Pour vivre heureux, vivons cachés… surtout pas de vagues ». Telle n’est plus la devise officieuse de la Finlande, depuis son entrée dans l’UE. Ce peuple sobre et réfléchi m’avait étonné, par sa détermination collective et sa capacité à trancher de façon pragmatique. J’avais travaillé quatre ans en Suomi / Finnland, à l’époque de l’effondrement de l’URSS et des indépendances (fortement réprimées) des républiques baltes, ses sœurs et voisines. Le Pays des Mille Lacs avait opéré, sous mes yeux, un virage à 180° vers l’Ouest, suivant sa ‘’Mère-Suède’’ sur le chemin de Bruxelles. Il y a quelques semaines, le président Sauli Niinistö et la Première ministre Sanna Marin ont décidé que leur pays rejoindrait l’Alliance atlantique et son commandement intégré, ‘’sans délai’’ (du moins qui soit imputable à Helsinki). Nouveau basculement stratégique, comme en 1991, sous le président Koïvisto et les Finlandais font à nouveau bloc, entrainant leur voisin suédois dans leur sillage (auparavant, c’était l’inverse : Helsinki avait suivi Stockholm vers l’Europe). La candidature à l’OTAN vient d’être officialisée par l’exécutif, avant une réunion du Parlement, ce jour – une simple formalité – et l’envoi de la candidature formelle au siège de l’Alliance. Lors de son sommet de Madrid, le mois prochain, elle devrait être acceptée en même temps que celle de la Suède, également ‘’ex-neutre’’. L’agression de l’Ukraine aura servi de traumatisme déclencheur, avec le constat que l’Europe centrale et nordique est menacée par la frénésie d’expansion grand-russe. De plus, l’oukase du Kremlin sur les élargissements passés comme futurs de l’Alliance atlantique on fait l’effet d’un déni de souveraineté, justifiant ce changement de pied défensif. Vladimir Poutine s’est encore tiré une balle dans le pied.
Fidèle à sa façon de rugir, le Maître du Kremlin menace de prendre des mesures ‘’ technico-militaires’’ de représailles. Celles-ci ont été amorcées sous la forme d’une coupure de l’alimentation de la Finlande en courant russe représentant 10 % de son approvisionnement. Mais la Suède va y suppléer. D’autres manifestations agressives sont à attendre (cyber-attaques, provocations en Mer baltique ou en Laponie, contraction des livraisons de bois, pressions sur les nombreuses entreprises finlandaises en Russie, etc.).
Le pays du président neutraliste Urho Kekkonen, deux fois en guerre contre l’URSS, était devenu neutre par la force des choses (une intervention parallèle à l’offensive allemande ‘Barbarossa’ pour ‘’récupérer la Carélie’’). Cela avait été consacré dans un Traité avec la défunte URSS. Ultraprudent de ne pas irriter l’Ours – dont il se méfie, par ailleurs – il en s’est intégré en membre solide et fiable de la famille bruxelloise, en vérité en bonne recrue. Par souci de franchise et de transparence, le chef de l’Etat finlandais a préalablement prévenu Vladimir Poutine de sa décision. L’autocrate lui a signifié que la fin du non-alignement militaire finlandais était une erreur historique, ‘’puisqu’il n’y a aucune menace à la sécurité de la Finlande’’. Pas si évident, quand les mauvais souvenirs resurgissent de l’agression lancée par Staline en 1939 (la Guerre d’hiver).
Bien que ce retournement soit entièrement de sa faute, le Maître du Kremlin n’apprécie évidemment pas du tout ce changement de pied géopolitique. Restés historiquement et pour des raisons différentes hors des alliances militaires jusqu’ici, les deux pays nordiques (la Finlande n’étant pas ‘’scandinave’’) s’apprêtent à opérer une rupture majeure dans l’équilibre stratégique européen. De fait, la Finlande possède 1350 km de frontière avec la Russie, deux fois plus que l’Alliance atlantique n’en avait jusqu’ici. L’obsession russe d’un encerclement par l’Occident va s’accentuer, du Golfe de Botnie à la mer Baltique et tout au long de la frontière de Laponie, qui deviendront une aire de friction entre les deux dispositifs militaires, composante nucléaire comprise. Ladite obsession s’avère autoréalisatrice, prouvant que faire peur et sans cesse menacer ne paie pas, à terme. Un cinglant échec ! C’est par ailleurs une aubaine pour la Norvège (que tous ses voisins rejoignent désormais dans l’Alliance) et pour les Pays Baltes, dont le bouclier protecteur s’en trouve renforcé. Quant à ceux qui imaginaient une défense de l’Europe sans les Américains, la marche européenne de l’Histoire va les contrarier…
Si le soutien des membres occidentaux de l’Alliance est par avance acquis aux deux pays candidats, un imbroglio turc, totalement inattendu, apparaît pour compliquer la donne. La politique extérieure d’Ankara procédant, singulièrement au sein de l’OTAN, de tout et de son contraire, le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est mis à afficher une franche hostilité à l’entrée des deux pays nordiques. Dans ce forum, ses caprices lui valent un pouvoir de nuisance irritant. Il reproche aux Nordiques de servir d’’’auberge aux terroristes du Parti des Travailleurs du Kurdistan, répertorié comme terroriste et férocement combattu par Ankara. L’unanimité constituant la règle pour les décisions politiques des ‘’30’’, la Turquie tente de soumettre le processus à un petit chantage. Stockholm et Helsinki n’avaient eu aucune indication préalable de cette mauvaise humeur du Sultan. Sans doute, celui-ci finira-t-il par lever ses objections, non sans s’être servi de la crise en tout opportunisme. Erdogan a aussi quelques comptes à régler avec les Occidentaux et aime à les contrarier, quitte à jouer de pressions symétriques avec Moscou. Son appartenance à l’Alliance n’est ni stable, ni gratuite, à l’image d’un enfant gâté.
En tout cas, »chapeau, la Finlande ! »