*30 septembre -L’Etat de droit, encore la norme en Europe occidentale ?

Brèves des jours précédents

Au dernier carat des tractations commerciales entre Londres et les 27, la Chambre des communes a adopté, par 340 voix contre 256, le  »projet de loi sur le marché intérieur », malgré les critiques de cinq anciens Premiers ministres et d’une partie des Conservateurs au pouvoir. Invoquant l’intégrité territoriale du Royaume-Uni et la continuité des échanges entre la Grande Bretagne et sa province d’Irlande du Nord, le texte revient sur l’abolition de la frontière commerciale entre l’Irlande et l’Ulster britannique, garde-fou de l’accord de paix de 1998 sur l’île.

Ainsi est ouverte la possibilité de contrevenir à l’accord sur le ‘’divorce’’ avec l’UE, négocié en 2019 et ratifié par les deux parties. Très déstabilisante, cette entorse juridique provoque la colère et plus encore le doute à Bruxelles. Comment, sans l’indispensable confiance et après huit cycles de négociation improductifs, penser encore parvenir à un accord de libre-échange, courant octobre, et éviter un « no deal » économiquement désastreux au 1er janvier ? L’Union brandit l’hypothèse d’une action en justice, faute de retrait du texte illégal. Mais cela n’y changerait pas grand-chose.

Le plus déroutant est que le gouvernement Johnson soit totalement passif sur le fond et préfère dévier l’attention sur de fumeuses polémiques : l’UE se voit ainsi accusée de préparer le blocus alimentaire de Irlande du Nord, un acte de guerre ! Pourquoi une telle outrance, qui dépasse le mélodrame habituel de fin de négociation ? La question de fond est, en fait, celle des disciplines à respecter pour bénéficier d’un accès total au marché intérieur des ‘’27’’, question que Londres ne veut pas négocier. D’où cette affirmation fantasque que l’Ulster serait confrontée à un soi-disant problème alimentaire (que les intéressés se gardent d’évoquer). Est-ce bien utile au rapport de forces prôné par les Conservateurs, de défigurer ainsi l’Europe en ennemie ? On semble convaincu à Londres, que les Européens reculeront devant la perspective d’un ‘’No deal’’, à cause de leurs intérêts économiques au Royaume-Uni. Erreur. De son côté, Bruxelles garde le silence pour ne pas rajouter de l’huile sur le feu.

De fait, le vent de fureur populiste – certains disent ‘’trumpiste’’ – que le gouvernement Johnson souffle sur l’Europe a jusqu’ici contribué à son échec quasiment en toutes choses.

Aquarius, Aquarius, l’Europe s’en va à l’eau…

Opération solidarité européenne et envers les exilés, le 27 juin

C’est l’Ourson qui vous grogne à l’oreille : le titulaire du blog n’ayant pas les nerfs à gueuler un grand coup, je m’empare du clavier pour ce faire. Vous avez entendu nos dirigeants, ces derniers jours ? Ils annoncent fièrement repousser le flux des exilés des pays en crise, telles de vulgaires algues vertes vénéneuses, néanmoins « assez bonnes » pour être épandues sur les plages de nos voisins du Sud. Bonjour l’amitié euro-méditerranéenne ! On va mieux intégrer ceux qui obtiennent l’asile mais expulser systématiquement les autres (M. Lapin-aux-yeux-bleus dixit, en Bretagne, le 22 juin). On commencera par incarcérer tout le monde, enfants compris.

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Accord UE-Turquie : les droits fondamentaux en danger

Réfugiés arrivant à Lesbos

Résumé d’article, d’après l’analyse de Mathilde Mase, responsable des programmes Asile, Courrier de l’ACAT 339, juillet-août 2016.

Le 18 mars 2016, l’UE a conclu un accord avec la Turquie, au motif de protéger ses frontières contre les migrations irrégulières. Ce faisant, elle porte gravement atteinte à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile, mais aussi aux droits de l’Homme dont bénéficient les migrants, comme toute personne (cf., à ce propos l’article L’Europe achète le Grand Turc et ferme la Sublime Porte …. )

– Dès son adoption, l’accord a alarmé l’ONU (Haut Commissariat aux droits de l’Homme), le Conseil de l’Europe (Commissaire aux droits de l’Homme) et les ONG actives sur ce secteur.

