* 6 janvier – Réalité alternative

C’était il y a tout juste un an : le Capitole, emblème de la démocratie américaine, était pris d’assaut par des partisans déchaînés de Donald Trump. Ces ‘’proud boys’’ et autres néo-nazis voulaient se venger des résultats de l’élection présidentielle et renverser une institution perçue comme le pilier de la démocratie américaine. Leur motivation n’était pas d’abattre d’emblée celle-ci, mais de contraindre = = par la force = = les élus, qui avaient validé le décompte électoral, à reverser le verdict des urnes.

Malgré l’échec de cette attaque, aussi brouillonne que violente, le traumatisme reste immense. Une majorité d’électeurs républicains – un bon tiers de l’électorat – se cramponne mordicus au grand mensonge du trucage des urnes. Une commission parlementaire est partie pour enquêter aeternam, sans produire de conclusion consensuelle. Donald Trump ne cesse de stimuler et d’incarner cette colère irrationnelle et peu d’observateurs doutent de sa ferme intention d’emporter la Maison blanche en novembre 2024 pour sortir les Etats-Unis des rails de la démocratie.

Le basculement de dizaines de millions d’Américains dans une réalité ‘’alternative’’ est, dans tout cela, le phénomène le plus effrayant : rien n’y fait. En substance, la vérité n’existe pas, le réel se définissant comme le ressenti voire l’exaltation d’une minorité d’acteurs. C’est le raccourci le plus court vers l’ochlocratie : la foule, chauffée à blanc, rejette les institutions et toute voix qui lui est étrangère. Elle tourne en boucle sur ‘’SA’’ réalité et n‘écoute que celui qui contrôle ses émotions. La dictature de la rue est rarement spontanée. L’Allemagne du début des années 1930 a montré comme ce genre de populisme, astucieusement téléguidé, installe la dictature ‘’au nom du peuple’’ et au seul profit du Tyran. Donald Trump exploite sans vergogne les failles du système politique américain et il est bon à ça. Qu’il capte à nouveau le pouvoir suprême, par les urnes ou par un nouveau putsch, la démocratie américaine n’y survivra pas, ni, avec elle, les libertés.


On a pas trop de mal à anticiper les effets qu’auraient sur l’Europe un tel basculement du sort de l’Occident. Le choc psychologique créé par une Amérique devenue totalitaire serait immense et la confiance dans la stabilité politique, la viabilité de nos Etats du Vieux Continent fléchirait rapidement. Ceci, d’autant plus que, derrière l’idéologie trumpiste déferlante, les idéologues et autres influenceurs anti-démocratie d’outre-Atlantique et d’ailleurs (ils sont majoritaires dans le monde) s’en donneraient à cœur joie, dans les médias, les réseaux sociaux et par pression directe sur les gouvernements d’Europe. Soutenue par des flots d’argent et par la puissance du numérique, cette ‘’occupation du terrain mental’’ européen porterait au point d’ébullition les tensions civiles préexistant déjà au sein des sociétés.

L’Europe aussi compte sa part de citoyens ‘’trumpistes’’ (ils ne revendiquent pas, évidemment, ce qualificatif) et en France, par exemple, les instituts de sondage les évaluent à un bon tiers de l’électorat, remontés en bloc contre institutions, élites, élus et valeurs de la Démocratie. Nous rencontrons tous, au quotidien, ces concitoyens qui veulent se faire une justice toute personnelle et surtout l’imposer aux autres. La dérive vers la violence d’un phénomène au départ légitime, tel celui des gilets jaunes, est une illustration saisissante du cheminement de citoyens ‘’normaux’’ depuis un ressenti émotionnel exacerbé jusqu’à des formes d’expression violentes, sans intermédiation ni débat. A cette aile droitiste fantasmant un ‘’Grand soir’’ orchestré dans la rue, s’allie une mouvance d’extrême gauche qui, dans les actes comme dans leurs résultats, apparaît comme son exacte jumelle (les militants-guérilléros passant souvent de l’une à l’autre). Au centre, l’on profite de la peur suscitée par les affrontements, non pour consolider la cohésion sociale, mais pour ajouter aux stigmates sociaux et imposer l’ordre en durcissant et même dénaturant les principes humanistes fondant la démocratie. L’électeur effarouché approuvera ces écarts et votera en conséquence. L’abstention, elle, triomphera et l’opportunisme flasque s’ensuivra, livrant le pouvoir au premier fusil qui passera.


