* 7 juin – Le théâtre et ses sorciers

A la suite du second coup d’Etat dans le putsch des militaires au Mali, la diplomatie française avait annoncé, au début de juin, suspendre sa coopération bilatérale avec l’armée locale. Pas en soi, un renoncement à combattre le jihadisme au Sahel, ni même un retrait de l’opération Barkhane, mais un effacement au sein d’un collectif euro-africain centré sur le dispositif de forces spéciales Takuba, complété par les formations dispensées au G 5 panafricain. La colère – et le dépit – d’E. Macron semblaient sérieux et destinés au Tchad, où s’opérait une succession ‘’dynastique’’ au défunt président Idris Debby. Le fils du chef de guerre a néanmoins été reçu à l’Elysée, un premier signal pour le moins ambigu. La colère jupitérienne n’aura-t-elle été que théâtrale et forcée ?


Le ministère français des Armées vient d’annoncer, le 2 juillet, la reprise de ses opérations conjointes avec les Forces armées maliennes (FAMa). ‘’A l’issue de consultations avec les autorités maliennes de transition et les pays de la région, la France prend acte des engagements des autorités maliennes de transition endossés par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Elle a décidé la reprise des opérations militaires conjointes ainsi que des missions nationales de conseil, qui étaient suspendues depuis le 3 juin’’. Rient d’exprimé, cependant, au niveau du sommet, qui n’a pas mangé son chapeau mais a clos l’épisode du dépit. On se contente de varier les humeurs. Il faudra vérifier si les Maliens, les Africains et les Américains (qui veillent au grain) avaient pris l’alerte au sérieux. Ce n’est pas certain.


Le colonel Assimi Goïta, dictateur de son état à Bamako, sait trop bien que son pays constitue un théâtre crucial pour la stabilité euro-sahélienne et qu’il n’a donc pas trop à s’inquiéter, puisque – la chose a été dite sans fard – Barkhane y opère pour protéger le flanc Sud de l’Europe contre les nébuleuses jihadistes, pas vraiment pour sécuriser l’avenir des Maliens et de leurs voisins : le dispositif armé va donc rester sur théâtre. Il sait aussi qu’il sera bientôt reçu – discrètement – à l’Elysée et que ses hôtes, tout en empruntant opportunément à la culture de la ‘’FrançAfrique’’, sauront convaincre les Français qu’il y va de leur sécurité (une cause qui a bon dos). Ainsi, chacun y trouvera son compte : les putschistes se verront légitimés et les Français, rassurés. Quant aux militaires, au sein d’un Barkhane ‘’resserré’’, ils resteront branchés sur la logistique et le renseignement américain – il y là comme une mesure de sous-traitance – et hautement contributeurs à la cause européenne : ‘’La France reste pleinement engagée, avec ses alliés européens et américains, aux côtés des pays sahéliens et des missions internationales’’.

Au même moment, vingt ans d’intervention militaire massive et couteuse en Afghanistan des forces occidentales tournent au désastre absolu. Avant même le retrait des derniers échelons américains, les Talibans conduisent une offensive générale. Les institutions civiles mises en place pour les tenir à l’écart s’effondrent rapidement, l’armée de Kaboul se débande et certains de ses éléments s’enfuient même au Tadjikistan voisin ! L’Occident n’a toujours pas compris qu’une guerre idéologique n’est gagnable que par adhésion massive des populations et déploiement de moyens de développement humain. Occuper lourdement le terrain ne contribue qu’à rendre les armées étrangères insupportables. D’un autre côté, saturer le terrain d’investissements en ‘’soft power’’, en principe destinés à la population, peut aboutir au contraire à exacerber les inégalités, la corruption et les tensions idéologiques et sociales, si la gouvernance politique locale se révèle trop médiocre. Il peut y avoir de subtiles combinaisons de moyens et de pressions mais il n’existe aucune recette universelle. Ou elle reste à trouver. En revanche les sondages peuvent servir à pointer l’échec sûr et certain : ne pas insister alors. Sur cette base, nos hauts stratèges ont-ils tiré les leçons de Kaboul et préparé des plans B, C, D pour défendre le flanc sud de l’Europe contre le jihadisme ?

* 21 avril 1974 – Toyota tchadiennes et boucle en rond

Trois coopérants étaient enlevés à Bardaï, dans le nord-ouest du Tchad. Ce kidnapping aura fait connaître la rébellion des Toubous du Tibesti et son chef : Hissène Habré. Celui-ci, parti de sa base libyenne à la tête d’une colonne de pic-ups Toyota armés, tentait de fondre sur la capitale, N’Djamena. Habré a retenu en otage l’archéologue Françoise Claustre pendant 33 mois, avant que son ‘’Frolinat (Front de libération du Tchad) ne parvienne à s’empare du pouvoir. Il cherchait à échanger ses otages contre des armes et de l’argent. Les négociations secrètes ont violé tous les principes de droit publiquement affichés par le gouvernement français et par son ambassadeur au Tchad (dans les faits, totalement court-circuité et abusé). Le commandant Pierre Galopin, qui les menaient, dans l’espoir d’obtenir’’ par la bande’’ la libération des deux prisonniers Français, sera exécuté par les rebelles en avril 1975. Venant de Libye ou du Soudan, les colonnes de pic-ups armés descendant vers le Sud vont se succéder comme une routine, au fil des décennies et des raids armés sur la capitale. Le Tchad ne connaît pas d’autre forme d’alternance qu’on aurait du mal à qualifier de ‘’politique’’. A chaque épisode, la France, militairement présente sur le terrain où elle dispose de bases, fait décoller ses chasseurs pour clouer sur place les hordes déferlantes.


C’est un pays de guerriers aguerris mais sans scrupule. C’est le pilier principal du dispositif de Barkhane dans le Sahel et l’allié le plus efficace – mais pas le plus respectueux des civils – qu’aient les militaires français. Le Tchad est un cas de conscience pour qui voudrait appliquer au jihadisme invasif un antidote démocratique incontestable.
Tout recommence en boucle, dans ce couloir d’invasion aux confins stratégiques très sensibles. Idriss Deby, parvenu lui aussi, au pouvoir (en 1990) à la tête de Toyota affublées de fusils mitrailleurs, s’est fait tuer en pleine bataille, par d’autres rebelles, venus eux aussi de Libye, pour s’empares eux aussi du pouvoir. On ne sait pas trop qui ils sont mais, comme toujours, un intellectuel formé à Paris leur sert de figure de proue. L’avis des Tchadiens n’a jamais été sollicité mais la France, en sa qualité de gendarme de l’Afrique subsaharienne, perd un partenaire précieux sur le plan militaire et, surtout, l’assurance de pouvoir opérer de façon stable et continue depuis sa base arrière tchadienne.

Ce coup dur intervient en pleine introspection sur sa stratégie au Sahel, alors que son intervention militaire ne peut manifestement pas suffire à ‘’recréer’’ des sociétés et des Etats à même d’assumer la Paix et que, par ailleurs, ses autres partenaires militaires ne font pas le poids. La tâche ne dépasse-t-elle pas ses moyens, son influence, ses responsabilités ? En attendant, dans la famille Debby, le fils prend la place et les canons du père et il ne risque aucune critique de la part de Paris. Dans un vrai régime démocratique, ce ne serait pas dans les brèves d’un blog inconnu mais à l’Assemblée Nationale que le sujet serait débattu.