La Turquie étant, aux termes de l’accord, considéré comme un  »pays sûr » (NDLR : même si Ankara participe à trois guerres dont deux intérieures ; n’applique pas le droit international de l’asile et de la protection pour les citoyens des pays actuellement en conflit et a suspendu les libertés fondamentales pour ses citoyens, depuis la tentative avortée de coup d’Etat du 15 juillet 2016), tout exilé entrant clandestinement en Grèce, depuis la Turquie, est passible d’un refoulement manu militari vers ce dernier pays. Les demandes d’asile ne sont examinées – de façon expéditive – que si le demandeur serait manifestement mis en danger par un renvoi en Turquie. En violation des obligations actées par la Convention de Genève de 1951 et intégrées dans le socle du droit européen, pour tout clandestin renvoyé, sera admis en Europe un Syrien réfugié dans les  »camps officiels » du gouvernement turc (300.000 sur un total de trois millions, en Turquie).

Dans la limite de 72.000 places au total, les transferts de Syriens effectués via les procédures européennes de réinstallation doivent donner lieu à répartition parmi les pays-membres. On sait ce qu’il en est. En revanche, les demandeurs d’asile d’autres nationalités, même fuyant un conflit, ne peuvent même pas espérer, pour eux, cette forme de  »repêchage ».

– A la veille des vacances d’été environ 400 personnes avaient été renvoyées en Turquie (sans doute 500 à 600, à la rentrés) tandis que seulement deux centaines de Syriens ont été accueillies dans l’UE. On est donc très loin de la mise en œuvre de ces dispositions sur une grande échelle à laquelle on aurait pu s’attendre ! En fait, après seulement deux semaines, le dispositif installé par l’UE aux frontières maritimes de la Grèce a suspendu ses opérations de refoulement, trop ouvertement illégales et discriminatoires, mais aussi gérées sans méthode par un groupe de fonctionnaires européens de formations et de cultures disparates. 140.000 exilés  »non-syriens » restent bloqués en Turquie, sans issue. Les nombreux échos perçus en Europe occidentale quant aux mauvais traitements infligés à certains des fugitifs arrivant en Turquie de même que les cas de  »retours volontaires forcés » vers la Syrie ou de refoulement à la frontière syro-turque de civils syriens fuyant les combats rendaient franchement intenable le postulat d’une  »Turquie, pays sûr ».

– Surtout, le but de l’accord euro-turc était d’inhiber l’afflux humain et non pas d’ouvrir aux demandeurs d’asile une voie d’arrivée légale et en bon ordre vers l’Europe. On a ainsi constaté que la  »dissuasion par l’arbitraire » fonctionne bien : 80 % du flot entrant a déserté les îles grecques de la Mer Egée … pour un accomplir un long détour par la Libye, la Tunisie, l’Italie, impliquant, au passage, des records historiques de noyade en Méditerranée. Ceux qui s’entêtent à tenter la voie des Balkans, n’ont d’autre choix que de se faire recenser et de demander l’asile à la Grèce. Généralement placés en rétention, ils n’auront aucune chance de rejoindre leur destination finale, en Allemagne, en Suède, au Royaume Uni, voire (beaucoup moins nombreux) chez nous.

L’Europe: naufrage géopolitique ou canot de sauvetage (percé) ?

Europe on chavire
Dans Le Monde du 26 janvier, Arnaud Leparmentier se présente comme un « adhérent aux plans B du projet européen ». Non pas, par joie mais parce que le plan A a bel et bien chaviré. Fini, en effet, le temps où le vieux Continent paraissait promis à une inéluctable intégration, fédéraliste, confédéraliste ou hybride. « Aujourd’hui, le statu quo est destructeur », comme nous l’indique l’accumulation des spasmes sans remèdes connus : crise de l’euro, des migrants et de l’asile, du terrorisme et des diplomaties, montée des populismes. Pour le commentateur, l’U.E. est « prise dans un irrésistible processus de faiblesse et de lâcheté, incapable de choisir, de dire oui ou non à l’euro, oui ou non à Schengen, oui ou non à la Turquie et de s’en donner les moyens. Il faut que l’Europe choisisse, qu’elle avance ou qu’elle recule. Cela fait plusieurs plans B ».

– Entre un fédéralisme dont les peuples ne veulent plus, la chimère d’une « grande révolution » de gauche qui nierait la réalité irréversible de la mondialisation libérale (et financière) ou encore la dégénérescence naturelle (à moins que ce soit le plan A en vigueur), les plans B ne manquent pas ! Une variante de cette dernière option serait une « Europe allégée du Royaume Uni », la belle affaire !