Alors, la survie en Europe d’une démocratie qui serait veuve de l’Amérique ? Vous voyez, chers lecteurs, où l’on veut en venir et vous reconnaissez la thèse exposée. Trump n’est pas de retour, du moins pour l’heure. Des Etats-Unis de l’époque Trump au Brésil, à la Turquie, à la Russie ou la Biélorussie, à la Hongrie et même à la Chine, exposons le désastre humain provoqué par tous les régimes trumpistes ou simplement autoritaires, cruels et chauvins à travers le monde. Maintenant, imaginons un peu la sombre misère de l’Europe et de la France si l’aberration de la ‘’réalité alternative’’ s’imposait à nous comme LA vérité unique qui nous serait dictée. Brrrrrr !

* 20 janvier – Détrumpisons-nous !

Aujourd’hui, on solde les comptes du calamiteux mandat de Donald Trump. Puis Joe Biden et Kamala Harris prêteront serment et seront investis sur un fond de décors qui ressemble à l’état de guerre civile plus qu’à une célébration festive. Le peuple américain ne participera d’ailleurs pas à ce semblant de réjouissances. Il suit l’évènement derrière ses écrans et balance entre un soulagement immédiat et une incertitude lancinante quant à un retour à la normale. Plus encore que d’éventuelles scènes de violence de la part des jusqu’au-boutistes du trumpisme, plus aussi que la présence en force à Washington de 25 000 militaires de la Garde Nationale, les blocs de béton, les barrières, les barbelés, le sentiment de crise imminente tient aux ravages actuels du Covid – lequel tue chaque jour 4000 patients américains – à l’effondrement de l’économie et de l’emploi, à la cassure durable en camps retranchés de la communauté des citoyens. L’ambiance est grave, la convalescence s’annonce longue. En de telles circonstances, la seconde tentative de destitution ‘’post-mandat’’ du sortant, toute fondée qu’elle soit en termes politiques, promet une bataille juridique épique et peut-être de nouveaux affrontements. On ignore encore si le Parti Républicain renouera avec le jeu démocratique ou implosera, sous la pression de ses éléments anti-démocratie, des réseaux du type QAnon et des milices d’extrême droite.

Par contraste, le jugement des autres démocraties sur les quatre années passées tient tout entier en un mot : ‘’calamité’’. La nouvelle administration n’est pas perçue comme étant à même de ‘’réparer le monde’’ avant d’avoir pu réparer son tissu national. On attend l’équipe de Joe Biden sur le rétablissement de l’indispensable proportion de multilatéralisme et de respect du droit international, mais on hésite à parier dessus. D’autant plus que, si le problème se nomme ‘’populisme’’, il existe de la même façon en Europe et que, Covid et crise économique aidant, la dynamique de repli sur soi s’impose désormais à tous. Seulement un tiers des Européens croient encore dans les vertus de l’intégration et juste une proportion de ceux-ci se fient à la protection conférée par le partenariat atlantique. L’époque d’Obama n‘est plus. Les tourments des Etats-Unis devraient nous servir à réévaluer le fonctionnement de nos propres institutions pour réinventer, à terme, l’alliance des démocraties.

* 11 janvier – Trump : censure ou procès ?

Les démocrates s’apprêtent à voter une résolution demandant au vice-président de démettre Donald Trump de ses fonctions pour incapacité. Il est moins que probable que Mike Pence coopère de plein gré à cette seconde tentative de destitution de son patron, laquelle, tout comme la première il y a un an, est peu susceptible de recueillir l’accord de 60 % des sénateurs américains. Après quatre années de présidence barbare, s’achevant dans la pure délinquance, plusieurs questions de principe se posent pour remettre les institutions des Etats Unis sur de bons rails et assurer un consensus minimum sur les règles du jeu démocratiques.

