour combattre des guerriers, sont impuissantes et les militaires eux-mêmes, très nerveux.

En Syrie (peut-être un peu aussi, en Irak), Daech se refait une santé en prenant d’assaut les prisons où sont enfermés ses guerriers sanguinaires. On pourrait bientôt voir certains d’entre eux gagner l’Afrique, avec des moyens et des armes encore renforcés. Qui les arrêtera ?

La France n’a jamais été aussi désavouée en Afrique. Sa consternante impopularité doit, en partie et toujours, aux ambigüités de la France-Afrique, le cercle complaisant qu’elle a créé autour des classes dirigeantes dont elle espère obtenir la stabilité. Une chimère à l’heure ou tout bouge ! Mais, d’une certaine façon, elle paye aussi une conception africaine de la géopolitique ancrée dans le passé et qui se limite au binôme ‘’colonisation / décolonisation’’. Les Africains inquiets d’affirmer leurs droits par rapport à l’histoire ancienne, ont peu conscience des bouleversements stratégiques en cours et n’en tiennent pas compte. Ils sont en revanche sensibles aux  offensives idéologiques russe, chinoise ou turque, prônant des modèles de gouvernance présumés mieux adaptés et anticoloniaux. Il y a une grande part d’intoxication dans ces propagandes, qui néanmoins impriment les esprits. Le Mali est l’exemple le plus triste d’une course intellectuelle vers le vide. L’Occident comme les pays voisins sont voués aux gémonies. Les sanctions adoptées frappent, il est vrai, les Maliens eux-mêmes, plus que le colonel Goïta et consorts, ce qui est maladroit. Il est clair que bientôt, ni Barkhane, ni l’Europe, ni la CEDAO, ni l’ONU ne pourront protéger ce pays contre les affiliés de Daech et de Al Qaeda.

Alors, Poutine et ses mercenaires sans insignes, cadrent-ils avec l’image du sauveur ? Comme en Ukraine, on peut penser que l’autocrate russe manigance surtout un grand désordre en Afrique. Il cherche à en faire son fromage pour deux raisons essentielles : mettre la main sur les ressources minières avec lesquelles les guerriers de Wagner se paient ‘’sur la bête’’ et tenter de déstabiliser l’Europe occidentale, son besoin de stabilité stratégique, son image coloniale, ses inquiétudes sur le flanc Sud comme sur les flancs Est et Nord. La Russie de Poutine (qui n‘est pas la Russie éternelle et n’a plus de culture) peut-elle mettre en œuvre un plan d’encerclement aussi colossal, qui plus est sans lâcher contre elle-même les vannes du djihadisme ? On peut sérieusement en douter mais, comme on l’a dit et comme l’histoire de nos grands paranoïaques le montre, quand on a pris goût au jeu de la vengeance et de la force, on ne sait plus s’arrêter.

* 20 janvier – Poème russe

En introduction de son discours à Strasbourg, Emmanuel Macron a évoqué  »une Europe bâtie sur un modèle unique au monde d’équilibre entre liberté, solidarité, tradition et progrès. Il a rappelé que la construction européenne reposait sur trois promesses : la démocratie, le progrès partagé par tous et la paix. Mais aussi que ‘’l’ébranlement actuel du monde venait bouleverser ces trois promesses. Pour autant qu’il pourra y adapter le calendrier européen durant les six prochains mois, l’un de ses principaux objectifs de sa présidence européenne serait de sauver la paix, face à une probable offensive de la Russie en Ukraine. C’est noble. En prendra-t-il les moyens ?

Dialoguer avec Moscou parait un choix réaliste, si toutefois la France parvenait à se faire reconnaître du Kremlin comme un partenaire reconnu. Depuis son arrivée au pouvoir, Macron a notamment relancé à maintes reprises l’offre de partenariat, plaidant pour un dialogue ‘’franc et exigeant’’, qui, manifestement, n’intéresse pas Moscou. L’exercice ‘’n’est pas une option’’, certes, une nécessité dans l’absolu, mais cette France moyenne puissance aux intérêts globaux, capable d’intervenir militairement en Afrique et au Moyen-Orient est perçue par Poutine, sous deux angles : dangereuse et à marginaliser comme ‘’trop petite pour se mêler de tout’’.

