Quelque 25 millions d’Irakiens ont été appelés aux urnes. Peu de peuples, au Moyen Orient, ont vécu autant de guerre et de basculements politiques depuis la fin des années 1960 et le long règne de Saddam Hussein. Au point qu’aux yeux de son peuple, l’avenir reste un point d’interrogation, un flou sur la scène arabe. Les élections anticipées devaient calmer la révolte de la jeunesse irakienne catalysée, en octobre 2019 par la corruption générale des élites, une économie en panne, et une société laissée à l’abandon dans ce pays producteur majeur de pétrole. Réprimé dans le sang – l’estimation est de 600 morts et de 30 000 blessés –, le mouvement a été étouffé. Ses militants ont été victimes d’enlèvements et d’assassinats sous les coups de factions armées inféodées à l’Iran, le Hachd al-Chaabi en particulier. Ayant commis ces forfaits, cette deuxième force au sein du Parlement sortant, essuie en retour un net recul électoral. Alliée à l’Iran, elle restera pourtant un pion décisif sur l’échiquier politique, à l’image du Hezbollah au Liban.
Le 11 octobre, le leader chiite – mais anti-iranien – Moqtada al-Sadr a proclamé victoire. Le courant de cet ancien chef d’une milice insurgée contre les forces d’occupation américaines devrait conserver son rang de première force au Parlement, avec plus de 70 sièges sur un total de 329. Par ailleurs, »l’État de droit » de l’ancien Premier ministre Nouri al-Malik, considéré comme très corrompu, recueille 37 sièges.
Ces législatives, étaient les cinquièmes depuis 2003 et le renversement de Saddam Hussein, par l’invasion armée américaine. La campagne a été dominée par de puissants appels au boycott, qui ont finalement motivé une abstention record. Les électeurs ont trainé les pieds, dégoûtés d’une classe politique qu’ils estiment indifférente à leurs maux quotidiens et le taux de participation officiel a fléchi à 41%.
Toutefois, l’absence d’une majorité claire au sein d’un parlement éclatés en une myriade de petites formations va contraindre les nouveaux élus à négocier des alliances. Les tractations pour faire émerger un nouveau Premier ministre -traditionnellement un chiite – et un gouvernement composite promettent d’être longues. Au-delà les frictions partisanes de rigueur, on peut s’attendre à ce que la scène politique reste polarisée par deux emprises extérieures contradictoires : la présence des troupes américaines sur le sol irakien et celle de paramilitaires iraniens, instrument ‘’d’influence ‘’ envahissant de la République islamiste d’Iran voisine. La première »occupation » disparaitra avec leur retrait des instructeurs et des forces spéciales annoncé pour l’an prochain. Les Français disent, eux, vouloir rester.
L’Irak finira-t-il par produire un gouvernement consensuel, un jeu politique sans milice armée et sans assassinat, une formule de relative stabilité intérieure ? Peu de pays de la Région ont su donner leur place aux générations montantes et aux petites classes moyennes. Il faudra laisser l’Irak se relever de l’intérieur. Sa situation ambivalente reste pour l’heure celle d’un quasi-vassal du turbulent régime iranien, en même temps qu’un allié obligé de l’Occident qui le voit en rempart contre la résurgence de l’Etat islamique. Difficile à concilier. Ne soyons donc pas trop exigeants !