C’était il y a tout juste un an : le Capitole, emblème de la démocratie américaine, était pris d’assaut par des partisans déchaînés de Donald Trump. Ces ‘’proud boys’’ et autres néo-nazis voulaient se venger des résultats de l’élection présidentielle et renverser une institution perçue comme le pilier de la démocratie américaine. Leur motivation n’était pas d’abattre d’emblée celle-ci, mais de contraindre = = par la force = = les élus, qui avaient validé le décompte électoral, à reverser le verdict des urnes.
Malgré l’échec de cette attaque, aussi brouillonne que violente, le traumatisme reste immense. Une majorité d’électeurs républicains – un bon tiers de l’électorat – se cramponne mordicus au grand mensonge du trucage des urnes. Une commission parlementaire est partie pour enquêter aeternam, sans produire de conclusion consensuelle. Donald Trump ne cesse de stimuler et d’incarner cette colère irrationnelle et peu d’observateurs doutent de sa ferme intention d’emporter la Maison blanche en novembre 2024 pour sortir les Etats-Unis des rails de la démocratie.
Le basculement de dizaines de millions d’Américains dans une réalité ‘’alternative’’ est, dans tout cela, le phénomène le plus effrayant : rien n’y fait. En substance, la vérité n’existe pas, le réel se définissant comme le ressenti voire l’exaltation d’une minorité d’acteurs. C’est le raccourci le plus court vers l’ochlocratie : la foule, chauffée à blanc, rejette les institutions et toute voix qui lui est étrangère. Elle tourne en boucle sur ‘’SA’’ réalité et n‘écoute que celui qui contrôle ses émotions. La dictature de la rue est rarement spontanée. L’Allemagne du début des années 1930 a montré comme ce genre de populisme, astucieusement téléguidé, installe la dictature ‘’au nom du peuple’’ et au seul profit du Tyran. Donald Trump exploite sans vergogne les failles du système politique américain et il est bon à ça. Qu’il capte à nouveau le pouvoir suprême, par les urnes ou par un nouveau putsch, la démocratie américaine n’y survivra pas, ni, avec elle, les libertés.
On a pas trop de mal à anticiper les effets qu’auraient sur l’Europe un tel basculement du sort de l’Occident. Le choc psychologique créé par une Amérique devenue totalitaire serait immense et la confiance dans la stabilité politique, la viabilité de nos Etats du Vieux Continent fléchirait rapidement. Ceci, d’autant plus que, derrière l’idéologie trumpiste déferlante, les idéologues et autres influenceurs anti-démocratie d’outre-Atlantique et d’ailleurs (ils sont majoritaires dans le monde) s’en donneraient à cœur joie, dans les médias, les réseaux sociaux et par pression directe sur les gouvernements d’Europe. Soutenue par des flots d’argent et par la puissance du numérique, cette ‘’occupation du terrain mental’’ européen porterait au point d’ébullition les tensions civiles préexistant déjà au sein des sociétés.
L’Europe aussi compte sa part de citoyens ‘’trumpistes’’ (ils ne revendiquent pas, évidemment, ce qualificatif) et en France, par exemple, les instituts de sondage les évaluent à un bon tiers de l’électorat, remontés en bloc contre institutions, élites, élus et valeurs de la Démocratie. Nous rencontrons tous, au quotidien, ces concitoyens qui veulent se faire une justice toute personnelle et surtout l’imposer aux autres. La dérive vers la violence d’un phénomène au départ légitime, tel celui des gilets jaunes, est une illustration saisissante du cheminement de citoyens ‘’normaux’’ depuis un ressenti émotionnel exacerbé jusqu’à des formes d’expression violentes, sans intermédiation ni débat. A cette aile droitiste fantasmant un ‘’Grand soir’’ orchestré dans la rue, s’allie une mouvance d’extrême gauche qui, dans les actes comme dans leurs résultats, apparaît comme son exacte jumelle (les militants-guérilléros passant souvent de l’une à l’autre). Au centre, l’on profite de la peur suscitée par les affrontements, non pour consolider la cohésion sociale, mais pour ajouter aux stigmates sociaux et imposer l’ordre en durcissant et même dénaturant les principes humanistes fondant la démocratie. L’électeur effarouché approuvera ces écarts et votera en conséquence. L’abstention, elle, triomphera et l’opportunisme flasque s’ensuivra, livrant le pouvoir au premier fusil qui passera.
Alors, la survie en Europe d’une démocratie qui serait veuve de l’Amérique ? Vous voyez, chers lecteurs, où l’on veut en venir et vous reconnaissez la thèse exposée. Trump n’est pas de retour, du moins pour l’heure. Des Etats-Unis de l’époque Trump au Brésil, à la Turquie, à la Russie ou la Biélorussie, à la Hongrie et même à la Chine, exposons le désastre humain provoqué par tous les régimes trumpistes ou simplement autoritaires, cruels et chauvins à travers le monde. Maintenant, imaginons un peu la sombre misère de l’Europe et de la France si l’aberration de la ‘’réalité alternative’’ s’imposait à nous comme LA vérité unique qui nous serait dictée. Brrrrrr !