En 2008, la diplomatie française avait, non sans ambigüité, œuvrer à un cessez le feu en Géorgie, aussitôt mis à profit par les forces russes d’invasion pour s’incruster / annexer ? les territoires qu’elles avaient occupés. En 2011, Paris a rendu la pièce à Poutine, en réinterprétant complètement le mandat que le Conseil de Sécurité lui avait confié sur la Libye. La manœuvre franco-anglaise, soutenue par les Etats-Unis, a provoqué la colère du Kremlin (comme d’ailleurs de Zhongnanhai). En 2014, Paris et Berlin ont mis au point un schéma ‘’Normandie’’ autour de la crise en Ukraine, schéma dont Poutine veut se débarrasser de la façon la plus humiliante possible pour les ‘’nains verbeux européens’’. Pas une option, alors, ce dialogue stratégique sans complaisance ? Mais pas une possibilité non plus. Au risque de choquer un tiers des Français, qui ont une appréciation positive du tyran moscovite, celui-ci voit la France et les Français comme une gêne et ressent à leur égard une profonde inimitié. Venir à lui avec un grand sourire le laisse carrément froid et sarcastique.

Alors que la tension s’accroît avec la Russie, notamment après l’envoi de troupes aux frontières avec l’Ukraine, Emmanuel Macron a raison de donner la priorité au renforcement de notre défense et à ‘’enfin construire un ordre de sécurité collective sur notre continent’’. Le construire d’abord entre Européens tient de la nécessité absolue et,  »en même temps », du pari impossible. On va progresser avec l’Allemagne, peut-être confirmer la vieille alliance militaire avec le Royaume Uni (surtout si les Britanniques arrivent à se débarrasser du bouffon du 10, Downing street), mais la culture dominante chez nos autres partenaires est plutôt celle d’Edouard Daladier : munichois. Quant à partager le résultat avec nos alliés dans le cadre de l’Otan, avant de le proposer le paquet à une négociation avec la Russie, c’est presque proposer un duel à mort entre Poutine et Biden dont les ‘’pages’’ européens seront les petits valais spectateurs. Le désaccord sur ce que devrait être l’Alliance atlantique est toujours là, même si la France, qui a réintégré les les forces communes, n’est plus le vilain petit canard provocateur de l’époque gaullienne. On la soupçonne quand même de tirer la couverture à elle, avec arrogance et de déstabiliser la Pax americana.

Bon courage donc au président français pour lancer, pendant les deux mois utiles de sa présidence tournante des 27, un réarmement stratégique de notre Europe comme puissance de paix et d’équilibre ! La paix et l’équilibre ne sont pas des obsessions russes. Seuls les citoyens de ce grand empire boiteux pourront, non sans peine, essayer de guérir paranoïa et mégalomanie d’une sphère dirigeante hors-du temps présent. Quant au bel agenda russe de la présidence européenne tournante, invoquons les icones des saints du Paradis pour qu’il se cristallise au-delà des belles paroles d’un maître de la Com…

* 12 janvier – l’Europe flageolante

Pauvre Europe ! 75 ans après sa sortie de guerre, elle reste hantée par les syndromes du partage et de la domination stratégique par deux empires extérieurs ! Certes, son seul grand succès est de s’être créée, sur ses propres ruines, pendant la Guerre froide. Nouvelle guerre froide, voulue par Vladimir Poutine, nouvel écartèlement, nouvelle dépendance… Après que l’Occident a ‘’digéré’’ l’ex-RDA et fort malmené l’appel de Gorbatchev à un apaisement du jeu géopolitique, les années 1990 ont vu une série d’initiative visant à stabiliser l’architecture de sécurité et de défense européenne.

Certaines, comme la ‘’Confédération européenne’’ de François Mitterrand – qui revenait à estomper l’OTAN dans une logique continentale – n’ont pas fait consensus. La volonté de Paris de ‘’secouer’’ la tutelle américaine a surtout inquiété ses partenaires, d’où le retour de Paris au bercail de l’Alliance, déguisé puis assumé sous Nicolas Sarkozy. Paris a joué un rôle constructif dans la révision du Traité ‘’Forces Conventionnelles en Europe (limitations par catégories et par zones géographiques) ‘’puis dans le dispositif ‘’Ciel ouvert’’ qui en assurait la vérification par des survols libres. Moscou a triché dans les deux cas. En 1997, à nouveau, avant que la Pologne ne rejoigne le bloc occidental, des garanties ont été négociées pour ne pas déployer des moyens ‘’offensifs’’ sur le territoire des nouveaux membres. Nouvel échec, dû en majeure partie aux craintes des nouveaux partenaires quant à ‘’une vengeance de l’Ours’’. On ne peut nier que la ‘’frontière dure’’ se soit considérablement rapprochée du sanctuaire russe ni que l’Ours se montre de plus en plus menaçant.


