Emboîtant le pas à la CEDEAO, qui a accusé la junte putschiste de Bamako de faire obstacle à la transition politique, l’Union européenne a sanctionné cinq responsables, dont le Premier ministre de transition Choguel Kokalla Maïga. Ces sanctions consistent essentiellement en une interdiction d’entrée sur le territoire de l’Union européenne et un gel des avoirs en Europe. Ce geste de fermeté, limitée dans ses implications, marque politiquement solidarité des Européens à l’égard de Paris. C’est important dans cette crise qu’on n’a pas su anticiper. Elles constituent d’abord une réponse de basse fréquence à la prétention des prétoriens maliens de s’arroger sept années de pouvoir via l’abrogation des institutions de l’Etat de droit et sans partage aucun. En filigrane, il s’est agit aussi de ‘’marquer le coup’’, au terme de toute une série de manifestations populaires anti-françaises, téléguidées par la junte. Le but en était de rendre impossible la poursuite des missions anti-djihadistes française et européenne, pourtant réclamées par Bamako.
L’expulsion assez ignominieuse de l’ambassadeur de France, mais aussi celle du contingent danois, venu participer à l’opération des forces spéciales Takuba, avait fait culminer les vexations au-delà du supportable. Il fallait forcer Paris à ‘’abandonner’’ militairement le Mali pour réaliser le reproche qu’on lui envoyait à la face. De fait, Bamako a choisi l’isolement complet, sur le plan international, pour se donner les mains libres sur le plan intérieur, voire se forger un succédané de leadership par la fuite en avant nationaliste. La présence de l’ONU (via la Minusma) et celle des pays voisins dits du G 5 s’en trouvent également compromises.
Si le contrat de mercenariat passé avec le groupe russe Wagner est apparu comme une vraie provocation aux yeux de la diplomatie française, il n’est pas sûr que les clients maliens, probablement peu au fait de la géostratégie Est-Ouest, se soient intéressés à cet aspect des choses. Ceci a en revanche ouvert une fenêtre d’opportunité et d’influence stratégique, vite saisie par le Kremlin. La junte ne compte guère sur elle-même pour se défendre et à fortiori pour défendre le pays. Elle a besoin de fusils serviles et stipendiés, à sa botte et sans attache locale, qui ne soient pas regardant sur les méthodes. Rien à voir avec la menace djihadiste, face à laquelle des militaires français et africains meurent dans l’indifférence locale. Les gardes prétoriennes ou présidentielles sont, depuis les indépendances, une plaie de l’Afrique : choyées de multiples avantages essentiellement pour défendre les hommes forts en place, elles ont parfois la fâcheuse tentation de les remplacer manu militari.
Cette faille du système traduit malheureusement un flagrant échec de 60 ans de coopération de sécurité et de défense française en Afrique sub-saharienne. Au bout du compte, l’on constate que les ‘’assistants techniques’’ français sont avantageusement remplacés par des mercenaires sans foi ni loi. Mais Wagner ne s’aventurera pas à une confrontation avec Daech ou Al Qaïda. L’idée monte dans les capitales ouest-africaines de nouer des liens avec les centrales islamistes pour rechercher des solutions de compromis. Ce pourrait aboutir à une sorte de Yalta qui céderait aux islamistes les territoires dont les gouvernements en place n’ont plus la maîtrise et se méfient des populations, ceci, en échange d’un répit dans leur expansion politico-militaire.
La France porte, il est vrai, une part de responsabilité tactique dans ce mauvais tournant. C’est la classique comparaison avec le désastre en Afghanistan : elle n’a pas su limiter son action militaire dans la durée. Même valeureuse et désintéressée, une présence de ce type se corrompt inexorablement en neuf ans. Le diktat qui veut qu’aucune parole n’est autorisée avec l’adversaire constitue la meilleure manière de se faire contourner. C’est fait. Paris y a pris garde sur l’affaire ukrainienne mais a manqué incroyablement de vision – celle de la ‘’grande image’’- et de lucidité, au Sahel.