* 7 avril – A la pêche, dans la Charte, d’une vraie communauté mondiale

S’adressant au Conseil de sécurité des Nations unies le 5 avril, par liaison vidéo, Volodymyr Zelensky a exhorté l’Organisation mondiale à agir immédiatement contre la Russie, au regard de ses crimes de guerre en Ukraine : ‘’la structure même du Conseil, qui confère un droit de veto aux cinq puissances victorieuses de 1945, génère une inaction chronique. Et le fait que l’un des membres du P5, impliqué dans une invasion militaire, sans précédent, puisse bloquer toute résolution ou déclaration juridiquement contraignante suscite une indignation particulière’’. L’impunité est condamnable : dont acte.

Exclure la Russie du Conseil de sécurité des Nations Unies est-ce, par principe, « inimaginable », ou simplement audacieux sur le plan juridique ? Précisons qu’on ne parle pas là d’une exclusion définitive, mais d’une suspension, le temps que Moscou se remette en conformité avec les principes fondamentaux de la Charte de San Francisco. En consultant l’article 27 chapitre V de celle-ci, l’on constate qu’une partie à un différend  »doit » s’abstenir de voter. Il s’agit d’une ‘’abstention volontaire’’, certes, mais, au moins au sein de l’Assemblée générale de l’ONU, que ne cherche-t-on pas à la rendre réglementaire et contraignante ? La France, bien que ‘’privilégiée’’  puisqu’appartenant au groupe des ‘’Cinq permanents’,’ en a accepté l’idée. l’Assemblée générale était parvenue à contourner le veto russe à l’orée de la guerre de Corée. Une avancée est possible. D’autres écoles de pensée diront qu’aucun Etat s’étant livré à, même, un génocide n’a jamais subi une telle sanction. De plus, les tribunaux pénaux internationaux restent impuissants à se saisir de crimes contre l’humanité sans qu’intervienne un vote de validation au sein du Conseil … vote que Moscou (ou une autre puissance permanente) peut aisément bloquer. Du point de vue de ce blog, il n’est peut-être pas trop tard pour changer les choses, si, ce que l’on nommait jadis la ‘’communauté internationale’’ voulait reprendre un peu de chair et de couleur.

Volodymyr Zelensky n’a pas tort de reprocher aux Nations Unies de ne plus remplir l’objectif qu’on leur avait fixé, lors de leur création en 1945. Egalement, lorsqu’il les exhorte à se réformer et à faire justice. A vrai dire, cela fait plus de quarante ans que la question de la réforme est à l’ordre du jour … et qu’elle bloque désespérément. Aucune des puissances permanentes n’accepte de renoncer à son privilège de veto ni d’élargir ce privilège à de nouveaux membres. Il s’avère impossible, même, d’élargir à de nouvelles puissances le cercle des quinze Etats représentés au Conseil de Sécurité, afin d’assurer une représentation reflétant mieux la composition plurielle du monde actuel.

Pour autant, on ne partagera pas sa conclusion pleine de dépit. Selon lui, faute pour Mme ONU de changer resterait toujours l’option ‘’ de se dissoudre carrément.’’ Le beau remède, qui tue le patient en même temps qu’il le guérit…

* 30 mars – Lueur timide et vacillante ?

Moscou vient d’évoquer une réduction de son offensive militaire en direction de Kiev et de Tchernigui.  Selon la partie russe, les pourparlers d’Istanbul entre les deux capitales sur la neutralité et le statut non-nucléaire de l’Ukraine entreraient dans  »une dimension pratique’’. Toute décision devra encore remonter à l’autocrate du Kremlin pour être validée, mais une rencontre Zelensky-Poutine serait peut-être envisageable par celui-ci.