Si Vladimir Poutine et sa revendication – quasi-hystérique – de reconstitution d’un glacis stratégique à l’Ouest de la Russie, avec des souverainetés plus ou moins limitées selon la proximité et des sous-Etats ‘’finlandisés’’ (mes excuses à la Finlande) font à nouveau peur, c’est que le nouveau tsar a plongé son pays dans une ère de violence armée. Après le massacre des Tchétchènes, qui l’a assis sur son trône, la Géorgie en 2008 puis l’Ukraine (qui avait commis le crime de passer un accord de partenariat économique peu ambitieux avec l’UE), en 2014, sont passées en partie sous sa botte. Une guerre hybride a été lancée contre l’Europe, ciblant ses médias et ses institutions démocratiques. Sur la périphérie moyen-orientale et africaine, les guerriers russes sans insignes s’emploient à attiser des foyers de conflit contre l’Occident… Tout cela pour dire que l’époque est tristement révolue où l’on pouvait créditer la diplomatie russe d’accepter une certaine dose de partenariat, de discipline stratégique, au bénéfice de la paix. L’architecture de défense et de sécurité, si elle devait y survivre, ne sera qu’un trompe-l’œil pour faire reculer, quelque temps, le risque de la guerre en Europe, un Münich.

Il faut dire que tout comparse qu’il fut du dictateur russe, Donald Trump aussi a bien savonné la planche d’une Europe sans défense. Les traités de contrôle de l’armement conventionnel ont été dénoncés avec un mépris affiché pour les nains du vieux continent ennuyeux. Ces nains ont été invités à payer la note sans pouvoir compter en retour sur la protection apportée par le Traité de Washington. Il a également rayé d’un trait de plume le Traité sur les forces (nucléaires) de portée Intermédiaire, par lequel est limité le nombre des ogives russes qui ciblent les métropoles européennes. Il est, au passage, un peu curieux que les citadins européens n’aient pas conscience de cette menace planant au-dessus de leurs têtes.

Après l’expulsion, de facto par Moscou, de la France et de l’Allemagne du processus de négociation de la paix en l’Ukraine, ne reste plus aujourd’hui que les deux ex-nouveaux  »Super-Grands’’, poursuivant à Genève le dialogue de leurs vice-ministres sur l’instabilité stratégique prévalente.  »Prévalente » en Europe s’entend, sans présence des Européens (divisés) pour traiter du fond. Les positions des deux camps répétées au sein de l’OTAN puis à l’OSCE restent irréconciliables, puisqu’un continent de 500 millions d’âmes ne peut – du point de vue américain – être abandonné aux grands coups de scalpels de l’architecte stratégique russe. L’Ukraine, puis la Géorgie deviendront-t-elles des membres de l’OTAN, ce, au prix d’une guerre ? Au printemps 2008, l’engagement avait été pris par l’Alliance de ne pas donner droit à leurs candidatures. Aujourd’hui, entre nouveau Münich et nouveau Yalta, il paraît bien plus urgent de réarmer l’Europe moralement et stratégiquement. Une initiative majeure s’impose.

* 11 janvier – Trois guerres à éviter en 2022

La dialectique ‘’guerre ou paix’’ sera dominée, dans les mois qui viennent, par trois grandes puissances géopolitiques : les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Dans certaines hypothèses, ces acteurs dominants entretiennent ouvertement l’option de recourir à la confrontation armée dans les rapports de force entre nations. Archaïque et réaliste à la fois.

Aux acteurs dominants du jeu stratégique est réservé le sinistre monopole des conflits mondiaux (potentiellement, tout au moins). Un seul ‘’grand’’ de la Planète est privé de cette capacité moralement discutable mais bien réelle et nécessaire, ‘’par impotence, sinon par philosophie’’ . C’est l’Union européenne, qui écarte cette option et tout scénario extrême. Elle exclut même d’avoir à contrer une offensive majeure à ses frontières comme dans son voisinage. Même refus de se protéger par le parapluie de la dissuasion. La France est un peu l’exception à cette attitude d’irénisme tranquille.

En citant l’éditorialiste Alain Frachon, du Monde (nos remerciements), examinons la trajectoire belliciste de la Russie de Vladimir Poutine :

« En Europe, Vladimir Poutine impose son tempo. Son message est simple : après avoir annexé une région de ce pays, la Crimée, organisé la sécession d’une autre, le Donbass, le président russe se dit prêt à aller à Kiev et à soumettre l’ensemble de l’Ukraine. Auparavant, il a pris soin de manifester avec éclat la puissance militaire retrouvée de son pays : tirs de missiles dernier cri, capacité de destruction dans l’espace, manœuvres géantes aux frontières de l’Ukraine. Des généraux ukrainiens disaient récemment au New York Times qu’ils ne résisteraient pas plus de quatre jours à l’armée russe. Après, ce sera affaire de guérilla populaire ». Solution archaïque parfois efficace mais à long terme, si l’on fait preuve de la patience et de la résilience nécessaires.

