* 9 janvier – Sinistre nouvel an à Makiïvka

Un pays agresseur qui rappelle, en guise de vœux de fin d’année, ses plans d’annexion de quatre régions qu’il occupe militairement peut-il être cru quand sa propagande éhontée crie  »pousse, on arrête un moment » ? Surtout quand il souhaite dans la foulée rendre la vie invivable aux populations qu’il bombarde. Personne n’a cru à la trêve de 36 heures dans la bataille fixée sur le front hivernal. Elle n’a pas eu lieu et les échanges d’artillerie n’ont pas cessé.

La phrase de la semaine revient à Joe Biden :  »Poutine manque d’air ». L’inconfort de sa position de dictateur mis en échec transpirait lorsqu’il a décrété une pause de prière pour le Noël orthodoxe. Cela n’a pas dû impressionner les loups du Kremlin qu’on imagine rôder autour de l’autocrate fourvoyé dans l’impasse. Les Russes du peuple crèvent surtout de peur d’être mobilisés en force sur ce maudit front. Les Ukrainiens, eux, ont pour la plupart fêté la nativité le 25 décembre, selon le calendrier grégorien et n’avaient plus grand chose à attendre du patriarcat de Moscou. Ils ont le leur, indépendant. Bref, Poutine n’a trouvé pour marquer son autorité qu’un insignifiant coup de baguette dans l’eau. Ce gadget de propagande ne pouvait faire retomber du côté de l’Agressé la  »culpabilité » qu’il assumerait à poursuivre ses opérations de défense : l’hypocrisie n’est jamais le fait de celui qui poursuit une cause juste. En Occident, il n’y a eu quasiment aucun commentaire pour se féliciter de cette première  »trêve » déclarée depuis le début de la guerre en Ukraine. Ou alors pour relever le sentiment d’une propagande russe un peu aux abois, à court d’imagination. La forteresse se lézarde.

Le 2 janvier, Moscou avait piteusement reconnu avoir subi 63 pertes de soldats à Makiïvka, à l’Est de la ville séparatiste Donetsk. Puis 88, ouvrant la perspective d’un nombre de morts bien supérieur encore parmi ses conscrits. Dans la guerre psychologique en cours, se forge l’image d’une Russie figée, blessée. Reconnaître l’incurie de son armée n’est pas glorieux pas plus que de clamer une revanche prise à Kramatorsk que nul n’a constatée. On pourra même préférer se fier à l’estimation énorme que fait Kiev de ce magistral coup au but : peut-être 800 victimes localisées tout simplement par leurs téléphones mobiles avec lesquels elles adressaient vœux et nouvelles à leurs familles. Le choc émotionnel est fort l »’opération militaire spéciale » tourne bien au massacre.

C’est un haut fait militaire vu du côté ukrainien et il faut se réjouir que les militaires de Kiev, équipés par de puissants moyens d’artillerie occidentaux, parviennent à exploiter les failles organisationnelles et humaines de l’armée russe. Ces soldats russes mal formés et mal commandés, cantonnés de façon regroupée près de leur matériel, étaient de la chair à canon désignée à l’adversaire. Dans ce contexte, on peut retenir le bilan des américains qui parlent de 100 000 victimes russes tués depuis février et qui en comptabilisent autant coté ukrainien. Reste enfin, le nombre de civils morts : ils seraient plus de 6700, d’après l’ONU. L’invasion est abjecte mais, au stade actuel, le dispositif russe de massification de forces s’avère primitif. Cette armée n’est pas aussi invincible qu’on l’avait cru. L’Ukraine parvient à nous faire espérer qu’elle pourra la désorganiser suffisamment pour retourner en sa faveur la prochaine offensive terrestre du printemps. Mais il faut qu’elle agisse vite pour éviter une mobilisation générale en Russie.

Il faut surtout espérer que la troupe russe et les familles des soldats se rebelleront contre les conditions misérables dans lesquelles l’opération militaire spéciale a été engagée. Ses chefs ne se déplacent jamais sur le front et ses officiers sont fréquemment les boucs émissaires de leur haute hiérarchie. Poutine contrôle durement un appareil d’Etat mais n’inspire plus aucun élan patriotique, seulement de la peur. Souhaitons que le trône du tsar vacille enfin pour que les centaines de morts de Makiïvka aient péri pour quelque chose qui soit à la hauteur de leur tragédie !

* 19 décembre – Prix Nobel de la paix 2022 : résistance et humanité

En temps de guerre, le prix Nobel de la Paix constitue une arme morale. Ne quittons pas l’année sans considérer le beau cadeau d’anniversaire fait à Vladimir Poutine, le 10 décembre : l’opposant bélarusse Alès Bialiatski, l’ONG russe Memorial et le Centre ukrainien pour les libertés civiles se sont vu remettre le prix Nobel de la paix à Oslo. Des choix très politiques pour booster la volonté de résistance à la dictature poutinienne. Issus des trois principaux États protagonistes du conflit, tous trois ont été honorés pour leur engagement en faveur des droits humains, de la démocratie et de la coexistence pacifique face à la monté des populismes autoritaires.

‘’Les récipiendaires représentent la société civile dans leurs pays, le droit de critiquer le pouvoir, les droits des citoyens, la lutte contre les crimes de guerre, les abus de pouvoir’’, a justifié l’académie Nobel. De fait, les trois lauréats incarnent la paix et démocratie, ces biens de plus en plus contestés.

– Alès Bialiatski est l’un des initiateurs du mouvement pour la démocratie qui a émergé au Bélarus au milieu des années 1980. Il est essentiel que cette nation brimée qui a produit il y a deux ans une admirable ‘’révolution de femmes’’ (les épouses des militants emprisonnés) ne tombe pas dans l’oubli. Ce défenseur des droits est connu pour son travail à la tête du Centre Viasna, l’organisation de défense des droits de l’Homme en Biélorussie. Vice-président de la Fédération internationale pour les droits humains, il est emprisonné depuis le 14 juillet 2021 dans l’attente d’un procès où il est passible de douze ans de prison pour ‘’contrebande’’ d’espèces au profit de l’opposition. Sa situation illustre le ‘’crime’’ que constitue tout contact suivi avec le monde extérieur. En son absence, c’est son épouse Natalia Pintchouk qui a reçu la récompense. Celle-ci a répété quelques-uns des mots de son mari, notamment ceux dans lesquels il appelle à se dresser contre l’internationale des dictatures : ‘’actuellement, des milliers de personnes sont derrière les barreaux en Biélorussie pour des raisons politiques et ils sont tous mes frères et mes sœurs. Rien n’arrêtera la soif des gens pour la liberté’’.

