* 10 février –  Myopie et déconvenues au Mali

Emboîtant le pas à la CEDEAO, qui a accusé la junte putschiste de Bamako de faire obstacle à la transition politique, l’Union européenne a sanctionné cinq responsables, dont le Premier ministre de transition Choguel Kokalla Maïga. Ces sanctions consistent essentiellement en une interdiction d’entrée sur le territoire de l’Union européenne et un gel des avoirs en Europe. Ce geste de fermeté, limitée dans ses implications, marque politiquement solidarité des Européens à l’égard de Paris. C’est important dans cette crise qu’on n’a pas su anticiper. Elles constituent d’abord une réponse de basse fréquence  à la prétention des prétoriens maliens de s’arroger sept années de pouvoir via l’abrogation des institutions de l’Etat de droit et sans partage aucun. En filigrane, il s’est agit aussi de ‘’marquer le coup’’, au terme de toute une série de manifestations populaires anti-françaises, téléguidées par la junte. Le but en était de rendre impossible la poursuite des missions anti-djihadistes française et européenne, pourtant réclamées par Bamako.

L’expulsion assez ignominieuse de l’ambassadeur de France, mais aussi celle du contingent danois, venu participer à l’opération des forces spéciales Takuba, avait fait culminer les vexations au-delà du supportable. Il fallait forcer Paris à ‘’abandonner’’ militairement le Mali pour réaliser le reproche qu’on lui envoyait à la face. De fait, Bamako a choisi l’isolement complet, sur le plan international, pour se donner les mains libres sur le plan intérieur, voire se forger un succédané de leadership par la fuite en avant nationaliste. La présence de l’ONU (via la Minusma) et celle des pays voisins dits du G 5 s’en trouvent également compromises.

Si le contrat de mercenariat passé avec le groupe russe Wagner est apparu comme une vraie provocation aux yeux de la diplomatie française, il n’est pas sûr que les clients maliens, probablement peu au fait de la géostratégie Est-Ouest, se soient intéressés à cet aspect des choses. Ceci a en revanche ouvert une fenêtre d’opportunité et d’influence stratégique, vite saisie par le Kremlin. La junte ne compte guère sur elle-même pour se défendre et à fortiori pour défendre le pays. Elle a besoin de fusils serviles et stipendiés, à sa botte et sans attache locale, qui ne soient pas regardant sur les méthodes. Rien à voir avec la menace djihadiste, face à laquelle des militaires français et africains meurent dans l’indifférence locale. Les gardes prétoriennes ou présidentielles sont, depuis les indépendances, une plaie de l’Afrique : choyées de multiples avantages essentiellement pour défendre les hommes forts en place, elles ont parfois la fâcheuse tentation de les remplacer manu militari.

Cette faille du système traduit malheureusement un flagrant échec de 60 ans de coopération de sécurité et de défense française en Afrique sub-saharienne. Au bout du compte, l’on constate que les ‘’assistants techniques’’ français sont avantageusement remplacés par des mercenaires sans foi ni loi. Mais Wagner ne s’aventurera pas à une confrontation avec Daech ou Al Qaïda. L’idée monte dans les capitales ouest-africaines de nouer des liens avec les centrales islamistes pour rechercher des solutions de compromis. Ce pourrait aboutir à une sorte de Yalta qui céderait aux islamistes les territoires dont les gouvernements en place n’ont plus la maîtrise et se méfient des populations, ceci, en échange d’un répit dans leur expansion politico-militaire.

La France porte, il est vrai, une part de responsabilité tactique dans ce mauvais tournant. C’est la classique comparaison avec le désastre en Afghanistan : elle n’a pas su limiter son action militaire dans la durée. Même valeureuse et désintéressée, une présence de ce  type se corrompt inexorablement en neuf ans. Le diktat qui veut qu’aucune parole n’est autorisée avec l’adversaire constitue la meilleure manière de se faire contourner. C’est fait. Paris y a pris garde sur l’affaire ukrainienne mais a manqué incroyablement de vision – celle de la ‘’grande image’’- et de lucidité, au Sahel.