L’ambition russe a été publiquement affichée le 17 décembre 2021:  »Poutine veut une nouvelle architecture de sécurité en Europe – en fait, revenir, autant que possible, à la zone d’influence russe existant du temps de l’URSS. L’OTAN doit être neutralisée et fermer ses portes à tout nouvel impétrant. L’objectif est de consigner l’ensemble en bonne et due forme au terme d’une négociation bilatérale entre Américains et Russes qui s’est ouverte les 9 et 10 janvier à Genève ». Ce blog reparlera de cet exercice inquiétant, entre Munich 1938 et Yalta 1944. Bien sûr, on ne parle qu’entre grandes puissances militaires : Moscou a expressément exclu les  »nains européens » de la négociation.

‘’Négociation’’ est d’ailleurs un grand mot. Le Kremlin a fixé publiquement ses lignes rouges d’entrée de jeu, comme pour s’obliger à l’intransigence : tout échange de concessions devient alors une défaite complète et l’exercice devra déboucher, en quelques jours, sur un  »oui » ou un  »non » à ses ultimatums. La Maison Blanche a fait valoir que nombre des prétentions russes étaient inacceptables et qu’en jouant le temps, elle amènerait  »l’Ours » à en rabattre. Elle affirme aussi vouloir réintroduire les Européens dans ce bras de fer, au moins sur un strapontin, et cherche aussi à répartir les enjeux entre plusieurs fora.

La Russie s’est placée dans une posture qui l’oblige à passer à l’offensive, si elle n’obtient pas satisfaction sur ses ‘’lignes rouges’’, c’est à dire sur la recomposition de son empire, à l’Ouest. Cela ne rend pas forcément l’OTAN vertueuse mais le recours au registre des menaces contre les anciens satellites rend l’Alliance indispensable. Dommage ! Une fois de plus, l’Ours blessé devient terrifiant quand il prend le risque de faire de notre continent un vaste cimetière. Peu importe alors ses griefs compréhensibles et ses malheurs passés. Le fait est que l’Europe se rapproche de la guerre. Entre Münich et Yalta, vous dis-je !

* 5 janvier – Tournez, Kazakhs ! 

Le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, a décrété l’état d’urgence pour 15 jours, à Almaty, capitale économique du Kazakhstan, et dans la province de Mangystau. Il a aussi limogé, mercredi, le gouvernement du Premier ministre, Askar Mamin, en réaction aux manifestations monstres qui agitent, notamment, la province d’Almaty. L’origine des troubles semble être la hausse soudaine des prix du gaz. La région pétrolifère de Mangystau dépend économiquement du GNL, pour les transports comme pour le commerce alimentaire tous deux déjà affectés par la crise du coronavirus.

Un groupe de manifestants aurait pénétrer dans un bâtiment ministériel. Plus de plus de 200 arrestations ont été opérées. La veille, les autorités avaient tenté de calmer le jeu en concédant une réduction du prix du GNL, le fixant à 50 tenges (0,1 euro) le litre, contre 120 au début de l’année. Cela n’a pas suffi. Il est fort possible que ce foyer de contestation soit maté par une vigoureuse répression policière. Mais celle-ci risque aussi de politiser et donc de pérenniser les troubles, à plus long terme.

Après la révolution orange de 2014, en Ukraine, le soulèvement de la population en 2020, en Biélorussie, la guerre autour du Haut Kahraba entre Arménie et Azerbaïdjan, l’on constate une désagrégation rampante de ‘’l’Etranger proche de la Russie’’, devenu instable. A l’Est de la Fédération russe, le Kazakhstan en est, de loin, l’élément majeur. Son territoire est immense, incomparable aux autres ‘’républiques d’Asie centrale’’. C’est aussi un voisin et partenaire économique de la Chine. Ses riches ressources comme ses infrastructures sont d’importance stratégique. Pour moitié, sa population est composée de Russes ethniques.

Son entrée en ébullition est donc un nouveau coup du sort, malvenu et très sensible, pour Moscou. Attendons voir…

* 4 janvier – Nouveau Yalta, à la mode Staline ?