– L’ONG russe Memorial documente les crimes commis par le pouvoir soviétique puis russe. A quelques jours de l’invasion de l’Ukraine, le pouvoir poutinien a dissous cette association, qui fait figure d’opposition interne parce qu’elle brise l’omerta sur l’Histoire. Depuis, ses membres poursuivent leur travail en exil dans différents pays du monde. Le président de Memorial, Ian Ratchinski, a dénoncé les ‘’ambitions impériales’’, héritées de l’URSS. Pour lui, la Russie de Vladimir Poutine a détourné le sens historique de la lutte antifasciste au profit de ses propres fantasmes politiques. Désormais, ‘’résister à la Russie équivaut à du fascisme’’, comme le martèle la propagande russe au quotidien. 

– Le Centre ukrainien pour les libertés civiles (CLC), créé en 2007, est basé à Kiev. La mission du CLC est de promouvoir les valeurs des droits de l’homme et de la démocratie en Ukraine et dans la région de l’OSCE. Sa dirigeante, Oleksandra Matviïtchouk, a de nouveau appelé à la création d’un tribunal international pour ’’ juger Poutine, Loukachenko et d’autres criminels de guerre’’.

En cette année de guerre et de violente injustice, dans le sillage de l’invasion russe en Ukraine, le signal fort lancé par l’académie Nobel nous rappelle que la résistance commence et débouchera sans doute depuis l’intérieur des dictatures. En 2021, le comité Nobel avait récompensé les journalistes Maria Ressa et Dmitri Mouratov ‘’pour leurs efforts visant à défendre la liberté d’expression, qui est une condition essentielle de la démocratie’’. 

L’action pour une Paix dans la Justice de tels personnages assez extraordinaires doit guider nos pas.

*15 décembre – Ukraine : le temps court et le temps long

Deux conférences se sont tenues à Paris, le 13 décembre concernant la situation de l’Ukraine.

La première, intitulée ’’Solidaires du peuple ukrainien’’,  a réuni les soutiens internationaux de l’Ukraine en présence du premier ministre, Denys Chmyhal, et de l’épouse du président Zelensky. Elle visait à répondre concrètement et à très court terme aux besoins urgents de Kiev dans l’objectif de franchir le cap difficile de l’hiver. Cette conférence sur l’aide internationale d’urgence s’est déroulée le matin au Quai d’Orsay pour tenter de rétablir des infrastructures essentielles (énergie, eau, alimentation, santé et transports). Après les conférences de Lugano, Varsovie et Berlin ces derniers mois, cette aide s’adapte à la nouvelle stratégie russe, qui cible depuis octobre les infrastructures ukrainiennes avec de très intenses bombardements. Les représentants de 48 pays et de 24 organisations internationales ont promis à l’Ukraine plus d’un milliard d’€uros, dont 415 millions seront affectés au secteur de l’énergie.

Sur le plus long terme, la seconde, la ‘’conférence franco-ukrainienne pour la résilience et la reconstruction », a rassemblé près de cinq cents entreprises françaises pour répondre aux besoins critiques de l’Ukraine, contribuer à la reconstruction du pays, et investir, à l’horizon du retour de la Paix, dans le potentiel de l’économie ukrainienne. Les perspectives d’investissement ne seront pas suivies d’effet à moyen terme. La reconstruction d’un pays dévasté n’est en effet concevable que dans le cadre d’accords de paix stables et durables. Lors de la seconde guerre mondiale, la perspective en avait été abordée dès la rencontre du 9 au 12 août 1941, au large de Terre Neuve, au plus fort de la bataille contre le 3ème Reich. Roosevelt et Churchill avaient écrit une ‘’Charte atlantique’’ en huit points préfigurant un retour de la Paix au sein de ‘’Nations Unies’’. Il n’est jamais trop tôt pour s’atteler au point le plus dur d’une guerre : le plan long et parsemé de pièges pour en sortir. Devrait-on, au passage, ignorer les stigmates auto-infligés et les craintes existentielles de la Russie ?

Seuls, les protagonistes occidentaux peuvent en accomplir l’effort et cerner progressivement les contours d’un nouvel ordre européen, lorsque la Russie parviendra elle-même à un constat d’impasse et d’affaiblissement rédhibitoire. Réfléchir, comme le fait Emmanuel Macron, à une architecture de sécurité continentale qui rendra sa (nécessaire) défaite plus supportable et garantira les (seuls) aspects légitimes de sa sécurité ne relève pas de la science-fiction ni de la sensiblerie mais d’un réalisme sage, qui voit loin.

La défaite russe provoquera un complet réaménagement du système despotique de pouvoir du Kremlin. Il faut miser sur la fin du  »poutinisme ». Qui sait, elle pourrait même rapprocher (un peu) le système politique russe de nos principes démocratiques. Ceci impliquerait un degré de contrition et une nouvelle volonté de coexistence pacifique de la part de Moscou. Mais, il y a des ‘’mais’’ incontournables pour ne pas faire germer le besoin de revanche et l’esprit de haine : ne pas occuper le sol russe ni surexposer l’OTAN en vainqueur et éviter d’humilier cette nation qui se conçoit en grande puissance, lui accorder une marge raisonnable de sécurité souveraine ; enfin, recréer les bases d’une coopération conforme aux principes de la Charte des Nations Unies (le droit dont on ne doit priver aucun Etat légitimement constitué). C’est un peu les limites pointées par Aristide Briand à l’égard du fardeau excessif imposé à l’Allemagne de Guillaume II par le Traité de Versailles du 28 juin 1919.

Abuser des fruits d’une victoire censée à nouveau marquer ‘’la fin de l’Histoire’’ (référence à la chute de l’URSS en 1991) détruirait sûrement la Paix. Le plus délicat restera l’instauration d’une justice réparatrice. Il faudra que la Russie y contribue sa part, même s’il est bien évident que le gros des ressources destinées à l’Ukraine – peut-être des milliers de milliards de dollars – proviendra du système multilatéral, lui-même alimenté par l’Occident. Plutôt un plan Marshall et une offre de réconciliation, une fois la Justice passée, que les fourches léonines d’un Traité de Versailles avec ses clauses impossibles et ses lendemains guerriers. Mais, s’il est bon de penser à une paix durable, il faut se garder d’en parler trop et trop tôt pour ne pas choquer inutilement ceux qui souffrent, aujourd’hui, sous les drones et les missiles de l’agresseur russe.

