* 19 mai – Le Tank et la Puce viticole

Dracula s’est trompé. Sa soif de sang, qui l’a mené en Transylvanie hongroise, a raté sa destination logique : la Transnistrie, une enclave prorusse bien plus favorable aux vampires. Un petit goût d’hémoglobine commence à flotter sur ce territoire mitoyen de l’Ukraine, qui a fait violemment sécession de la Moldavie dans les années 1990-1992. C’est devenu un fossile vivant de l’URSS du temps jadis, puis un zombie de la Poutinie actuelle. En envahisseur attentionné, Moscou y entretient une petite armée de 1 500 hommes. Son armée aurait bien besoin de ce renfort pour prendre d’assaut la région et le port ukrainiens d’Odessa sur le Mer Noire, qui lui résistent.

Qu’à cela ne tienne, le Maître du Kremlin ne s’en tiendra pas au seul Donbass ! D’ailleurs, un très haut gradé de son état-major général avait même affirmé, en février, que la Moldavie, propriétaire souverain de cette région, serait ‘’traitée’’ en son temps. La pauvre (dans tous les sens du terme) minuscule république de Chisinau, productrice d’un honnête vin rouge, combat surtout son propre sous-développement, phénomène qui, en Europe, la voit concurrencer l’Albanie mendiante. Sa micro-armée de braves bidasses est bien incapable d’arrêter la horde de blindés qui se précipite vers elle. Elle se claquemure comme elle peut, bétonne  le poste-frontière de Pervomaïsk et barre d’obstacles le pont qui la relie à l’Ukraine via la Transnistrie. De quoi faire franchement rigoler les chars russes.

La bien sinistre Transnistrie, longiforme sur la rive gauche du Dniestr, n’est qu’un simple tremplin permettant aux Russes l’ouverture d’un nouveau front sur le Sud de la Mer Noire. La division russe est rattachée au commandement Sud, lequel contrôle aussi une partie du Donbass et la Crimée. En 2006, un référendum avait été organisé par les autorités rebelles de Tiraspol, avec deux choix possibles : l’indépendance ou l’annexion à la Russie. Il s’était conclu sur un score à 97 % en faveur de l’annexion, la réunification à la Moldavie n’étant pas au menu. Mais Moscou avait la tête ailleurs et, huit ans plus tard, lors de l’annexion de la Crimée, le gouvernement de Transnistrie a dû demander, à nouveau, à être lui aussi mangé. Aujourd’hui les autorités transnistriennes annoncent en boucle des tirs de drones ou la découverte de munitions, autant d’actes ‘’terroristes’’ qu’elles imputent  aux Ukrainiens sans le moindre indice produit. En cas d’intervention frontale, la Bulgarie et la Roumanie risquent d’être bousculées au passage, mais elles appartiennent à l’OTAN et restent donc, en principe, ‘’hors-limites’’ (pour l’instant) pour les stratèges du Kremlin. Selon Chisinau, de nombreux Transnistriens franchissent actuellement la frontière pour retrouver la citoyenneté moldave. La Moldavie accueille aussi un flux de réfugiés ukrainiens, considérable à son échelle. L’inquiétude va crescendo. L’offensive russe d’encerclement de la Mer Noire possède sa propre logique, celle d’une aventure insensée qui pourrait très bien dégénérer.