Les présidents russe et américain ont eu, le 30 décembre, leur deuxième conversation téléphonique en un mois, à la demande du Kremlin. L’étape suivante sera un face à face, à Genève le 10 janvier toujours à propos des menaces sur l’Ukraine en Ukraine. Le contact ne pouvait, par magie, apaiser les tensions résultant du déploiement par Moscou de plus de 100 000 militaires le long de la frontière russo-ukrainienne. Sans pouvoir encore demander à Joe Biden que l’Ukraine lui soit rendue, Vladimir Poutine exige qu’elle ne soit pas défendue par l’OTAN contre les menées russes et le droit d’en faire un élément d’un ‘’glacis stratégique’’ russe reconstitué. Le Kremlin veut se persuader que Kiev a perdu sa souveraineté et s’est mise aux ordres de l’ambassade américaine. Telle est, d’ailleurs, la perception majoritaire de la géopolitique en Russie, celle d’un monde à l’heure de Yalta, partagé en sphères d’influence.


En corollaire, Moscou, cherche à se dégager du ‘’format Normandie’’, réunissant les chefs d’Etat français, allemand, russe et ukrainien pour trouver une issue à la guerre dans le Donbass. En quête d’un rétablissement de son statut ancien de grande puissance, le Russe ne s’adresse plus ni à l’OTAN, ni à l’Europe, mais prétend désormais redéfinir, avec son seul rival (égal ?) américain, l’architecture de la sécurité européenne. Sans l’Europe, donc, envers laquelle Moscou affiche son mépris. ‘’La Russie discutera avec ceux qui sont réellement capables d’influencer la situation. Nous proposons des négociations sur une base bilatérale avec les Etats-Unis. Si nous impliquons d’autres pays, nous allons tout simplement noyer tout cela dans le débat et le verbiage’’.

Deux semaines après avoir posé ses exigences, sous forme d’un Traité entre Super-Grands, Poutine dicte à Washington, à la façon du ‘’petit Père des peuples’’ un partage géostratégique de l’Europe. Il paraît fort proche de celui de 1944 et traduit une constante de la vision russe. Mais avec un levier de pression redoutable. Outre l’Ukraine et la Géorgie, les pays baltes et même la Pologne sont en droit de se sentir visés.
‘’ Le résultat du travail conjoint devrait être de solides garanties juridiques excluant l’élargissement de l’OTAN vers l’est et le déploiement de systèmes d’armes offensifs à proximité immédiate des frontières russes’’. Il y aurait ‘’rupture complète des relations russo-américaines’’, si devait être commise la grave erreur d’introduire des sanctions à grande échelle contre la Russie, en cas d’escalade autour de l’Ukraine’’.
Suivront des réunions, en janvier, entre la Russie et l’OTAN, à Bruxelles, le 12 janvier et avec l’OSCE, le 13. L’affaire ne débouchera pas dans ces instances mais on peut compter sur la diplomatie militaire de la Russie pour tenter d’enfoncer des coins entre Washington et les 26 de l’UE. Pauvre Josep Borrell ! Toujours, pour la diplomatie européenne c’est toujours le même handicap lancinant à se faire reconnaitre.

L’agenda 2022, déjà bien chargé de dangers, n’échappera pas à la lourde hypothèque russe… nouveau rappel de l’inconsistance européenne, même sous présidence française…

* 22 décembre – Le grand cabaret stratégique

La Russie fait-elle encore peur à l’Occident ? La question se pose toujours, alors qu’elle marque, en pleine mortification, le trentième anniversaire de l’effondrement de feue-sa mère  l’URSS. Hier, Poutine a promis une ’’réponse militaire et technique’’ (sic) face aux positions stratégiques occidentales, par lui perçues ‘’menaçantes’’ aux confins de son présumé ‘’glacis’’ oriental. Il pensait surtout à l’Ukraine, échappée à son emprise depuis 2014 et exposée à un dispositif militaire russe considérable et très pressant. Mais, dans ce fond d’obsession révisionniste commun à toute cette nation, avide de retrouver sa stature d’empire parmi les pays de son étranger proche’’ (et même au-delà), d’autres frustrations tenaces percent sous sa mise en garde.

La Biélorussie est assurément un terrain d’affrontement. La complète insertion dans l’OTAN des ex-démocraties populaires devenues des pays-membres de l’UE revient au même chiffon rouge. Moscou gronde à la moindre manœuvre de l’Alliance dans ce glacis stratégique qu’elle a perdu. La Pologne, en particulier, fait l’objet d’une détestation extrême du Kremlin. Les sanctions consécutives à l’annexion de la Crimée puis au dépècement de l’Ukraine orientale (Donbass) alimentent une volonté de vengeance. La guerre hybride tramée contre l’Occident, les manœuvres sur les livraisons de gaz, les coups de butoir assénés à la périphérie (Syrie, Libye, Afrique sub-saharienne), enfin, la collusion stratégique russe avec Pékin sont autant de signes vengeurs que nous avons du mal à interpréter comme un message cohérent. Il faut dire qu’il n’est pas aisé de se mettre dans la tête de Vladimir Poutine. Sa psychè ne coïncide plus avec notre temps mental, tant ce personnage semble appartenir à un sinistre passé.