Le temps court avant le temps long…

* 16 novembre – Pluie de missiles, orage diplomatique

Frisson, … l’Occident – et le monde – se sont perçus, un court moment, confrontés au scénario cauchemar d’un engrenage entre l’OTAN et la Russie, après que des éléments de missile se sont abimés en territoire polonais, à quelques kms de la frontière ukrainienne. Le G 20 a débattu l’affaire, par ailleurs soumise à consultations à l’OTAN, au titre de l’article IV de la Charte atlantique. Pour la première fois depuis 1945, le sol de l’Union européenne semblait ciblé par une frappe d’agression. Une enquête est en cours. La circonspection s’est néanmoins imposée, vu la hauteur exceptionnelle des enjeux et les conséquences potentielles d’une éventuelle réplique occidentale. On se souviendra du 16 novembre comme ouvrant des perspectives inédites qui donnent le vertige. Le réflexe de prudence a été sage : le gouvernement polonais a vite sonné la fin d’alerte, de l’alerte précisément déclenchée par la retombée d’un anti-missile ukrainien. Il s’agirait d’un effet collatéral de la ‘’pluie de missiles’’  précipitée sur l’Ukraine par l’armée d’invasion russe.

Bien que très malheureux (il a fait deux victimes), l’épisode a fourni une illustration saisissante de l’acharnement russe à détruire son voisin de l’Ouest, là où il ne peut pas le mettre sous sa botte. Il est survenu au lendemain d’une cuisante défaite russe dans la cité sudiste de Kherson, libérée grâce à l’alliance de la vaillance ukrainienne avec les armes occidentales. S’en est suivie la vengeance de Moscou sur les villes ukrainiennes, visant à en détruire les infrastructures et à terroriser leurs populations, plongées dans la pénombre et dans le froid.

Le moment (mal) choisi ne pouvait qu’impressionner les participants aux deux grands fora internationaux en cours : la COP 27 de Charm El Sheikh et, plus encore, la réunion du G 20, à Bali. Partant, la propension du monde émergent – et même de la Chine – à l’évitement du sujet a été battue en brèche. L’isolement patent de la délégation russe, conduite par Serguei Lavroff, combinée à la plume habile de la délégation française, ont produit un texte articulé autour de la ‘’condamnation de la guerre, qui sape l’économie mondiale’’. Personne ne contestant le fait que l’initiative en est imputable à la seule Russie, la responsabilité de l’agresseur ressort bien en filigrane. Nouvelle défaite, diplomatique, celle-là, pour Poutine.

Souhaitons-lui tous les déboires d’une action criminelle ratée et la contestation du peuple russe, en retour.

* 4 octobre – Bottes molles

Le commandement de l’opération spéciale en Ukraine est de plus en plus désigné comme responsable de la déroute militaire russe à Lyman. Ramzan Kadyrov, le potentat tchétchène dur des durs, s’en est prend directement aux plus hauts responsables militaires russes, à commencer par le colonel général Alexandre Lapine, responsable des opérations dans cette ville du Donetsk. Mais, au-delà, il vise le ministre de la défense, Sergueï Choïgou, le chef d’état-major, Valéri Guerassimov, voire, par allusions, Vladimir Poutine lui-même. Il est reproché à ce dernier d’être ‘’mal informé’’. De fait, à peine claironnée, l’annexion russe se trouve rognée par les avancées ukrainiennes à l’Est et au Sud. La Russie prend conscience des failles majeures dans sa conduite de la guerre.

Kadyrov fustige en vrac l’incompétence des officiers supérieurs sur le terrain, leur absentéisme, la faiblesse de la logistique et le népotisme régnant aux armées. Coutumier de l’outrance, il réclame des ‘’mesures plus radicales’’, telle l’utilisation d’armes nucléaires tactiques sur le front ukrainien. Fait nouveau, il a suscité des échos auprès de certains  oligarques (Prigojine) ou d’anciens hauts gradés. Pour le politologue Abbas Galliamov. ‘’les failles ne vont cesser de grandir… Poutine estimant que l’armée l’a trompé en se prétendant plus forte qu’elle ne l’est’’. Les généraux russes en voudraient à Poutine et au FSB d’avoir mal analysé la situation en Ukraine avant de lancer les hostilités. Bref, à Moscou aussi, il y a des fuites de gaz dans l’eau.

Conclusion du Monde : C’est bien la crédibilité de Vladimir Poutine qui est atteinte. Il aurait personnellement ordonné de tenir les poches – mal défendues – de Lyman et de Kherson. Ensuite, le commandant en chef des armées n’a cessé de remplacer, tout au long du conflit, les généraux chargés des opérations. Tout cela rappelle la mauvaise gestion du champs de bataille pratiquée par Adolf ou par le Petit Père des Peuples. Les dictateurs mégalomanes ne sont jamais des génies militaires. Toute attaque contre l’état-major devient dès lors une remise en cause de ses choix, peut être des lézardes dans son pouvoir absolu.

Vous reprendrez bien un peu de gaz, avant la campagne hivernale ?

* 3 octobre – Annexions

 15 ou 20 % (si l’on inclut la Crimée) du territoire d’un pays européen plus vaste que la France, soit 109 000km², passe sous la coupe d’une dictature guerrière et voyoute.  ‘’Bienvenue à la maison !’’ lance à ses nouveaux collabos, un Chef de guerre jubilant, qui formalise l’annexion d’un trait de plume, avant d’ouvrir son bal à flonflons sur la Place Rouge. ‘’Les habitants de Louhansk, Donetsk, Kherson et Zaporijia deviennent nos citoyens pour toujours’’… ‘’quatre nouvelles régions russes sont ainsi formées’’, déclare le même, ajoutant que les populations avaient voté ‘’sans équivoque’’ pour un avenir commun. Quel avenir commun ? … illégal, oppressant et vraiment peu enviable, en commençant par la conscription forcée des ‘’malgré nous’’ ! Les citoyens russes exultent-ils ? En tout cas, pas ceux qui, par centaines de milliers, abandonnent le navire en détresse.