De deux choses l’une : soit la Russie continue à mentir et elle poursuivra sa besogne par la ruse, soit elle va vraiment mal. Il ne faudrait pas moins qu’un bogue majeur dans sa machine de guerre et d’énormes contretemps dans l’exécution de ses buts de guerre pour qu’elle vire de bord aussi radicalement. Les chiffres qui circulent – et qui restent invérifiables – parlent de pertes humaines au combat en un mois égales ou supérieures à celles induites par dix années de guerre en Afghanistan (1979-89). L’hypothèse d’un échec militaire, la certitude d’une Bérézina politique, le début d’une grave récession économique, toutes ces évolutions contraires au plan grand-russe de V. Poutine accréditent plutôt l’hypothèse que celui-ci tenterait de sauver les meubles. Avant tout pour se protéger d’un retour de traumatisme du peuple russe, qui pourrait emporter son pouvoir. ‘’Cet homme ne peut pas rester au pouvoir’’, le verdict carré de Joe Biden à Varsovie, loin d’annoncer un putsch qui serait téléguidé par l’Amérique traduit un constat lucide de ce à quoi s’est exposé celui qui a été si loin, trop loin, pour être pardonné. Si, supposons-le, il se résignait désormais à limiter la casse, l’Occident pourrait cheminer avec lui, en tout cas le temps le temps qu’il faudrait pour épargner à l’Ukraine son anéantissement. Mais pas plus.

Staline  a bien survécu à l’attaque de l’Armée rouge contre la Finlande (un précédent qui évoque de façon frappante le scénario  ukrainien actuel), à l’asservissement des Etats baltes, à la partition de la Pologne de concert avec le IIIème Reich allemand. Chef de guerre implacable face à l’agression hitlérienne, il s’est mû en un allié utile des démocraties, du moins pour un certain temps. Poutine, dont les péchés sont assez semblables, pourrait en tirer quelque inspiration pragmatique pour son compte, avant son jugement dernier. L’Histoire dira. La messe, elle, n’a pas encore été dite.

De son côté, en échange de sa neutralité, l’Ukraine réclame légitimement un accord international de garanties, ‘’analogue au chapitre cinq de la Charte de l’Otan’’, pour assurer sa sécurité et la protéger de son belliqueux voisin. Les Etats-Unis, la Chine, la France et le Royaume-Uni – en tant que membres du Conseil de sécurité de l’ONU – mais aussi la Turquie, l’Allemagne, la Pologne et Israël en seraient signataires et garants. Ces pays s’engageraient à intervenir militairement, en cas d’atteinte à son intégrité ou à ses institutions. Pour hâter la fin des hostilités, Kiev serait même prête à concéder que la Crimée et le Donbass sous contrôle russe restent  temporairement exclus de l’accord. Ce serait prendre le risque très réel d’une reprise des combats au terme de la trêve initiale. Mais, dans la situation terrible où se trouve son peuple, l’urgence humanitaire du président Zelensky est compréhensible et respectable.

A moins, évidemment, que la lueur tremblotante ne soit vite soufflée des déflagrations d’obus …

* 29 mars – Etats d’âme et fatigue de guerre

Est-ce l’effet d’une vie sur les nerfs, sans sommeil et sans répit ou de celle de son armée, la volonté de limiter un désastre humanitaire ou encore la réalisation des limites à l’engagement de l’Occident de le soutenir ? En tous cas, le président ukrainien donne par moment l’impression d’offrir des gages à l’Ennemi pour faire taire les armes. A l’occasion d’un nouveau round de négociations à Istanbul ce lundi 28 mars, Volodymyr Zelensky s’est ainsi déclaré prêt à faire ‘’quelques concessions’’ sur les exigences du Kremlin, en échange d’un cessez-le-feu. Bien sûr, la guerre psychologique étant ce qu’elle est, il opte – non sans raison – pour le rôle du gentil, un peu abandonné. Mais sa constance dans ce registre convainc.

– Le contexte est suffisamment compliqué pour qu’on s’y perde un peu : ‘’après avoir échoué à prendre Kiev et à renverser le gouvernement’’, analyse son chef du renseignement militaire, ‘’Moscou pourrait imposer une ligne de séparation entre les régions occupées et non-occupées‘’… une tentative d’instaurer une partition de l’Ukraine à la coréenne ou du type ‘’France 1940’’. Ceci entrainerait la perspective d’un conflit long, avec des phases de flux et de reflux et sans doute une entrée en guerre de l’Alliance atlantique. On finira par en arriver là. Est-ce là son message ?

– S’agissant de la candidature de son pays à l’Otan, il confie à la chaîne ABC – comme pour donner des gages à Moscou – avoir tempéré sa position et compris que l’Otan n’était pas prête à accepter l’Ukraine. ‘’ Nous avons besoin de plus d’armement. Nous devons non seulement protéger l’Ukraine mais aussi les autres pays d’Europe de l’Est, sous la menace d’une invasion russe’’. A plusieurs reprises, il a jugé insuffisante l’aide qu’il reçoit de la part des Occidentaux. L’Ukraine a demandé1 % des avions et des chars de l’Otan, expliquait-il hier. ‘’Et cela fait déjà 31 jours que nous attendons’’ !