* 7 juin – Le théâtre et ses sorciers

A la suite du second coup d’Etat dans le putsch des militaires au Mali, la diplomatie française avait annoncé, au début de juin, suspendre sa coopération bilatérale avec l’armée locale. Pas en soi, un renoncement à combattre le jihadisme au Sahel, ni même un retrait de l’opération Barkhane, mais un effacement au sein d’un collectif euro-africain centré sur le dispositif de forces spéciales Takuba, complété par les formations dispensées au G 5 panafricain. La colère – et le dépit – d’E. Macron semblaient sérieux et destinés au Tchad, où s’opérait une succession ‘’dynastique’’ au défunt président Idris Debby. Le fils du chef de guerre a néanmoins été reçu à l’Elysée, un premier signal pour le moins ambigu. La colère jupitérienne n’aura-t-elle été que théâtrale et forcée ?


Le ministère français des Armées vient d’annoncer, le 2 juillet, la reprise de ses opérations conjointes avec les Forces armées maliennes (FAMa). ‘’A l’issue de consultations avec les autorités maliennes de transition et les pays de la région, la France prend acte des engagements des autorités maliennes de transition endossés par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Elle a décidé la reprise des opérations militaires conjointes ainsi que des missions nationales de conseil, qui étaient suspendues depuis le 3 juin’’. Rient d’exprimé, cependant, au niveau du sommet, qui n’a pas mangé son chapeau mais a clos l’épisode du dépit. On se contente de varier les humeurs. Il faudra vérifier si les Maliens, les Africains et les Américains (qui veillent au grain) avaient pris l’alerte au sérieux. Ce n’est pas certain.


Le colonel Assimi Goïta, dictateur de son état à Bamako, sait trop bien que son pays constitue un théâtre crucial pour la stabilité euro-sahélienne et qu’il n’a donc pas trop à s’inquiéter, puisque – la chose a été dite sans fard – Barkhane y opère pour protéger le flanc Sud de l’Europe contre les nébuleuses jihadistes, pas vraiment pour sécuriser l’avenir des Maliens et de leurs voisins : le dispositif armé va donc rester sur théâtre. Il sait aussi qu’il sera bientôt reçu – discrètement – à l’Elysée et que ses hôtes, tout en empruntant opportunément à la culture de la ‘’FrançAfrique’’, sauront convaincre les Français qu’il y va de leur sécurité (une cause qui a bon dos). Ainsi, chacun y trouvera son compte : les putschistes se verront légitimés et les Français, rassurés. Quant aux militaires, au sein d’un Barkhane ‘’resserré’’, ils resteront branchés sur la logistique et le renseignement américain – il y là comme une mesure de sous-traitance – et hautement contributeurs à la cause européenne : ‘’La France reste pleinement engagée, avec ses alliés européens et américains, aux côtés des pays sahéliens et des missions internationales’’.

Au même moment, vingt ans d’intervention militaire massive et couteuse en Afghanistan des forces occidentales tournent au désastre absolu. Avant même le retrait des derniers échelons américains, les Talibans conduisent une offensive générale. Les institutions civiles mises en place pour les tenir à l’écart s’effondrent rapidement, l’armée de Kaboul se débande et certains de ses éléments s’enfuient même au Tadjikistan voisin ! L’Occident n’a toujours pas compris qu’une guerre idéologique n’est gagnable que par adhésion massive des populations et déploiement de moyens de développement humain. Occuper lourdement le terrain ne contribue qu’à rendre les armées étrangères insupportables. D’un autre côté, saturer le terrain d’investissements en ‘’soft power’’, en principe destinés à la population, peut aboutir au contraire à exacerber les inégalités, la corruption et les tensions idéologiques et sociales, si la gouvernance politique locale se révèle trop médiocre. Il peut y avoir de subtiles combinaisons de moyens et de pressions mais il n’existe aucune recette universelle. Ou elle reste à trouver. En revanche les sondages peuvent servir à pointer l’échec sûr et certain : ne pas insister alors. Sur cette base, nos hauts stratèges ont-ils tiré les leçons de Kaboul et préparé des plans B, C, D pour défendre le flanc sud de l’Europe contre le jihadisme ?