Ce grand trucage d’urnes remplies au son du canon, généralement qualifié de mascarade ou de sinistre farce, serait censé apporter aux habitants du Donbass, de Kherson et de Zaporijia ‘’la nationalité et la protection de la Russie’’… alors que la plupart ont dû aller se réfugier au loin. Il serait une réplique à l’ ‘’extermination systématique et cynique’’ menée par les forces de Kiev : revoilà les fantômes nazis dénoncés en février par la propagande poutinienne ! Pour le MID, les habitants des quatre  régions ‘’n’avaient pas d’autre solution’’. Comme présentation d’un énorme hold-up c’est la glorification de la loi du plus fort. Reste à clarifier si la Russie annexe la totalité des régions ukrainiennes de Kherson et de Zaporijia, ou uniquement les parties qu’elle occupe effectivement. Apparemment, ce n’est pas tranché et les lignes de front bougent vite à l’Est de l’Ukraine. Lyman, théoriquement annexée, vient d’être reprise par les Ukrainiens et leur fournit une plateforme ferroviaire pour poursuivre vers l’Est.

Sans surprise, la Russie a mis son veto à la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant ses annexions en Ukraine. Le projet, appelait à rejeter une pseudo-annexion  des quatre régions. Il a recueilli dix voix en sa faveur contre quatre abstentions : celles de la Chine (qui dit néanmoins ‘’soutenir la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays’’), de l’Inde, du Brésil et du Gabon. Ces trois derniers pays se sentent-ils à l’aise de bouder ainsi la Charte des Nations Unies ? Il est plus probable qu’ils répugnent à voir celle-ci servir les intérêts de l’Occident, un tragique contre-sens. Cet Occident mal-aimé …. va devoir se tourner maintenant vers l’Assemblée générale de l’ONU. Un tel vote des 193 Etats membres permettra d’évaluer le degré d’isolement de la Russie, sans avoir de portée contraignante ni imposer de sanctions.

Ce coup de force évoque étrangement l’annexion des Sudètes par le troisième Reich nazi. Voici ce qu’en dit l’encyclopédie en ligne Wikipédia :

‘’Le 29 et 30 septembre 1938, Hitler, se faisant le champion du principe des nationalités, déclare vouloir ‘’libérer les Allemands des Sudètes de l’oppression tchécoslovaque’’. Il s’appuie  sur l’agitation de l’organisation nazie locale, évoque le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pour exiger de Prague l’annexion au Reich de la région des Sudètes. L’Europe connaîtra ensuite ‘’la paix pour mille ans’’. Le « Führer » obtient gain de cause lors de la signature des accords de Munich, le 29 septembre 1938. Le 21 octobre suivant, les Sudètes deviennent un territoire du Reich. Lors des élections de 1938, 97,32 % des voix reviennent au Parti nazi, ce qui fait des Allemands sudètes l’un des plus solides soutiens du régime d’Hitler’’.

On connaît la suite. C’est frappant de similitude, même si Münich ne figure plus dans le scénario en cours ! Les commentaires européens sont en effet bien moins complaisants.

– pour la France, celui de Catherine Colonna est certes un peu tiède : ‘’Au moment où la Russie renouvelle sa rhétorique agressive, où elle organise les simulacres de référendums qui signent son statut d’Etat paria et au moment où des incidents inexpliqués ont lieu dans la mer Baltique, je le dis avec une certaine gravité : nous aurons à maintenir notre engagement dans la durée’’. Tenir dans la durée n’en est pas moins une vérité exigeante.

– Pour l’Union européenne Josep Borrell est plus mobilisateur :’’ L’annexion illégale des territoires des régions administratives de Donetsk, Louhansk, Zaporijia et Kherson, proclamée vendredi par le président russe, Vladimir Poutine, rend ‘’ beaucoup plus difficile, impossible, presque, la fin de la guerre’’ … ‘’La Russie est en train de perdre » la guerre, « elle l’a perdue en termes moraux et politiques, mais « l’Ukraine n’a pas encore gagné’’ … ‘’ les Européens ont construit un jardin qui est entouré par la jungle.  Si nous ne voulons pas que la jungle envahisse le jardin (…) il va falloir nous impliquer. C’est parlant.

* 20 septembre – Le chaperon rouge va battre le grand méchant loup

Qui, hormis ceux qui y participent (et encore …) peut donner du crédit aux déclarations éhontées de la Russie en guerre ? La moitié de la planète n’en a cure et s’intéresse peu aux logorrhées délirantes de la propagande poutinienne. Mais le mensonge prolifère sur les corps meurtris de morts innocents et cela est particulièrement insupportable. Le Kremlin a ainsi démenti, comme lors du massacre de Boutcha, que tout crime de guerre ait pu être commis à Izioum, récemment libérée. Toutes les preuves sont bien visibles et même quantifiables et datées mais, dixit le Kremlin, c’est un  »pur mensonge ». Sur les indications de Kiev, des experts internationaux ont constaté le creusement hâtif de plus de 440 tombes rudimentaires et d’une fosse commune. Mais qu’importe, on s’habitue à cette procédure ‘’miroir’’ imputant systématiquement à l’adversaire  les crimes qu’on a commis contre lui.

Il y a comme une touche supplémentaire de perversion quand les mêmes font arrêter et condamner pour  »haute trahison », par leurs supplétifs séparatistes de Louhansk, un employé de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). L’Ukrainien Dmitri Chabanov enquêtait sur les parodies de justice pratiquées dans les territoires occupés par l’armée russe. Il est plus que probable qu’il était tombé sur des cas d’exécution arbitraires, sur la base de procès iniques et bâclés. Il était donc de son devoir de faire rapport à l’organisation pan-européenne qui l’avait missionné à cette fin. Il disparaît, accusé d’avoir fourni des  »informations confidentielles » à des services de renseignement étrangers, dont la CIA (les Etats-Unis étant effectivement membres de l’OSCE). Il écope de treize ans de prison dans une geôle russe inaccessible.

