Un pays agresseur qui rappelle, en guise de vœux de fin d’année, ses plans d’annexion de quatre régions qu’il occupe militairement peut-il être cru quand sa propagande éhontée crie »pousse, on arrête un moment » ? Surtout quand il souhaite dans la foulée rendre la vie invivable aux populations qu’il bombarde. Personne n’a cru à la trêve de 36 heures dans la bataille fixée sur le front hivernal. Elle n’a pas eu lieu et les échanges d’artillerie n’ont pas cessé.
La phrase de la semaine revient à Joe Biden : »Poutine manque d’air ». L’inconfort de sa position de dictateur mis en échec transpirait lorsqu’il a décrété une pause de prière pour le Noël orthodoxe. Cela n’a pas dû impressionner les loups du Kremlin qu’on imagine rôder autour de l’autocrate fourvoyé dans l’impasse. Les Russes du peuple crèvent surtout de peur d’être mobilisés en force sur ce maudit front. Les Ukrainiens, eux, ont pour la plupart fêté la nativité le 25 décembre, selon le calendrier grégorien et n’avaient plus grand chose à attendre du patriarcat de Moscou. Ils ont le leur, indépendant. Bref, Poutine n’a trouvé pour marquer son autorité qu’un insignifiant coup de baguette dans l’eau. Ce gadget de propagande ne pouvait faire retomber du côté de l’Agressé la »culpabilité » qu’il assumerait à poursuivre ses opérations de défense : l’hypocrisie n’est jamais le fait de celui qui poursuit une cause juste. En Occident, il n’y a eu quasiment aucun commentaire pour se féliciter de cette première »trêve » déclarée depuis le début de la guerre en Ukraine. Ou alors pour relever le sentiment d’une propagande russe un peu aux abois, à court d’imagination. La forteresse se lézarde.
Le 2 janvier, Moscou avait piteusement reconnu avoir subi 63 pertes de soldats à Makiïvka, à l’Est de la ville séparatiste Donetsk. Puis 88, ouvrant la perspective d’un nombre de morts bien supérieur encore parmi ses conscrits. Dans la guerre psychologique en cours, se forge l’image d’une Russie figée, blessée. Reconnaître l’incurie de son armée n’est pas glorieux pas plus que de clamer une revanche prise à Kramatorsk que nul n’a constatée. On pourra même préférer se fier à l’estimation énorme que fait Kiev de ce magistral coup au but : peut-être 800 victimes localisées tout simplement par leurs téléphones mobiles avec lesquels elles adressaient vœux et nouvelles à leurs familles. Le choc émotionnel est fort l »’opération militaire spéciale » tourne bien au massacre.
C’est un haut fait militaire vu du côté ukrainien et il faut se réjouir que les militaires de Kiev, équipés par de puissants moyens d’artillerie occidentaux, parviennent à exploiter les failles organisationnelles et humaines de l’armée russe. Ces soldats russes mal formés et mal commandés, cantonnés de façon regroupée près de leur matériel, étaient de la chair à canon désignée à l’adversaire. Dans ce contexte, on peut retenir le bilan des américains qui parlent de 100 000 victimes russes tués depuis février et qui en comptabilisent autant coté ukrainien. Reste enfin, le nombre de civils morts : ils seraient plus de 6700, d’après l’ONU. L’invasion est abjecte mais, au stade actuel, le dispositif russe de massification de forces s’avère primitif. Cette armée n’est pas aussi invincible qu’on l’avait cru. L’Ukraine parvient à nous faire espérer qu’elle pourra la désorganiser suffisamment pour retourner en sa faveur la prochaine offensive terrestre du printemps. Mais il faut qu’elle agisse vite pour éviter une mobilisation générale en Russie.
Il faut surtout espérer que la troupe russe et les familles des soldats se rebelleront contre les conditions misérables dans lesquelles l’opération militaire spéciale a été engagée. Ses chefs ne se déplacent jamais sur le front et ses officiers sont fréquemment les boucs émissaires de leur haute hiérarchie. Poutine contrôle durement un appareil d’Etat mais n’inspire plus aucun élan patriotique, seulement de la peur. Souhaitons que le trône du tsar vacille enfin pour que les centaines de morts de Makiïvka aient péri pour quelque chose qui soit à la hauteur de leur tragédie !