– Faute de jamais revenir, par un coup de baguette magique, à la grandiose vision géopolitique des pères-fondateurs, une sorte de planche de salut pragmatique émerge de la réflexion que fait Hubert Védrine. L’ancien ministre des Affaires étrangères estime que la priorité va à renouer le dialogue avec les peuples européens. Il appelle à « libérer le projet européen du dogme européiste,… qui a perdu la bataille et le pouvoir depuis vingt ans ». En préalable, les dirigeants devraient cesser de réclamer « plus d’Europe », d’une façon générale, et abandonner tout langage sermonneur.
Quelques orientations simples pourraient en émerger : pause dans l’élargissement; concentration de l’Europe sur la recherche, l’innovation et parachèvement de deux projets politiques seulement: harmonisation budgétaire et fiscale dans la zone euro et réelle gestion des frontières extérieures de Schengen. Védrine y ajoute l’idée d’une Europe rehaussée en « puissance pacifique, pacificatrice et respectée », en conférant une personnalité et des compétences stratégique au Service Européen d’action Extérieure, jusqu’alors plutôt complexé et fantomatique.

Conclusion du commentateur : « Si l’Europe épurée du XXIe siècle, c’est l’Euro, Schengen refondé et une puissance mondiale, on signe des deux mains pour ce plan B ». La réponse est bonne mais nous posera-t-on jamais la question ?

L’Europe, miroir aux alouettes : protéger les frontières ou les migrants ?

Frontex - 0Couverture
Chronique partisane (parre-tisane?) n° 6
En matière d’immigration, la politique de l’Union Européenne (U.E.) reflète largement la volonté de ses Etats-membres. Les préoccupations humanitaires s’y mêlent à des objectifs prioritaires – moins nobles – tenant à la surveillance de l’accès au Vieux Continent et au refoulement des flux migratoires entrants. Plus l’Europe se ferme aux étrangers en quête de refuge, plus ceux-ci courent de risques sur leur vie, persuadés qu’ils sont de n’avoir pas d’autre choix.

– Les Directives européennes sur l’asile (dites de Dublin) organisent le  »chacun pour soi ».
Le principe mis en œuvre est celui de l’étude d’une demande individuelle d’asile par un seul pays de Schengen, le premier où un réfugié a été enregistré. On comprend l’intérêt d’éviter des demandes d’asile multiples faites par la même personne dans différents pays de l’espace Schengen. Ce faisant, le choix d’une destination d’asile devient, sinon impossible, dicté par les aléas de la géographie. Pour, ne pas être refoulés du premier pays européen qu’ils atteignent, les demandeurs vont devoir laisser prendre leurs empreintes (programme communautaire EURODAC) et se faire enregistrer. Aux termes du Règlement de Dublin, le pays qui effectue ces opérations sera le seul responsable de leur demande d’asile. Ceci, même si le candidat-réfugié se trouve alors dans un simple couloir de transit vers un autre pays où il est attendu. La France, qui pourra, par exemple, être la destination choisie, sera justifiée en vertu de Dublin I, II & III de refouler cette personne. Cela se fera rapidement, si le pays de premier transit accepte de reprendre le demandeur et, dans la négative, avant le 7ème mois de sa présence en France.

– Le règlement européen prévoit, en principe, qu’on tienne compte des risques qui seront encourus par les personnes renvoyées dans le pays de leur 1er transit. Ainsi, la Grèce, la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, officiellement soumis au règlement de Dublin, ont la réputation de ne rien accorder aux demandeurs d’asile transitant sur leur territoire. Elles ne respectent guère le principe juridique absolu de non-refoulement d’un demandeur d’asile aux frontières. En France, les personnes ‘’dublinées’’ ont la possibilité de déposer un recours en tribunal administratif pour bénéficier d’une procédure d’examen de leur dossier. Mais, ce recours n’est pas suspensif de la décision de renvoi. Avant-même l’ordonnance du juge administratif, l’administration expulse généralement ces demandeurs de protection, sans autre forme de procès. De sorte que si l’on réalisait, ultérieurement, qu’une telle la décision de renvoi était illégale, ce serait trop tard, de toute façon.

– L’agence de surveillance des frontières, FRONTEX
L’agence Frontex a été créée et installée à Varsovie en 2005, sur la base d’un mandat ambigu : assurer le respect des frontières de Schengen contre tout franchissement illégal; ne pas laisser non plus les migrants se noyer sous nos yeux et se conformer au droit maritime.

– La catastrophe maritime de Lampedusa en octobre 2013, dans laquelle 384 migrants ont péri dans les eaux méditerranéennes, a montré toute l’ambigüité d’une gestion policière des eaux frontalières de l’Europe. De quoi parle-t-on : d’intervenir pour sauver de la noyade les naufragés abandonnés à quelques brasses de nos côtes ou plutôt de dissuader le passage et les passeurs, et pour cela de renvoyer les migrants sur les côtes de l’Afrique, là où pourra ne plus voir ces embarcations délabrées et leur cargaison humaine ? Peut-on vraiment refouler vers la Libye actuelle ?