La semaine dernière, l’OSCE a condamné les charges placées à l’encontre de deux de ses employés, exigeant leur libération immédiate. Principal acteur de modération des tensions et de règlement des conflits en Europe, elle dénonce bien sûr ces prétendues “poursuites judiciaires sur la base d’accusations montées de toutes pièces’’. Il n’empêche qu’en sa qualité d’arbitre, elle se voit expulsée du ring. Pourra-t-elle rester longtemps encore présente sur les terrains d’affrontement où elle est déployée depuis 2014 ? C’est très peu certain. Cette institution née de la détente des années 1970 risque de disparaître dans le chaos d’une guerre sans ordre du jour ni pourparlers parallèles. Elle serait pourtant indispensable le jour où les canons se tairont et qu’il faudra réapprendre à coexister au sein du Vieux Monde.

La Russie n’est peut-être pas loin de se réveiller en réalisant l’immense gâchis perpétré par Poutine. Une courageuse (et âgée) chanteuse de variété moscovite, Alla Pougatcheva, a franchement dénoncer la guerre, sous l’angle de la jeunesse russe envoyée au casse-pipe et dont on cache aux familles la véritable hécatombe. L’artiste, très populaire, a affirmé que le conflit tuait des soldats pour  »des objectifs illusoires », accablant la population et faisant de la Russie le paria de la Planète. Cette célébrité a, en outre, demandé à être classée, comme son époux comédien, en tant qu’agent étranger comme l’implique l’engagement associatif à l’international. Chapeau, la dame : elle court un risque énorme mais touche le public là où ça fait mal à Poutine.  

Le spectre Poutine va planer sur les débats de l’Assemblée générale des Nations unies, cette semaine. . Comme le relève Le Monde : ‘’ Jamais l’ordre international n’avait paru aussi fracturé, recomposant une nouvelle cartographie des rapports de force’’ dans le monde. La mutation de l’Europe et des Etats Unis n’est pas achevée. Les pays du ‘’Sud’’ évitent de choisir un camp mais s’inquiète fortement des conséquences géopolitiques, alimentaires et énergétiques de la guerre en Ukraine. La majorité s’exaspère que ce conflit absurde dure autant. La Russie est placée sur la défensive face à ce consensus apolitique.

La partie paraît jouable et gagnable par les démocraties.

* 14 septembre – Fin d’omerta ?

En République Française, on ne débat pas de politique extérieure au sein des institutions représentatives de la Nation. C’est comme ça. Pas même d’interventions militaires extérieures : ce n’est pas la coutume. Ceci confère à notre démocratie un caractère d’exception (une exception française de plus !).

 On se souvient de l’omerta qui avait frappé la désastreuse expédition de 2011 en Libye contre  Kadhafi et son régime, en violation du mandat humanitaire de l’ONU. Comment oublier celle, longue et solitaire, au Mali en 2013 pour y bouter l’expansion jihadiste (qui prospère de plus belle !). Rappelons aussi  l’intervention – certes, ponctuelle – de la marine de guerre en renfort du blocus du Yémen en 2015 accompagnée de contrats mirifiques décrochés par les marchands français d’armement à Riad et Abu Dhabi, en soutien à la croisade anti-chiite des émirs. Tout cela n’a eu pour effet que d’accroître encore le supplice des populations civiles yéménites. Au final, il en a résulté aussi une forte présomption de complicité de la France dans ce qui est partout perçu en Occident comme un crime contre l’humanité. Même marginale, ce fut une contribution à la plus grande crise humanitaire du moment. Ce ne fut pas bon pour l’image de la République. Mais, silence dans les travées !…

J’ai moi-même reçu d’un vice-président de la Commission des Affaires étrangères, qui était aussi mon député, la confidence comme quoi, en France, le Législatif souffrait d’être écrasé par l’Exécutif ; qu’il cherchait en vain un droit à l’information et une émancipation mais n’oserait jamais recourir à son droit d’enquête : cela relèverait du régicide. Ainsi, en matière d’opérations extérieures et d’armement, les représentants de la Nation font face à la Monarchie. Et, d’évidence, ils en ont peur, sans pouvoir exprimer ouvertement cet effroi.

Alors, je fais un peu taire l’Ours quand j’apprends, au détour d’une brève de trois lignes, que la Première ministre française prépare un débat à l’Assemblée nationale sur la guerre en Ukraine (et aussi sur les conséquences qu’elle a en France). Il aura lieu au Palais Bourbon le 3 octobre, en application de l’article 50-1 de la Constitution. Dès juillet, Mme Elisabeth Borne en avait émis l’idée. Je n’y avais pas fait vraiment attention sur le coup. Bientôt, nous aurons donc à entendre une déclaration du Gouvernement sur le sujet de la Guerre et de la Paix. Elle sera suivie d’un débat dans l’Hémicycle. Au Sénat, la date du débat n’a pas encore été fixée mais la même séquence est prévue. D’ailleurs, ce n’est pas trop risqué puisque sur la guerre en Ukraine, le gouvernement français a cette fois épousé la bonne cause. Mais quand même : Youpeee !

Merci, Elisabeth, de ton initiative bienvenue et assez audacieuse de la part d’une ancienne préfète ! Prions pour que le débat sur la guerre ne soit pas détourné en un exercice autocentré et nombrilique sur l’inflation et la crise énergétique (des sujets traités – avec raison – partout ailleurs). Rêvons qu’on entende des mots comme ‘’liberté’’ ‘’fraternité’’ ‘’solidarité des démocraties’’ ‘’respect du droit humanitaire et de la Charte des Nations Unies’’, etc.

Si c’est bien le cas, l’Ours et moi on va se mettre à aimer Elisabeth autant qu’on aime déjà Ursula !

* 23 juillet – Vent dans les voiles, blé dans la cale

C’est comme une lueur d’espoir pour les pays du Sud. Les deux accords passés sous l’égide des Nations Unies, via les bons offices turcs, ouvrent une voie, fragile, à l’exportation via la mer Noire des dizaines de millions de tonnes de céréales en souffrance, requises pour éviter la famine l’hiver prochain. Les pays potentiellement bénéficiaires peuvent partager le souci des démocraties face à l’agression russe en Ukraine, mais le consensus est qu’ils n’ont pas à en payer la facture. Les belligérants ont indirectement souscrit à l’accord, sans négociation directe entre eux.