Rustre ne signifie pourtant pas irrationnel. Un peu à l’image du processus de Helsinki, lancé en 1973, Poutine vient de proposer à l’Adversaire une négociation sur ‘’l’architecture de sécurité’’. C’est Moscou, cette fois, qui en prend l’initiative. Deux traités sont proposés à l’Ouest, dont le contenu n‘est nullement novateur : un accord de délimitation de la sphère d’influence de l’OTAN, garantissant à Moscou, au moins, le maintien d’une ‘’zone tampon’’ entre l’Alliance et la Russie. Cette frange ‘’finlandisée’’ (que la  Finlande aimée me pardonne ce terme par elle détesté !) serait bien entendu découpée dans la partie orientale de l’Union européenne. S’y ajouterait le Caucase (Géorgie, Arménie) et les autres anciens membres du pacte de Varsovie.

L’autre proposition de Poutine est complémentaire : en gros, sous couvert de dialogue stratégique, restaurer un condominium russo-américain sur l’Europe, pour gérer les problèmes : un nouveau Yalta, dans l’esprit de 1944 ! Ces deux demandes russes sont mortelles mais, venant d’un joueur d’échec – qui sait bien à quel point elles sont inacceptables en l’état – elles restent intéressantes. Une négociation géostratégique marque d’abord des temps de pause comme des pics de pression dans une rivalité globale. Les joueurs se font concurrents plus qu’ennemis. Le fond compte peu au début : il sera façonné par sa forme évolutive, les tactiques employées, le rapport de forces. Poutine a bien compris qu’être à l’initiative, c’est se donner un avantage sur la conduite du processus. George Bush senior avait bien su user de cette logique, en 1990-91, face à Gorbatchev.

On peut regretter que Joe Biden et l’Alliance atlantique aient purement rejeté la gesticulation poutinienne comme une fièvre débile, une grossière ficelle de propagande. Contre-proposer, prendre l’initiative et rappeler à Moscou les lois et réalités du système mondial actuel (notamment, celles de l’Europe) eût été plus avisé. A la table de négociation, la Russie est faible (comme son économie) et ne peut se montrer aussi agressive que sa soldatesque l’est à la frontière ukrainienne. L’Ouest n’aurait-il plus assez confiance en lui ?  Ce serait au nouveau duo Macron – Scholz de prendre le relai pour- si possible – dégager de toute cette poudre aux yeux quelques vraies opportunités.

* 8 décembre – Soigner l’Ours névrotique

Un dispositif militaire russe fort de 100.000 à 174.000 soldats s’est massé au fil des semaines le long de la frontière ukrainienne. Il est organisé en trois lignes de front successives et dispose d’un armement lourd offensif. Donc, il n’a rien à voir avec la force requise pour un accrochage frontalier. Au large des côtes d’Odessa, 65 navires militaires et 6 sous-marins croisent en Mer Noire, sanctuarisée à son profit par la Russie. Le port militaire de l‘Ukraine est cerné et le Donbass, pris dans la pince. Le spectre d’une nouvelle guerre entre dans les esprits. Cette fois, elle pourrait happer l’Europe dans sa tragédie. Faut-il s’inquiéter ? Biden et Poutine se sont téléphoné, ils ont opté pour une démarche de pressions et de marchandage et sont tous deux rationnels… mais à leur façon.

Cette fois-ci, l’armée russe n’effectue pas des manœuvres, comme c’était le cas au printemps dernier. La concentration de forces monte en régime, pour une projection … ou pour un bluff. Moscou joue, au minimum, l’intimidation, le test de la volonté des gouvernements de l’Ouest de ‘’mourir pour Kiev’’ … ou non. Tout dépendra, dans cette partie de bras de fer, de la volonté féroce du Kremlin de faire plier l’Occident mais aussi du crédit que ce dernier accorde à la psychose russe de l’enfermement. L’enjeu, vu du Kremlin, est de reprendre le contrôle – pas nécessairement la possession – du glacis stratégique oriental que la Russie a perdu en 1991. L’Ukraine est censé en être le pilier principal et les quelques attentions que lui portent l’Europe et l’OTAN – pour peu significatives qu’elles soient – sont intolérables à Vladimir Poutine. Comme les rois d’antan, il prétend disperser l’ennemi ou investir le fief de son vassal, faire donner l’Ost, prendre des gages territoriaux. A l’heure de la mondialisation, un féodalisme à la Machiavel campe à nos portes. La géopolitique c’est aussi ça.

