La définition du terrorisme est au bon vouloir de chacun. Les Nations Unies ni le droit international n’en donnent une traduction précise. Pas plus que nihilisme, jihadisme, anarcho-syndicalisme, etc.. Le jour venu, ce sont les individus qui sont jugés pour leurs crimes, sans obsession pour leurs idéologies ou autres pathologies. Aucun doute sur le fait que le combat mené par Barkhane contre tous ces ‘’ismes’’ affreux est légitime et qu’il cherche à préserver l’Afrique (et la France) d’une mortelle contagion. Mais l’état des lieux sahélien est sombre : face à l’expansion jihadiste, tout repose sur l’action armée. Aucune attention n’est portée aux droits des populations civiles. L’incurie des dirigeants locaux, l’absurde passivité de l’Union Africaine, le manque d’explication des enjeux , l’absence de culture citoyenne et – enfin et surtout – les effets délétères d’une présence militaire qui s’éternise et devient psychologiquement oppressante : tout conduit à créer un Afghanistan sahélien. Qu’une erreur tragique survienne et c’est la légitimité de l’action des soldats étrangers qui s’effondre.
Que s’est-il donc passé à Bounty, au Mali, le 3 janvier, pour qu’on soupçonne les militaires français d’avoir bombardé les participants à un mariage ? La MINUSMA, à travers sa Division des droits de l’homme et de la protection, a déployé une mission spéciale d’établissement des faits, avec l’appui de la police scientifique des Nations Unies, en vue de faire la lumière sur ce drame. Le ministère français de la Défense n’en commente pas les conclusions : il les rejette en bloc. Tous terroristes, les invités, ou tous civils et innocents ? Et si ‘’tous’’ n’était pas la réponse adéquate et que les deux affirmations se recoupaient ? Un effort mental est alors nécessaire pour concevoir que la même personne puisse être un civil innocent le jour et un sinistre terroriste la nuit, ou encore qu’un civil non-violent puisse placer sa confiance dans un terroriste fraternel, défenseur de son identité. Et pourtant …
La mission onusienne a travaillé méthodiquement. Elle confirme la tenue d’une célébration de mariage, qui a rassemblé, sur le lieu de la frappe aérienne, une centaine de civils, parmi lesquels se trouvaient cinq personnes armées, membres présumés de la Katiba Serma. Elle a procédé à une fouille du site d’enfouissement des dépouilles des victimes de la frappe. Au moins 22 personnes, dont trois combattants de la Katiba Serma, sont décédées. Aucun élément matériel n’attesterait la présence d’armes, ce qui aurait fait du village une base opérationnelle. Mais il est vrai que quelques armes légères peuvent circuler de façon individuelle. Ce décompte précis est difficilement contestable. Il met en jeu la responsabilité des planificateurs français, en termes de droit de la guerre et de protection des populations civiles. C’est cette incrimination juridique qui horripile le ministère de la Défense et suscite la langue de béton de Mme Parly. Pourtant, les Nations Unies ne remettent pas en cause la légitimité politique des opérations françaises au Sahel. Elle recommande logiquement une enquête indépendante, crédible et transparente, portant notamment sur la préparation des frappes, les critères d’identification de la nature militaire des objectifs (on peut imaginer que la Défense y procédera en interne) mais aussi, sur les possibles violations du droit international humanitaire (là, ça coince…) et sur les responsabilités des personnels de Barkhane (bronca assurée du côté des militaires français !).
Il est pourtant temps de réintroduire de la prospective et de l’introspection politique, sans doute même un peu de transparence, dans la conduite de ce conflit régional. Les interventions armées françaises – récentes comme du siècle précédent ont trop souvent vu les politiques se décharger sur les militaires de leurs responsabilités stratégiques… à fortiori lorsqu’aucune issue n’était en vue.