Les difficultés viendront des modalités d’application. Moscou veut contrôler les cargaisons ukrainiennes. Il en est de même de la bonne foi des parties. La Russie respectera-t-elle les règles et s’abstiendra-t-elle de toute transgression agressive, alors qu’au quotidien, sa marine et ses troupes ne s’embarrassent pas du droit de la guerre. Se pose également la question de la garantie sécuritaire des opérations : elle ne repose que sur l’engagement des Nations Unies et sur le contrôle des détroits par la Turquie. Autre prérequis, l’état des ports ukrainiens de la Mer Noire sous occupation russe à l’exception d’Odessa, en mauvais état de fonctionnement, privés de leur main d’œuvre dispersée par le conflit. Ajoutons-y la recherche d’assureurs susceptibles de couvrir l’activité maritime dans un environnement de guerre.

Tout cela fait beaucoup de ‘’si’’ et de risques de dérapage, mais parvenir à élaborer un tel schéma était quasiment inespéré il y a peu et donc positif pour la suite. Le meilleur atout de l’opération humanitaire et commerciale est qu’elle sert les intérêts des deux belligérants à la fois, puisque la Russie y gagne une levée des contraintes frappant ses propres exportations de blé et sans doute d’engrais. Certains concours pourraient s’être perdus en chemin, notamment l’opération de sécurisation des ports par la marine française. Annoncée le mois dernier à Kiev, par le président français, elle n’est plus évoquée.

Quelque chose d’important vient en tout cas de se concrétiser, au cinquième mois de la guerre en Ukraine, alors qu’aucun répit n’est perceptible dans la violence des combats. La population ukrainienne en est profondément meurtrie mais aussi affectée l’agriculture d’un pays réputé être le grenier à blé de l’Europe et d’une partie du monde. Les bombardements, l’incendie des récoltes et des silos doublé d’un blocus naval en Mer Noire ont bloqué le ravitaillement de nombreux pays émergents, notamment nord-africains (à commencer par l’Egypte, la Tunisie et le Maroc) et moyen-orientaux (la Syrie et le Liban), avec des conséquences potentiellement catastrophiques sur la sécurité alimentaire. Pour ce qui est de l’Afrique de l’Ouest, où, selon Oxfam, 30 millions de personnes souffrent actuellement d’insuffisances alimentaires, le conflit a accentué une inflation généralisée préexistante. En cinq ans, le prix du maïs y a augmenté de 30 % et celui du riz de 20 %, ce qui affecte aussi les prix des engrais et du pétrole affectant également l’agriculture africaine. Des poches de famine s’y développent. A l’est du continent, l’Érythrée et la Somalie dépendent presque entièrement des importations de blé russe ou ukrainien. L’Ethiopie, le Kenya et la Somalie connaissent déjà la disette : un être humain y meure de la faim toute les 48 secondes.

Vis-à-vis d’un Sud confronté à des enjeux aussi élevés, il faut donner sa chance à l’accord passé à Ankara. Ceci, sans trop s’appesantir sur les ambigüités connues de la diplomatie turque. Peut-être la France, qui s’était prestement signalée, pourrait, avec d’autres Etats garants, proposer les services de sa marine aux Nations Unies.

* 22 juin – Au pied du mât de cocagne

Demain et vendredi, les Etats membres de l’Union européenne vont se prononcer sur un statut de candidat de l’Ukraine à l’Union. L’avis positif de la Commission européenne sera discuté lors du sommet du Conseil européen, à Bruxelles. Au 120ème jour de l’invasion russe s’ouvrira une semaine ‘’vraiment historique’’, selon les mots de Volodymyr Zelensky. En conséquence, le président ukrainien s’attend à ce que Moscou intensifie ses offensives contre son pays : ‘’Les Russes ont besoin de cette crise et ils l’aggravent de façon délibérée’’, analyse-t-il. La semaine dernière à Kiev, Paris, Berlin et Rome (rejoints par Bucarest) se sont prononcés pour l’octroi ‘’immédiat’’ à l’Ukraine de ce statut de candidat. Jamais un avis sur une demande de candidature n’aura été rendu en mode aussi express. Reste à faire prendre la ‘’tambouille’’ bruxelloise. 

De fait, c’est à l’unanimité que les 27 devront donner leur feu vert : ce n’est pas gagné. Il faudra dépasser les réticences des Pays Bas et du Danemark – assez fondées en droit, vu certaines mauvaises habitudes ukrainiennes – et la velléité générale d’obstruction dont fait preuve la Hongrie. La question des normes juridiques, sociales, juridiques ou écologiques ne se pose d’ailleurs pas à ce stade : on est dans la diplomatie de guerre, la géopolitique de combat, comme d’autres opèrent dans la médecine d’urgence. Dans le meilleur des cas pour Kiev, le chemin d’une adhésion sera long et lourd en contraintes. Qu’importe le processus, on en parlera plus tard, c’est l’arrimage géopolitique immédiat qui compte … et c’est bien ce qui heurte la volonté hégémonique de Moscou. Le Kremlin, faute de mieux, simule hypocritement l’indifférence.

Ursula von der Leyen a adopté l’expression clé de ‘’perspective européenne pour l’Ukraine’’, synonyme flou d’un sanctuaire provisoire dans cette antichambre où la Turquie, la Serbie et d’autres ont longtemps mariné dans la frustration. ‘’Nous savons tous que les Ukrainiens sont prêts à mourir pour défendre leurs aspirations européennes’’, dixit la patronne de la Commission. Et encore : ‘’Nous voulons qu’ils vivent avec nous, pour le rêve européen’’. Il y aurait donc aussi un ‘’rêve européen’’ comme, à Pékin, Xi Jinping cultive son ‘’rêve chinois’’ ? Décidemment, on est bien en guerre !

La Commission recommande par ailleurs d’accorder à la Moldavie le même statut de candidat, à la condition qu’elle mène à bien d’’’importantes réformes’‘. Si toutefois, enlevant Odessa, les chars russes devait déferler plus au Sud, gageons que ces conditions tomberaient dans l’oubli ipso facto, concernant ce petit pays sans défense. Vendredi, donc, on devrait y voir plus clair.

