Dans le stade ‘’nid d’oiseaux’’ de Pékin, la place a été laissée vide par les représentants des pays occidentaux, pour fait de boycott ou par retard délibéré. Poutine a donc attiré sur lui-même toute la lumière des projecteurs. Vedettes du grand show olympique, les présidents russe et chinois ont assisté, en bons comparses bien réjouis, à la cérémonie d’ouverture des Jeux d’hiver. Au-delà du sport, la fresque parlait de l’état du monde : on était invité à entrer de plain-pied dans ‘’l’ère post-occidentale’’ (et post-démocratique). Si l’on formate le monde ainsi, les efforts – méritoires, quoique très incertains – du président français pour tenter d’arrêter la machine de guerre aux frontières de l’Ukraine tiennent de la simple anecdote de comptoir de bar, comme on le dirait d’une danse villageoise dans le Bas-Congo pour faire venir la pluie.
La réception du président russe par M. Xi, trois heures durant, la signature d’une quinzaine de documents, politiques et commerciaux (Gazprom et Rosneft ont évoqué des accords avec leurs homologues chinois), mais plus encore la publication d’une longue déclaration commune sur l’entrée des affaires internationales dans une »nouvelle ère » ont exalté la collaboration des deux régimes dans les affaires du monde. Ce texte géostratégique met en exergue une forte convergence (circonstancielle) contre ‘’l’ennemi commun’’. La ‘’nouvelle ère dans les affaires internationales’’ serait, assurément, d’empreinte sino-russe exclusive. Pour Vladimir Poutine et Xi Jinping, l’essentiel est bien là : apparaître en leaders du monde, là où l’Occident sombre, de sa propre faute, dans l’insignifiance. Tant pis pour les athlètes et pour la trêve olympique, qui n’est d’ailleurs plus respectée depuis longtemps ! Qui plus est, la Russie n’avait-elle pas été suspendue du mouvement olympique pour ‘’dopage d’Etat systémique’’ ? Qu’importe ! Le seul podium recherché est celui de la ferveur nationaliste et de la puissance d’Etat. Les athlètes en fournissent l’occasion et une partie du décors. Le document bilatéral constitue logiquement une charge contre les Etats-Unis et leur ‘’approche de guerre froide’’, mais aussi contre l’Occident. Les deux capitales se disent préoccupées par la formation de l’alliance militaire des Etats-Unis avec le Royaume-Uni et l’Australie (l’Aukus), estimant que cette entreprise, notamment autour de la fabrication de sous-marins nucléaires ‘’ touche à des questions de stabilité stratégique’’’. Dans cette situation, la Chine et la Russie seraient, selon le Global Times (version anglophone du Quotidien du Peuple), ‘’les deux seuls pays ayant encore la capacité de sauvegarder leurs intérêts fondamentaux et leur souveraineté’. Presqu’un appel à la guerre des peuples, venant de deux régimes totalitaires qui ont en plus le toupet de se proclamer ‘’défenseurs d’une ‘’démocratie authentique’’. On n’est quand même pas très loin de Berlin-1936 ! Aucune voix ne fait contre-écho, à l’Ouest. Les absents ont toujours tort et un boycott sportif n’a jamais fait avancer la cause des opprimés. On le savait trop bien, dès l’origine du débat, mais on a été veule, comme souvent.
Les présents, eux, échangent de bons procédés. L’hôte des Jeux et son invité d’honneur ont affiché un soutien mutuel sur leurs sujets de préoccupation. Ainsi, la Chine endosse-t-elle l’opposition virulente de la Russie à tout élargissement de l’OTAN. C’est une prise de position sur l’Ukraine, qui pourrait bloquer toute possibilité d’action au sein du Conseil de sécurité, si l’invasion se concrétisait. Les Etats-Unis et l’Europe auraient-ils alors la volonté et les moyens de surmonter leur potentielle impuissance, en recourant à l’arme des sanctions face aux deux puissances nucléaires dont l’une est un pilier de l’économie mondiale et peut le mettre à l’abri ? Non pas que cette alliance entre comparses soit de format équilibré ni qu’elle repose entièrement sur des intérêts communs. Le duopole totalitaire a ses failles et ses contradictions. Chacun y roule d’abord pour lui-même. Mais la détestation de l’Occident et l’envie de le rejeter à la marge – et, avec lui, tout le système de droit et de maintien de la paix – est peut-être LE catalyseur qui alimente le mieux leur collusion mortifère.
Un fait à ne pas sous-estimer.