Croiriez-vous que les plus puissantes entreprises du globe se convertissent à l’impôt, sous l’effet de la grâce divine ? Je veux dire payer leur dû à la société, là où leurs profits sont réalisés et non là où on les attire en les exonérant. Et bien, vos journaux, eux, y croient ! Ils jubilent en décrivant les ministres des finances du G7, réunis à Londres, se mettre d’accord sur un taux d’imposition minimal pour les multinationales. Ce seuil »doux » sur les sociétés serait de 15 %’’. Rien d’inquiétant pour Oncle Picsou : c’est la norme d’un paradis fiscal. On comprend que Wall Street et le CAC 40 ne sombrent pas dans une hystérie soudaine. Nos directeurs de conscience célèbrent pourtant un pas accompli dans le sens de la réforme ambitieuse de la fiscalité internationale engagée au sein de l’OCDE et qui stagnait depuis des lustres. La norme fiscale de 15%, tout en mansuétude, vise, en particulier, les grandes entreprises du numérique, souvent américaines, sans qu’il soit besoin de leur tordre le bras (mais qui en aurait la capacité ?). Celles-ci vont assurément rompre avec les pays où la fiscalité est de pur dumping. Converties en rédemption, vont-elles soumettre leurs monstrueux profits à l’impôt sévère ? Vont-elles remercier les gouvernements de leur conférer un rôle citoyen, au service de la communauté ? Le masochisme mène-t-il à la sainteté ?
Nos médias ne perdent pas de temps à y penser : c’est une belle ‘’avancée décisive’’, à l’horizon de la réunion du G20 en juillet, à Venise, où un accord ‘’plus concret’’ (on est donc dans l’abstraction) sera produit. Les ministres des Finances trouveront aussi une clé de répartition du magot entre eux. Une mafia ? Non. Alléluia ! Leurs milliards vont tomber sur nos têtes ! Ceci dit à leur décharge, on n‘est plus sous l’ère Trump. On prend donc du plaisir à entendre la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, annoncer la fin de la course vers le bas de la fiscalité des entreprises. On va ‘’ apporter de la justice pour la classe moyenne et les travailleurs, aux Etats-Unis et à travers le monde’’. Formidable ! Evaporée la belle arrogance dominatrice du big business américain et son total mépris de l’Etat (‘’big government’’) et de tout ce qui le compose ? Il y aurait eu miracle, dû au départ chaotique de l’homme aux cheveux orange, le héros de la Bourse américaine ? La question peut également se poser en Europe. Supputons plutôt des grandes manœuvres de résistance dans les prochains mois, derrière une façade de fausse complaisance envers la régulation mondiale. Facebook assure, ainsi, avec sa bonne dose d’hypocrisie usuelle, ‘’vouloir que la réforme fiscale internationale réussisse, même si cela pourrait signifier que Facebook paye (un peu) plus d’impôts et dans différents endroits’’ Hommage soit rendu à la sincérité vertueuse de M. Zuckerberg !
En France, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, se persuade qu’on est sur la bonne voie. Londres aurait été ‘’une étape historique dans le combat contre l’évasion et l’optimisation fiscale’’. Ah, tiens : l’optimisation, aussi ? C’est un point intéressant à relever, mais il est loin de correspondre à l’attente universelle de ses pairs de l’OCDE. La version française du consensus de Londres serait celle d’un ‘’tremplin de combat pour que le taux d’imposition minimal soit réhaussé autant que possible’’. Voilà qui est loin d’un compte rendu de victoire, c’est à peine un vœu pieux. Attac le confirme : ‘’le bénéfice attendu de cette mesure sera marginal. Un taux à 25 % aurait constitué une avancée réelle’’. Sur un tel objectif, il ‘y a aucun accord en vue. Alors, le sommet de Venise accouchera-t-il enfin d’une mauvaise nouvelle pour les paradis fiscaux ? GAFA, vas-tu capituler ? Zuckerberg, vas-tu rendre les sous que tu nous voles ? Arrêtons- là : vous avez perçu mes doutes.