Quant à la Géorgie, l’oligarque américanisé qui dirie son gouvernement est réputé pour sa complaisance envers Vladimir Poutine. Malgré la sympathique figure de sa présidente (une ancienne collègue à moi, au Quai), le pays attendra et devra faire la preuve d’une meilleure gouvernance politique. Dans l’immédiat, Tbilissi ne paraît pas être la capitale la plus menacée, le pays ayant déjà été partiellement dépecée en 2009, en conséquence d’une occupation partielle par les troupes russes. Deux de ses provinces on été perdues à l’ennemi. Depuis l’avis de la Commission, l’inquiétude y est massive, les Georgiens s’identifiant désormais à la résistance ukrainienne. Agitant des drapeaux européens, quelque 120 000 manifestants se sont massés devant le Parlement pour exprimer ‘’l’engagement du peuple géorgien dans son choix européen et dans les valeurs occidentales’’. L’ensemble des partis d’opposition avait convoqué cette marche pour  »le rêve européen » d’Ursula.

Avec Charles Michel, Ursula von der Leyen pourrait demain régner sur un empire européen immense, s’étendant jusqu’au cœur du Caucase et des Balkans. Est-ce un rêve ? Faudra-t-il remercier Poutine d’avoir tant agrandi l’Europe ?

* 22 juin – Un yoyo pour la Paix

A partir d’une tribune d’Edgar Morin, la brève précédente retraçait le phénomène de yoyo fou qui, depuis deux siècles, caractérise la relation de la Russie (ou de l’URSS) avec l’Occident. Depuis l’avènement de Vladimir le Sinistre, on connaît la suite. Pourtant ne serait-il pas temps d’ajuster notre vue à la persistance du vieux dilemme russe : faire partie de l’Europe, mais avec la tentation de la dominer comme une parcelle de son empire ou s’en voir exclue, sombrer alors dans le syndrome du revanchisme et même fomenter des guerres à n’en plus finir…

Poutine, s’est fait une réputation de brutalité dès la deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2000), d’une férocité inouïe. Elle a alarmé les anciens ‘’satellites’’ et les a précipités dans les bras (américains) de l’OTAN. Suivent ensuite plusieurs accès de revanchisme conquérante : Géorgie, en 2009 (deux provinces annexées) ; l’opposition virulente à la ‘’révolution de Maidan’’ à Kiev, en 2013; l’annexion par surprise de la Crimée en 2014, entrainant l’exil des ukrainophones et des tatares puis lancement d’une guerre de sécession dans le Donbass (14.00 morts, dont ceux du vol de la Malaysia Airlines).

La Russie fait revivre à nos yeux le terrible sourire grimaçant de Staline, dans notre époque où le retour à la barbarie paraissait impensable. La résurgence des pires souvenirs a immédiatement saisi les anciens satellites du pacte de Varsovie. Les conclusions tirées de ‘’l’opération spéciale’’ sont un peu différentes en Europe de l’Ouest, plus circonspecte mais aussi plus prospective puisque possédant l’expérience de la série de rabibochages  »yoyo », plus ou moins francs, avec Moscou. A cette dernière incombera, quand l’heure de négocier reviendra, le soin de ne pas rééditer les erreurs politiques et psychologiques des années 1990.

Gardons en mémoire quelques données fondamentales :

-Les Russes vivent dans un espace psychologique et temporel qui n’est pas le nôtre. Beaucoup d’entre eux acceptent encore, avec fatalisme comme des faits de vie, la souffrance et l’injustice. Leur humiliation n’est pas la pire qu’une nation européenne ait éprouvée, de loin, mais elle est durablement ancrée et instrumentalisée dans la psychologie collective.

-Leur vieille paranoïa génère un nationalisme exacerbé, qui installe un cycle sans fin de vengeances et d’actes révisionnistes. La fierté russe reste un facteur puissant, d’autant plus qu’elle n’est pas reconnue à l’extérieur. Elle est desservie par son caractère archaïque et colonial de même que par la doctrine machiavélique des gouvernements moscovites. N’oublions pas que le géorgien Djougachvili (Staline), apôtre de la ‘’Sainte Russie’’, comme l’ukrainien Khrouchtchev ont pleinement incarné cette, identité russe qui n’était pas celle de leur origine ethnique mais reste LE ciment sacré d’une nation composite.

-Dans le Donbass en feu, beaucoup de russophones vouent Poutine aux gémonies tout en restant férocement attachés à leur langue et à leur identité russe. Les Criméens n’accepteront pas de retrouver le giron de Kiev. Ils font face au (compréhensible) ressentiment que leur vouent les ukrainophones. Il n’y a aucune solution militaire à cette forme d’hostilité culturelle communautaire.

-Avec le temps et en dépit des épreuves qui se retourneront contre cette population hypnotisée par son dictateur, il faudrait l’aider à sortir de sa bulle. Cela, sans trop l’humilier. Pour Edgar Morin, la vision de long terme devra composer avec ses caractéristiques mentales extrêmes, plutôt que de lui opposer un mépris opaque. Pour ramener les esprits, pas à pas, aux réalités du monde, il faudra jouer habilement du dilemme russe entre acclimatation à l’Europe et maintien d’un empire brutal mais isolé.

-Poutine ne réintégrera jamais l’univers réel et ses concitoyens devront donc s’en défaire. Ils se doutent déjà un peu de ce que tous les Ukrainiens ne sont pas tous des nazis (même si quelques ‘’bandéristes’’ se manifestent, mais le collabo Bandera a aussi été le leader de leur première indépendance : cela compte) et que ‘’l’opération spéciale’’ est bien une guerre d’invasion très dure et immorale, qui tue de part et d’autre. Ils réalisent forcément avec frustration que leur pays est devenu un paria et qu’ils y sont enfermés comme en prison.

-Le problème reste que cette réalisation du  »vrai monde » progresse bien trop lentement pour mettre un terme aux cataclysmes en chaîne induits par la guerre. Faute de transport des céréales ukrainiens, la famine menace plusieurs régions du Sud ; l’inflation va jeter des populations entières dans l’impécuniosité ; la transition énergétique déraille du côté du charbon ; le contrôle du COVID régresse ; le commerce international se rétracte autour de  »trous » béants ; la prise en compte de l’urgence climatique se voit repoussée aux calendes, etc.

-Alors, comment ‘’appâter’’ les Russes à l’espoir d’une paix honorable et relativement proche ? Dans le Donbass et en Crimée, il ne faudra pas ignorer le fait russe majoritaire. La diplomatie peut faire avancer l’idée d’une autodétermination encadrée internationalement. Les russophones auraient à choisir entre l’annexion à la Russie, la création de deux républiques de statut autonome au sein de l’Ukraine (mais entretenant des liens coopératifs avec la Russie) ou une indépendance dans l’absolu (sous garanties internationales).