Le cadre de la légalité américaine diffère sensiblement des systèmes de pouvoir français et européens. Pourtant, en termes de principes de justice et de jeu politique, ce qui a profondément troublé les Américains pourrait nous affecter tout aussi bien, si la vague populiste devait déferler de notre côté de l’Atlantique, avec la même force destructrice. La prise d’assaut du Capitole n’est d’ailleurs pas si différente de ce à quoi les Français ont assisté, il y a un an, à l’Arc de triomphe de l’Etoile, devant le ministère du Porte-parole ou encore autour de préfectures assiégées (dont une incendiée).
Sanctionner politiquement ou déférer devant la Justice ? Les démocrates de la Chambre des représentants penchent pour une destitution expresse, avec ou sans l’entremise du vice-président. Ils en ont le droit, mais en user est pour le moins paradoxal à neuf jours de la fin du mandat Trump. On est là dans le symbole : une fin politiquement ignominieuse constitue, plus qu’une petite vengeance (compréhensible), un moyen radical d’écarter le milliardaire toxique de la vie politique, à l’avenir. Un point marqué sur l’échiquier politique mais aussi une sanction partisane, qui confortera les 75 millions de partisans de Trump dans un soutien insensé à leur ‘’héros-martyre’’. En tel cas, le mandat de Joe Biden commencerait dans une confrontation sans fin et le soupçon persisterait dans le public, peu indulgent envers Washington, pas trop ému de l’assaut sur le Capitole et, par tempérament, enclin à voir un règlement de compte partisan dans une sanction des élus contre le premier d’entre eux.

Avec sagesse, Joe Biden préfère prendre une certaine distance. Il a confortablement gagné l’élection contre le président sortant et il perçoit désormais son intérêt à  »calmer le jeu’’ pour plus vite réparer quatre années de dégâts. Faudrait-il alors passer l’éponge et renvoyer gentiment le Misanthrope à son golf de Largo del Mar ? Sûrement pas. Parmi ses victimes figure la Justice américaine. Celle-ci est à même de faire la part des actes relevant de ses prérogatives et impliquant son immunité fonctionnelle et, d’autre part, sur plainte des victimes, de ses biais personnels délictuels, ceux l’ayant porté à des transgressions sexuelles, fiscales, à la mise en danger intentionnelles de personnes par discrimination, négligence ou racisme, etc. On dit qu’une douzaine de chefs d’inculpation seraient déjà prêts. Les procès subséquents ne déstabiliseraient pas l’Exécutif qui va se mettre en place et comporteraient des vertus pédagogiques pour les citoyens, souvent moins crispés par l’autorité de Justice que par celle du Congrès. Il faut espérer pour ce peuple divisé que la réparation s’effectuera selon cette voie. Avec toutefois deux questionnements pour l’avenir : cette justice très professionnelle voit sa qualité excessivement dictée par la fortune que les justiciables lui consacrent. Ceci devrait évoluer. La Constitution de Philadelphie et ses amendements accumulent les archaïsmes et les distorsions de représentativité. Que leurs populations se comptent en 100.000 ou en dizaines de millions, chaque état détient de la même façon deux sièges au Sénat. L’élection par blocs régionaux des grands électeurs ne comprend aucun correctif à même d’assurer une concordance avec les intentions de vote individuelles des électeurs. C’est la ‘’question fédérale’’ et elle sape la légitimité des institutions. Ce refus fondateur de considérer le jeu politique comme national et homogène conduit à lui préférer un dédale de procédures locales disparates, dans l’idée que le localisme mettrait le pays à l’abri de la tyrannie. Trump est pourtant la preuve vivante que ce n‘est pas le cas.

* 29 octobre – reconfinons-nous !

Face à la dureté des temps, le repli sur l’humain s’impose. Certes, l’analyse politique fait appel aux données sanitaires, telles la pandémie de Covid. Mais la seconde vague, dont nos autorités prédisent qu’elle sera ‘’dure et plus meurtrière que la première’’, nous ramène à nos fragilités et incertitudes familiales et personnelles.

Les Européens sont au seuil d’une épreuve sans précédent pour les générations actuelles, peut-être comparable à la grippe espagnole de 1918-19, avec au-dessus de leurs têtes, le spectre de plusieurs centaines de milliers de morts supplémentaires. Heureusement, les ressources bien plus considérables dont on dispose pour l’affronter permettront d’éviter l’hécatombe humaine. Mais pas la détresse, l’appauvrissement, le ‘’chacun pour soi’’. Ursula van der Leyen prône courageusement une mutualisation, par les 27, des régimes de circulation et de gestion des frontières, de dépistage, de production des tests et des futurs vaccins. Même si la Commission ne s’est pas vu confier de compétences en la matière, le Parlement et le Conseil européens seraient bien inspirés de la soutenir.

