Vraiment pas drôle ! Alors qu’à l’Est de l’Europe la démocratie se bat pour survivre, sur la Manche et sur sa rive Nord, la plus ancienne des démocraties s’échine à déporter en masse des malheureux, comme au 19 ème siècle puis sous Staline. A Londres, quelques-uns marchent sur la tête ! Le fait est là : le gouvernement de Boris Johnson a annoncé, le 14 avril, un accord avec celui de Kigali (Rwanda) visant à transférer manu militari, dans ce pays distant de 6500 kms, les demandeurs d’asile parvenus ‘’illégalement’’ au Royaume-Uni : un non-sens puisque fugitifs, ceux-ci n’ont pas à justifier d’un visa mais seulement des persécutions avérées ou justement craintes qu’ils ont subies.
L’accord de déportation a été négocié en secret, depuis neuf mois, entre Londres et Kigali. Contre une généreuse rétribution, il vise à dissuader les passages par la Manche – entre 500 et mille par jour, en bateaux pneumatiques ou dans des camions – et à donner consistance aux promesses xénophobes du Brexit : moins de résidents étrangers, plus de contrôle des frontières. Hypocritement, Boris Johnson maquille ses motivations en une lutte contre les passeurs ‘’lesquels engendrent trop de misère humaine et de morts’’ (petite larme émue). Il admet, un peu moins fuyant, ‘’vouloir en finir avec l’immigration illégale… le seul moyen d’accueillir ceux qui ont vraiment besoin de protection’’.
Mais les accueillir où ? Apparemment, si certains de ces exilés devaient décrocher le statut de réfugié, ce serait de la part du Rwanda et pour y rester. Contre toutes les dispositions de la Convention de Genève sur les réfugiés, il s’agit, donc d’un projet de refoulement pur et simple britannique doublé d’un examen des cas par les autorités rwandaises. Aucune garantie de protection ne serait alors donnée aux intéressés, au bout du compte. Pour ceux qui seraient déboutés, libre aux autorités rwandaises d’en faire ce qu’elles veulent. L’on sait qu’elles ne sont pas réputées pour leur comportement humanitaire ni démocratique, que la torture y a toujours cours … qu’importe !
Le Royaume Uni vit, avec cette pénible affaire, un nouvel épisode de son Brexit. Il est clair que la plupart des Brexiters idéologiques s’accommoderaient parfaitement de de dévoiement du droit. Des précédents existent, notamment de la part du très xénophobe premier ministre libéral australien, Scott Morrison, mais Canberra n’a jamais délégué à Nauru ou au gouvernement papou – ses garde-chiourmes stipendiés – le soin de statuer sur le sort administratif des retenus à jamais parqués dans leurs camps. Pour le monde comme pour l’Europe, Johnson et sa ministre de l’Intérieur, Priti Patel, ont conçu une monstrueuse première, qui pourrait bien leur revenir en pleine face, par effet boomerang. Il y a trop d’ambiguïté à jouer ainsi avec les fêtes de Pâques, l’actualité ukrainienne très prégnante et, qui sait, peut-être aussi l’effet repoussoir du second tour de la présidentielle, en France.
Dès l’annonce du dispositif, les associations humanitaires britanniques ont bien sûr crié au loup. Johnson lui-même s’attend à des recours en justice. Le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (UNHCR) fait écho aux ONG. L’opposition parlementaire travailliste a appelé le Gouvernement tory à démissionner pour cette nouvelle forfaiture venant après le scandale des fêtes pendant les confinements. La presse insulaire évoque le risque d’une mutinerie au sein de la fonction publique, certains bureaucrates menaçant même de démissionner. Plus percutant, en pleine semaine sainte, la hiérarchie de l’Église anglicane pointe du doigt de ‘’graves questions éthiques’’. La faute ‘’ne pourra pas survivre au jugement de Dieu’’. Que dire de plus ? Que Boris, le populiste sans vergogne, n’est pas encore sorti de l’auberge, ni très stable au 10 Downing Street.