-Simultanément, Marioupol, Odessa et les ports sous contrôle actuel russe en Mer Noire et Mer d’Azov adopteraient un statut de ports francs, d’accès ouvert à tous, notamment pour l’exportation de ressources alimentaires, énergétiques ou minéralières.

-Possible bien qu’imparfaite, une ‘’paix de compromis’’ avec Moscou impliquerait la protection par l’OTAN de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, assujetti à un stricte engagement à ne pas faire de ce territoire un tremplin militaire contre la Russie. C’est loin d’être évident. Kiev adopterait une politique de ‘’semi-neutralité’’ (offensive mais pas défensive), celle que votre blog préféré prône, au fil de ses brèves.

– Le bon sens voudrait alors que l’on active alors un forum d’inclusion de la Russie dans l’architecture de défense et de dialogue politique européenne. L’objectif en serait de casser le cycle infernal de la frustration, du mépris, de la vengeance : stopper le yoyo. Excluons que Moscou intègre un jour l’Alliance atlantique, qui est un repoussoir absolu à ses yeux. Quid de l’Union européenne ? Edgar Morin pense que l’on pourrait envisager un rapprochement et même – qui sait ? – jusqu’à une adhésion.

Que tout cela advienne serait trop beau pour y croire ! Car on a encore besoin d’en être convaincu. Mais les prémisses de la démonstration faite par Edgar Morin restent solides. De même sa conclusion :  »en sortir, vite, pour le salut des jeunes générations ».

* 16 juin –  »Bellico-scepticisme »

La génération aux affaires se sent déjà ‘’coupable’’ d’avoir trop tardé à traiter du dérèglement climatique. Qu’en est-il de la question, toute aussi vitale, de la guerre, c’est-à-dire de ‘’d’avoir manqué d’enraciner la Paix dans son époque » ?  La dynamique du conflit en Ukraine nous emmène vers un climat de violence barbare face auquel notre impuissance vaut démission de notre condition citoyenne et humaine.

Peut-on rester durablement dans un engagement militaire indirect et livrer à Kiev des armes toujours en quantité croissante et de plus en plus lourdes sans verser, peut-être à notre insu, dans la cobelligérance contre Moscou ? Le spectre de l’affrontement généralisé ne trace qu’une limite floue et psychologique dont le franchissement peut complètement nous échapper. D’un autre côté, ce serait un véritable suicide des démocraties et un coup de poignard dans le dos des Ukrainiens de laisser ce peuple sombrer sous une occupation  barbare. Entre ces deux écueils, où se trouve la raison ? Où tracer la ligne ‘’miraculeuse’’ qui sauverait à la fois l’Ukraine, la Paix, le climat et un ordre mondial qui ne soit pas marqué par le revanchisme, les souverainismes, la faim, les exodes, les catastrophes naturelles (l’Ours se prend la tête entre les mains, à deux doigts d’un sacré mal de crâne) …

Dans tous les cas, le coût environnemental des guerres est incommensurable. Nos efforts pour rouler électrique, recycler nos déchets, préserver la biodiversité, tenter la sobriété sont réduits à néant par une seule semaine d’opérations militaires. Croira-ton malin de réduire les émissions de CO2 kaki en électrifiant les chars de combat ou en propulsant les missiles par voie de ‘’windsurfing’’ ? Ou encore en remplaçant la poudre par des substances biochimiques plus mortelles encore ? Le réarmement que l’Europe engage est urgent mais d’autant moins propre. Oublions ces errances dues à la déplorable volonté de ce blog de faire le buzz !

L’effort budgétaire absorbé par cette nouvelle course aux armements amputera les dépenses sociales et générera mécaniquement des tensions internes. Il est un peu suspect qu’au cours d’une campagne électorale française centrée sur le thème du pouvoir d’achat et hélas, totalement insensible au cataclysme du climat (une autre source de contraintes), personne n’ait osé soulever le sujet. Les lendemains qui chantent ne sont pas pour la prochaine législature. Au-delà de l’Europe, le commerce mondial tend à se recroqueviller aux dépens des pays les plus vulnérables. L’Afrique et le Moyen-Orient paieront en pénuries alimentaires et en inflation la guerre déclenchée par Vladimir Poutine. Par une triste ironie du sort, ces régions ne le désignent pas comme coupable …

Comment naviguer sur un océan de tempêtes ? Il n’y a bien sûr pas de recette miracle, mais les valeurs et la méthode offrent néanmoins une sorte de boussole, loin du confort d’un GPS. A court terme, il va falloir accepter l’Ukraine comme candidate à l’Union européenne – ce sera devenu une évidence avant que les armes se taisent puis à l’heure de négocier la paix – mais nous n’aiderons pas à rétablir un semblant d’équilibre si Kiev devient en même temps un maillon de l’OTAN actuelle. En tout cas, directement, sous emprise américaine. La meilleure solution pour apporter les garanties extérieures que demande le président Zelensky se trouve dans le cadre d’une Europe de la Défense qui s’assumerait pleinement (sans rompre avec Washington, cependant), complété par les réseaux de vigilance de l’OSCE (dont c’est justement la vocation) et par le système des Nations Unies (casques bleus et observateurs), qui seraient implantés sur le terrain, au plus près des belligérants. On pourrait pousser le raisonnement jusqu’à concevoir un modèle de ‘’semi-neutralité’’, impliquant la non-intervention de l’armée ukrainienne hors de ses frontières, couplée à la défense collective à l’intérieur de ses frontières. C’est d’ailleurs un peu ce qui se passe actuellement de facto.

Resterait à régler, dans les négociations de Paix, la capitulation (sans humiliation inutile, mais quand même) de l’armée russe, la rétribution des crimes de guerre et le déblocage du Conseil de sécurité au sein de l’ONU. Il est d’avis de l’Ours que le système du véto des cinq membres permanents devrait disparaître, si l’on veut empêcher la multiplication des agressions commises par les ‘’grands nucléaires’’. Vous voyez la classe politique française encaisser cela ?  Accepter que l’illusion de la ‘’grandeur’’ vaut moins que l’espoir de la Paix ? C’est pourtant vrai. Il le faudra bien pour sortir du climat mortifère de la géopolitique et s’atteler au problème du climat anarchique de la Planète.