Ce n‘est pas la troisième guerre mondiale, encore moins le retour de la guerre froide. Nous (pays occidentaux) ne sommes pas belligérants. Nous sommes protagonistes d’une guerre de prétérition et d’exclusion d’un type nouveau. Le conflit n’est pas seulement entre la Russie (et la Biélorussie), d’un côté, l’Ukraine et les membre de l’Alliance atlantique, de l’autre : il est mondialisé. ‘’Mondialisé’’ ne veut pas dire ‘’mondial’’, la nuance a son importance. Les pays occidentaux ne sont pas suivis par les Etats émergents, qui ne leur sont pas ‘’alliés’’ et dont ils n’épousent pas (ou très mollement) la cause. Du point de vue stratégique, la moitié de l’humanité en nombre d’individus ne suit pas l’Ouest et s’abstient de sanctionner Moscou. La riposte à l’agression de l’Ukraine vise une exclusion de la Russie du système mondial multilatéral, économique, culturel et sportif. Cette stratégie consiste à ‘’user l’agresseur’’ et à l’appauvrir économiquement. Elle est, assurément, bien calibrée comme réponse à une ‘’guerre hybride’’ polyforme conduite par une puissance nucléaire (inattaquable sur le plan militaire) insérée dans la mondialisation, où se situe donc sa vulnérabilité.
Sur ce plan, les Occidentaux sont suractifs à la manœuvre. On n’a jamais tapé aussi fort, de toute l’histoire contemporaine, avec les artilleries économique, financière, judiciaire, le blocus technologique et le boycott commercial, l’interdiction des médias ‘’protagonistes’’, les restrictions à la circulation, les mesures ciblées individuelles, la paralysie des liaisons aériennes, les confiscations et, bien sûr, les livraisons d’armes à l’Ukraine dont la part d’engagement américaine compte déjà en centaines de milliards de dollars (au moins, cinq fois plus que tous les alliés réunis). Mais ils ne rallient le reste du monde pas à leurs sanctions et les trous sont nombreux dans la raquette, à commencer par l soutien chinois au régime russe.
Les Russes, placés sur la défensive, ripostent avec les atouts commerciaux limités qui sont les leurs. Ils recourent traditionnellement à l’arme énergétique, gênante à court terme, mais qui, au fond, stimule la nécessaire transition écologique dans ce domaine.
Venant d’un bord ou de l’autre, les coups de serpe infligés aux marchés sont prodigieusement coûteux. Pour la Russie, par définition, mais en fait pour tous les acteurs économiques, compte tenu de l’impact de ces effets collatéraux, hautement perturbateurs, sur les marchés mondiaux. Le nombre de biens agricoles ou industriels en situation – présente ou prochaine – de pénurie est tel que l’économie mondiale, relancée après la pandémie, rentre en phase d’inflation et de ralentissement, la spirale de stagflation augurant, un peu partout, de répercussions longues et socialement explosives. C’est la seconde crise de l’offre créée par des politiques humaines depuis la précédente crise du Covid. Pour la partie la plus pauvre du monde émergent, l’effet indirect des sanctions signifie même la perspective de famines et de désordres sociaux dans le cours de l’année. Le Sri Lanka vient d’établir le modèle de la faillite par dépendance extérieure et aucun continent n’en réchappera.
C’est précisément par ce type de conséquences que le conflit en Ukraine est mondialisé, sans constituer pour autant une guerre mondiale. Il ne faut donc pas rester sourd à l’exaspération et à l’inquiétude de nombreux dirigeants du Sud qui craignent la survenance de révoltes sociales autour du pain, du prix des denrées alimentaires ou de l’énergie. Quand en plus, la gouvernance est médiocre, la crise constitue l’amorce d’une descente aux enfers.
Ce blog accorde de la crédibilité à la théorie des ‘’intersocialités’’ (la scène internationale animée par des contradictions sociales et inter-sociétés et non pas par un monopole des Etats en la matière), développée par le professeur Bertrand Badie. En résumé, cet éminent enseignant en sciences politiques, perçoit trois traits nouveaux dans la guerre par proxy et par exclusion livrée à l’agresseur russe :
1 – Poutine s’est enfermé dans un schéma, franchement archaïque, de conquête territoriale par la force 100 % militaire. Il ruse, ne se fie qu’à lui-même et ne se laisse pas entamer par les sanctions ni par l’isolement. En bon dictateur, il juge que la société ruse ‘’suivra’’ bon an, mal an. Sur ce point, la ‘’perception du Prince’’ devrait s’avérer faussée. Il n’avait pas pressenti le patriotisme ukrainien ni le réflexe unitaire des Occidentaux. La myopie est un handicap e stratégie.
2 – Les Occidentaux et leur réflexe d’Alliance autour des Etats Unis donnent à l’Oncle Sam une forte prééminence sur l’Union Européenne. C’est un peu un retour en arrière, mais rien d’autre ne s’avère efficace sur le plan militaire. Paris et Berlin sont soucieux de sauvegarder des canaux pour conclure, un jour, la Paix. De ce fait, le tandem franco-allemand se voit contré par les Européens de l’Est, pour qui ‘’l’heure est au combat défensif, pas à la négociation’’. Ils marchent au pas cadencé derrière Washington. Des frictions apparaissent, en perspective…
3 – L’issue de ce nouveau type de guerre ne se trouve pas dans‘’ la bataille décisive’’, mais bien dans la capacité de résilience et de cohésion des sociétés (dont les forces combattantes). De ce point de vue, nous avons surtout à craindre la ‘’colère du Sud’’, où domine la perception de l’Europe, des Etats Unis et du G7 comme ‘’Club néo-colonialiste, accaparant les ressources et l’argent’’. Le phénomène des migrations reste le principal mode d’ajustement dont on y dispose face aux détraquements de notre monde, forgé par le Nord. Dommage que les sociétés émergentes aient si peu de compassion et de solidarité envers les Ukrainiens ! Mais, que voulez-vous, nous (Occident) sommes aussi loin de la perfection.