Le côté ukrainien brandit bien haut son étendard de victime. Il gère la crise, un peu dans la même tradition populiste, face à un adversaire qui prétend, avec toupet, être menacé par plus petit et moins fort que lui. Qui verrait le régime de Kiev parti pour occuper Moscou ? Son  tort est plutôt d’être ostensiblement soutenu en équipement, par l’OTAN et de prétendre à la ronde en être l’allié. Il bénéficie, de la part de Washington, de divers engagements oraux de protection, qui ont enclenché un engrenage d’escalade militaire. La multiplication des mises en garde américaines laisse percevoir la possibilité d’une contre-offensive de l’OTAN, le cas échéant. Ceci n’empêche pas M. Blinken d’en appeler, pour le principe et pour la moralité du langage, à une solution diplomatique, solution à laquelle Moscou objecte ne plus croire. Les Européens n’ont pas été consultés, alors que la logique de guerre s’incruste dans les esprits. L’enchainement des tensions suscite une forme d‘hystérisation chez les deux principaux protagonistes.

Les déclarations américaines et celles de l’imprudent secrétaire général de l’Alliance postulent que l’OTAN ne refusera jamais une candidature émanant d’autres Etats de l’ancien bloc soviétique. Aucun interdit ne pèserait, en particulier, sur l’Ukraine ni sur la Géorgie, ces voisins honnis de la Russie. Ils  »défient » dans son ‘’étranger proche’’ tandis que l’Ours russe s’acharne à les démembrer, bloc après bloc. L’extension à l’Est du pacte militaire occidental constituerait de fait le pire des chiffons rouges, peut-être même un casus belli, aux yeux du Kremlin. L’Ouest avait, sans vergogne, franchi cette ligne rouge, lors de l’effondrement de l’URSS. L’Ours s’était senti menacé. Puis on avait tenté d’adoucir sa potion amère en lui promettant ‘’plus jamais !’’ et en tentant de l’intégrer, cahin-caha, dans une architecture européenne de dialogue et de coopération, remède imparfait à sa solitude. Il fallait bien calmer sa paranoïa revancharde.

Les agressions récurrentes lancées par la machine de guerre russe ont ramené le camp américain à sa perception dure. On a assisté à un changement radical de perception, de 2008 (annexion de deux provinces géorgiennes) à 2014 (révolution orange en Ukraine et dépècement territorial de l’Ukraine), jusqu’à 2020, qui a vu Poutine prendre la main sur une Biélorussie en révolte contre Loukachenko. Ne parlons pas des mercenaires Wagner en Afrique. On pouvait prédire facilement que l’Ours paranoïaque verrait, dans les sanctions et coups d’arrêt occidentaux, la manifestation d’un plan d’agression prémédité à son encontre. L’Ukraine constitue, dans cette hypothèse, un tremplin de guerre lancé contre lui, par l’Amérique. La chasse à l’Ours serait ouverte.

Moscou avait dit ne rien attendre de l’entretien téléphonique Biden – Poutine. C’était assez réaliste. Dans cette affaire, les Américains mettent surtout en musique leur leadership rétabli sur l’Occident. Les Français cherchent à faire exister l’Europe et, comme les Allemands, ils voudraient revenir aux paramètres de règlement classiques définis par les accords politiques de Minsk (sans les Américains) puis par le  format de dialogue restreint dit ‘’Normandie’’. Mais, il n’y a plus personne pour s’assoir à la table avec eux et, pour l’heure, Moscou travaille sur le rapport de forces. Bluff ? Maladie de la persécution ? Echec de la diplomatie ?

Irions-nous vers un avatar ukrainien de l’‘’annexion des Sudètes’’ ? Serait-t-il honteusement suivi d’une ‘’paix sauvée’’ du style de celle Munich’’ ? On pense à un remake illusoire de la piteuse négociation de 1938, rapidement ruinée par la survenance d’un conflit de continental. La question russe est là pour rester longtemps. Elle n’a pas fini de déstabiliser l’Europe, qui, malheureusement, n’a plus grand chose à dire sur le plan stratégique. Faudrait-il pardonner un peu, tourner la page et recoudre les morceaux épars de la grande Europe en un système stable mais hybride d’Est en Ouest ? Faut il au contraire refuser le chantage, la finlandisation des confins russes et la menace d’un acteur dangereux car névrotique, qui ne reconnait que la force ?  C’est le choix entre les années 1990 et les années Poutine…

L’Ours du blog me rappelle que son cousin russe ne se laisserait jamais mener avec un fouet et une longe dans le nez. Donc, on cherche des idées neuves.