– Parlant à plusieurs médias russes, plus ou moins indépendants, le président ukrainien s’est affirmé ouvert à deux des objectifs de guerre formulés par Moscou : une forme ad hoc de neutralité et la dénucléarisation de son pays. ‘’Nous sommes prêts à l’accepter après l’avoir étudié en profondeur’’, leur a indiqué Volodymyr Zelensky. La dénucléarisation est en fait acquise depuis les memoranda de Budapest conclus avec la Russie, en 1994. C’est plutôt de la ‘’re-nucléarisationn’’ de la Biélorussie qu’il conviendrait de traiter actuellement. La neutralité est un terrain très glissant. Zelensky a posé plusieurs conditions de bon sens. Ce statut neutre serait conditionné à un retrait des troupes russes des territoires qu’elles occupent. Qui en assurerait le contrôle ? De plus, si cela aboutissait, l’issue des négociations devrait être soumise à un référendum. Sauf à monter une mascarade électorale sous la pression des fusils russes, il y a peu de chances que les Ukrainiens acceptent de désarmer leur patrie et de la priver d’allié extérieur.

– Sur la Crimée, annexée en 2014, le président ukrainien assure qu’il est disposé à ‘’se prononcer sur certaines formes de compromis ‘’. Abordant la question des délais de temps, il enchaine : ‘’l’arrêt de la guerre, maintenant, c’est ça la question’’. Comment le contrer sur ce point ?

– Il y a trois jours, le commandement militaire russe a annoncé vouloir  désormais concentrer le gros de ses efforts sur l’objectif principal : la ‘’libération’’ du Donbass. Sur le plan stratégique, cela ne présage nullement un désengagement du quart du territoire ukrainien envahi par ses chars. On pourrait imaginer qu’au mieux les prises effectuées au Nord et au Sud serviraient de monnaie d’échange… ou même pas. Côté russe, on en est à préparer l’annexion des deux oblasts orientaux. Le chef séparatiste de Lougansk appelle ainsi à ce que cette entité (dont Moscou a reconnu l’indépendance) ‘’rejoigne’’ la Fédération de Russie, ‘’dans un avenir proche’’. Là encore, le président ukrainien ne paraît pas totalement fermé à un scénario d’accommodement. ‘’Nous devons tout faire pour que le Donbass et la Crimée nous reviennent’’, mais, dans une interview à ABC News, il s’est également dit ouvert à un compromis  quant au statut des territoires séparatistes. Selon lui, il faudrait revenir là où tout a commencé, et de là, essayer de résoudre la question du Donbass. ‘’Nous comprenons qu’il est impossible de libérer complètement le territoire, de forcer la Russie. Cela mènerait à la troisième guerre mondiale, je le comprends parfaitement et je m’en rends compte’’.

– Il a réitéré plusieurs fois sa demande d’une rencontre avec Vladimir Poutine. Ce serait, selon lui, le meilleur moyen de faire avancer les négociations. Début mars, il appelait le président russe à ‘’discuter, entamer un dialogue, au lieu de vivre dans sa bulle’’. A présent : ‘’qu’il sorte de là où il est et vienne me rencontrer’’. Moscou le déteste mais a aussi peur de lui. Il peut toujours courir pour parler les yeux dans les yeux avec son agresseur. Peut-être que ça aussi lui cause un état d’âme.

23 mars – Paix injuste

L’armistice du 22 juin 1940, signé en forêt de Compiègne entre le Troisième Reich allemand, représenté par le général Keitel, et le dernier Gouvernement de la Troisième République, représenté par le Général Huntziger, avait suspendu les hostilités ouvertes par la déclaration de guerre de la France envers l’Allemagne du 3 septembre 1939. Bien, bien… Il mettait surtout un terme prématuré à la bataille de France, déclenchée le 10 mai 1940 par une agression de l’Allemagne nazie, marquée par la fuite de l’armée anglaise et son rembarquement à Dunkerque puis par la chute de Paris, déclarée ville ouverte le 14 juin. Etait-ce une négociation diplomatique dans les règles ou, plus simplement, une capitulation devant la force, avec la dose de lâcheté que cela comporte ? Le président ukrainien, Vlodymyr Zelensky devrait-il en faire son modèle pour sortir des hostilités armées avec la Russie et  »adopter la voie d’une solution politique à la crise » ?