Au-delà de l’urgence sanitaire, le politique s’efface. Le désastre que va constituer la rupture ‘’sèche’’ du Royaume Uni d’avec son voisinage européen se diluera dans le Covid. B. Johnson, le capitaine ivre, pourra imputer à la tempête océane- et non à son irresponsabilité politique – la cause du naufrage de son navire. Son comparse, D. Trump, ne pourra sans doute pas le sauver si, par malheur, il était réélu. Gestionnaire des Etats Unis en commerçant mafieux, il continuera à ‘’rouler pour lui-même’’ et n’aura d’empathie pour personne. La crise sociale finira de toute façon par l’abattre. J. Biden, d’origine irlandaise, digère mal l’abandon par Johnson du dispositif de paix et de libre échange liant l’île de ces ancêtres à l’Ulster britannique… et sans doute aussi la complicité Boris-Donald contre lui. Le 3 novembre sera un épisode Covid parmi d’autres et moins un moment fort de la démocratie. D’ailleurs, tout est préparé pour que celle-ci tombe malade de contentieux en cascade.

Au-delà de l’Occident, les autocrates du monde continueront à être jugés sur leur inaptitude à gérer la pandémie et les peuples revendiquant leurs droits – ils sont nombreux de la Biélorussie au monde arabo-musulman – à être étouffés, réprimés, abandonnés. La première vague en avait déjà apporté de tristes illustrations. N‘y pensons plus et reconfinons-nous !

* 28 octobre – Faux frères

Brèves des jours précédents

D. Trump met en scène une sorte d’auto-triomphe, se projetant en ‘’faiseur de paix’’ au Moyen-Orient. « Nous agrandissons le cercle de la paix si rapidement, grâce à votre leadership ! ». Ainsi le salue son principal allié, le Premier ministre israélien B. Netanyahu, au lendemain de l’annonce, le 23 octobre, de la normalisation, des relations diplomatiques de son pays avec le Soudan. Incidemment, ce retournement soudanais, arrangé par Washington, figure parmi les concessions imposées à Khartoum pour s’extraire de la liste américaine des Etats terroristes et clore les poursuites judiciaires qui sanctionnaient son économie. On est bien là dans l’art du deal. Au téléphone, Trump cherche à faire dire à Netanyahu que ‘’Sleepy Joe’’ (J. Biden) aurait été bien incapable d’un si merveilleux résultat. Netanyahu, le fidèle parmi les fidèles, se tait alors, puis avance que ‘’toute contribution des Etats-Unis est bonne pour Israël’’ ! C’est dire que même les Trumpistes du monde extérieur les plus claironnants – à l’exception peut être de V. Orban, en Hongrie – se font plus prudents, à l’approche du 3 novembre. A Varsovie, le Polonais se tait et, à Londres, B. Johnson se terre dans un silence de mort. Même Poutine ou le Rassemblement national français prennent quelques distances.

En bref, on a les amis qu’on mérite.

*5 octobre – Sam, grand malade

Brèves des jours précédents

*5 octobre – Sam, grand malade. « J’ai beaucoup appris sur le Covid, je l’ai appris en faisant l’expérience moi-même, c’est l’école de la vie ». « Ce n’est pas ce qu’on lit dans les livres, et je comprends ça, et c’est quelque chose de très intéressant ». Le président américain peut-il vraiment apprendre de la vie ? Hospitalisé avec les symptômes du virus, on le projette dans les médias, tandis qu’il multiplie les tweets et les apparitions-surprises à bord de sa limousine. Pour l’humanité commune, la maladie relève de la vie intime. Mais, lui, figure au nombre des puissants perpétuellement mis en scène et dont on cache les déboires derrière un épais brouillard d’infox. Les Français se souviennent des fins de règne obscures des présidents Pompidou et Mitterrand.

Avec D. Trump, sous traitements à l’hôpital (même s’il claironne sa sortie imminente), c’est la géopolitique du monde en suspens. Elle se perd en rumeurs et en interrogations. Pour certains régimes s’est ouverte une fenêtre d’opportunité pour agir dans le vide de présence au monde des Etats-Unis. Avant même les malheurs du bouillant septuagénaire, la Turquie, Israël et la Russie ont déjà bien profité du repli sur soi des Etats-Unis et de leur moindre capacité à réagir. On pourrait aussi spéculer sur le moment choisi par l’Azerbaïdjan pour se lancer à la reconquête du haut Karabakh. L’énorme incertitude qui affecte les élections américaines – et singulièrement, le scrutin présidentiel – conjointement à l’anticipation générale d’une période de désordre durable au niveau de la première puissance occidentale, déstabilisera-t-elle plus encore l’état du monde ? On pourrait, au contraire, la voir comme une opportunité pour promouvoir un cours des choses plus conforme au droit, à la justice et aux défis urgents de notre époque, réalités que les Etats-Unis ne savent plus prendre en compte.