– Dans les semaines suivantes, l’Italie a lancé ’’Mare Nostrum’’, une opération de sauvetage confiée à sa marine militaire. En un an, celle-ci a permis de secourir plus de 150.000 personnes (plus de 400 naufragés par jour) et d’arrêter 351 passeurs. Elle n’a toutefois pas empêché d’autres naufrages plus loin en pleine mer : 3.300 migrants ont trouvé la mort, en Méditerranée durant l’année, plus de 4.000, en 2014. Sur ce triste bilan, ‘’Mare Nostrum’’ s’est conclue le 31 octobre pour une dépense globale de 114 millions € sur un an. Dès le 1er novembre 2014, une nouvelle opération navale aux frontières de l’Europe a pris le relais. Baptisée ‘’Triton’’, elle a été confiée à Frontex, qui coordonne les moyens mobilisés par huit pays (France, Espagne, Finlande, Portugal, Islande, Pays-Bas, Lituanie et Malte). Ceux-ci mettent à disposition, à tour de rôle, du matériel technique et des effectifs humains. Cet ensemble de moyens est jugé insuffisant.
* Concrètement, Triton ne pourra compter, au maximum, que sur le tiers du potentiel que déployait ‘’Mare Nostrum’’ : 21 navires, quatre avions, un hélicoptère et 65 agents détachés pour des durées variables, le tout représentant un budget mensuel de 2,9 Mns € (contre 9 Mns concernant l’opération précédente). L’opération se cantonnera à des patrouilles, à proximité des côtes italiennes (Sud de la Sicile, îles Pélages et Calabre). Au-delà de ce théâtre d’opérations, ce qui se passera pourra être ignoré.

– Certaines frontières de l’Europe sont les défenses d’une forteresse hostile
Entre l’Espagne et le Maroc (enclaves de Ceuta et Melilla, dans le territoire chérifien), entre la Grèce et la Turquie (île de Lesbos), entre la Hongrie et la Serbie se déroulent des quasi-guerres migratoires. On y dresse des murs – en partie financés par l’U.E – sur des centaines de kms. L’incarcération systématique des sans-papier constitue une invitation aux mauvais traitements. Il est, ainsi, impossible de demander asile à la Hongrie, parce que son gouvernement a suspendu toute procédure en la matière. Le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) y dénonce l’incarcération systématique et l’usage de psychotropes pour soumettre les fugitifs à la volonté de leurs geôliers.

– A peine un réfugié sur trois trouve un abri en Turquie, pays, il est vrai, saturé par la présence de plus d’un million de Syriens. La Grèce, la Bulgarie et même l’Espagne ne se conforment plus à l’obligation d’un examen individuel, au cas par cas, de la situation de chaque arrivant. Elles les renvoient à leur point de départ, sans les interroger, ce qui est illicite au regard de la Convention de Genève de 1951. L’Italie, dépassée par le flux et ne voulant plus assumer la part majeure du fardeau, laisse assez libéralement transiter à travers ses frontières septentrionales (Menton). Elle ne respecte plus les procédures de Dublin ni celles du HCR. Le Royaume Uni, non-soumis à la mobilité dans l’espace Schengen, a installé à Calais son avant-poste migratoire pour bloquer tout accès, créant ainsi l’engorgement chez nous. Quant à la France, elle s’est engagée magnanimement à accueillir en liaison avec le HCR 500 Syriens par an (chrétiens et à condition qu’ils y aient déjà de la famille), sur les 10 millions de déplacés victimisés dans ce pays. Une telle pingrerie laisse pantois !

– De fait, sur la rive Nord de la Méditerranée, tout le monde triche avec le droit et avec les drames de ses voisins du Sud. Que ce soit pour endiguer l’afflux, le détourner ou pour transmettre la ‘’patate chaude’’ au voisin. Ces divers accrocs à la solidarité européenne et au droit international laissent percevoir que l’harmonisation des politiques souhaitée par Bruxelles n’ira pas bien loin. La Commission et le Conseil de l’U.E, en gros, font montre de compréhension ‘’sécuritaire’’, pour autant que de nouveaux drames de type Lampedusa soient évités. Le Parlement européen, lui, se tait. Avec le Traité de Lisbonne, l’UE avait adopté une Charte des droits fondamentaux valant pour tous. Elle a coulé. Existe-il encore quelques valeurs humanistes sur notre vieux continent ?


Pour aller plus loin : les textes

* Convention de Dublin du Conseil du 15/06/1990 I, (II 2003) & (III 26/06/2013), l’outil le plus mal appliqué.
* Directive 2013/32 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 relative aux procédures communes pour l’octroi et le retrait de l protection internationale (refonte)
* Directive 2013/32 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 établissant les normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale
* Directive 2011/95 sur les conditions à remplir pour bénéficier de la protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés bénéficiant de la protection subsidiaire et au contenu de celle-ci.

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