En tant qu’ex-diplomate enfin libre, je ne peux que partager une préférence pour le règlement politique des conflits, dont on espère parfois = naïvement =, qu’il ouvrira la voie à un traitement humanitaire des souffrances infligées. Mais, dans le cas qui nous préoccupe, je sais que les plénipotentiaires du Maître du Kremlin n’ont comme ceux du Maître de Berlin en 1940 qu’une seule obsession : casser le pays envahi et si possible sa population, au coût le plus bas possible pour l’Agresseur. Les protocoles mis à la signature des diplomates vont juste permettre de finir le travail que les chars n’auront pas encore terminé. La prise en compte du sort des civils et des prisonniers sera juste un tissus de mensonges bien vite foulé aux pieds. La leçon est hyper-simple : L’Agresseur veut imposer une paix injuste, une soumission au verdict des armes, une forme de suicide national et, cela, avec les formes sophistiquées (et trompeuses) de la diplomatie d’Etat à Etat. La forme (faussement civilisée) et le fond (sauvage).

En fait, aucune paix ne dure sans justice et sans humanité. C’est pour cette raison que les démocraties de taille humaine ne se font pas la guerre. Et pour que la Justice et la Démocratie survivent, pour que le monde reste vivable (on pense là aussi au climat), la résistance à l’Oppresseur est la seule voie qui tienne la route et qui prépare un  »monde d’après » digne du genre humain.

Le président Zelensky ajoute à ces fondamentaux un talent prononcé pour la communication. Il faut bien constater qu’il parvient à galvaniser son peuple par ses messages, simples et forts. Ses visio-conférences avec les nations qui, de par le monde, soutiennent sa cause sont une chambre d’écho formidable auprès des populations étrangères. On est dans la guerre ou juste à côté mais le moral tient bon, ce qui n’est pas le cas des soldats russes désorientés et mal nourris. La guerre psychologique est déjà gagnée et elle arme les dirigeants ukrainiens dans la partie de bras de fer diplomatique qu’ils ont acceptée d’engager avec les chefs du Kremlin. On ne peut pas dire que le maréchal Pétain, naïvement perçu en sauveur par les Français à l’heure de l’armistice, ait galvanisé quoi que ce soit ou vraiment qui que ce soit. Kiev c’est autre chose que Vichy !

C’est sans doute du fait de ce soutien énorme à sa cause que Zelensky a pu s’aventurer dans le jeu dangereux et subtil des concessions proposées à l’Ennemi, autour de la table des négociations. Bien sûr, ces éléments d’une solution politique ne seraient actés qu’en retour d’une trêve des armes et d’un retrait des forces russes (et syriennes). Mais reconnaître que l’heure n’est pas à une intégration de son pays dans l’OTAN ni même à une rapide insertion au sein de l’Union Européenne constitue une concession énorme aux buts de guerre russes. Proposer de négocier un statut  »à part » pour la Crimée et les deux oblasts séparatistes du Donbass frise même la glissade vers une capitulation partielle totalement, prescrite par la constitution du Pays et par ses engagements internationaux. Alors, va-t-on vers une partition entre zones occupée et non-occupée comme dans la France de 1940 ?

Il nous reviendrait de fournir à l’Ukraine des garanties bilatérales de sécurité et de défense suffisamment costaudes et étayées par des forces (européennes, hors OTAN), elles-mêmes stationnées sur son territoire et imbriquées dans son dispositif de défense. On ne doit rien concéder sur le plan territorial qui ne soit contrôlé étroitement par l’OSCE sur le terrain et validé par les Nations Unies. Il est également exclu de modifier quoi que ce soit, au niveau d’une conférence de la Paix, sans une ratification préalable, claire et majoritaire par le peuple ukrainien, dans le respect de sa démocratie. Si ces trois garanties sont réunies, la négociation politique ne se limitera pas à un trompe-l’œil pour parvenir à une paix injuste. Mais ce ne sera pas gagné d’avance non plus.