* 24 septembre – Vexe-Action, version malienne

‘’Titillée’’ au Sahel, la diplomatie française réagit avec vigueur, comme elle l’a fait aussi dans l’affaire des sous-marins. A ceci près que  c’est le ministère des Armées qui fait fonction ‘’Quai d’Orsay’’ dans cette région. Il faut s’y  faire. On retrouve l’intrépide ministre française des Armées face à ce qu’il faut bien appeler un gouvernement voyou. Les colonels putschistes du Mali, issus du coup du 18 août 2020, sont les principaux acteurs de l’effondrement militaire de leur pays. Mais, ils ont leur fierté et ils détestent reconnaître  leur besoin d’une protection extérieure, surtout venant d’une ancienne puissance coloniale. Celle-ci, surtout, jauge leur faible capacité à gouverner, ce qui leur est insupportable.

Grand paraît l’amateurisme de ces néophytes arque boutés sur leur fierté de caste et moins soucieux de la défense de leur pays face à la déferlante jihadiste. La junte militaire de Bamako menace de basculer vers l’offre russe et joue avec l’idée de changer de tutelle protectrice. L’alternative, comme de coutume, concerne le groupe Wagner et les mercenaires sans insigne de Vladimir Poutine. On improvise un levier de pression sur la France pour qu’elle cesse de regarder la mauvaise gouvernance et on attise les sentiments anti-français qui couvent dans la population. La carte du nationalisme fournit facilement une aura.

La Centrafrique a déjà pratiqué ce revirement vers Moscou. Elle n’en a tiré qu’un surcroit de violence qui ne règle pas ses maux internes. Poutine ne demande  bien sûr qu’à dépêcher sa Bamako les tueurs sans âme du groupe Wagner. Mais en se payant sur la bête : l’exploitation exclusive de ressources minéralières du sous-sol en constituera le prix. En optant pour la dépendance à l’égard d’une dictature prédatrice des rares ressources économiques du Mali, on voit bien à quoi le ‘’deal’’ exposerait le Mali. Et donc, pas vraiment en quoi Wagner se consacrerait aussi bien ou mieux que Barkhane à rétablir l’intégrité du pays. Comment d’ailleurs l’armée privée russe pourrait-elle opérer parallèlement à l’opex française et aux G 5/ Minusma de la communauté internationale ? Sauf à chasser du Mali les ‘’gêneurs’’ occidentaux, africains et onusiens, évidemment. Le chantage de la junte malienne paraît irresponsable et pernicieux mais il n’est pas ferme pour autant.

Florence Parly a affirmé bien haut la détermination française à poursuivre les opérations militaires au Sahel (hormis les zones du Nord du Mali), sous un format concentré. Les forces continueront à engager le front des katibas jihadistes, mais sans avoir à ‘’occuper’’ les arrières. La préoccupation de Paris est de ne pas placer les soldats français et européens en situation d’occupants. A la lumière du précédent afghan et de l’expérience récente au Sahel, une présence trop pesante génèrerait de fortes tensions et la certitude un enlisement militaire. La ministre a donc bien ‘’secoué les puces’’ aux susceptibles colonels. Ils ont été priés de mettre en œuvre une présence défensive et administrative sur leur propre sol national, là où les combats n’ont pas lieu (mais où les tensions ethniques s’expriment). Mme Parly n’a pas mâché non plus ses mots sur la monstruosité d’un recours à Wagner/Moscou et s’est fait relayer auprès de Bamako par les voix des alliés de la France, européens et atlantiques.  Alors que la communauté internationale n’a jamais été autant mobilisée à combattre le terrorisme (au Sahel),’’ l’option russe serait celle de l’isolement », ‘’il faudrait en mesurer les conséquences’’. En termes clairs, le Mali s’exclurait du bouclier anti-jihadiste et de la communauté internationale.

Les premiers commentaires des colonels trahissent un certain flottement. Une bouée de sauvetage leur a été tendue. Si les choses rentrent dans l’ordre, les sociétés de service du ministère français de la défense pourraient monter pour eux une  »école de guerre », de quoi sauver la face. Il leur a aussi été rappelé que leurs voisins et partenaires africains s’inquiètent de leur peu d’empressement à organiser des élections pour rendre le pouvoir aux civils, en février 2022, comme la CEDEAO l’exige.

La mauvaise gouvernance est devenue le vrai sujet, avec quelques coups bien mérités sur les doigts et une carotte aussi. Il fallait bien une ministre-soldate, plutôt qu’un distingué diplomate de salon, pour accomplir ça. Repos !