Depuis peu président en titre des Emirats arabes unis (EAU) – il l’était auparavant, de facto -, Mohammed Ben Zayed a choisi la France pour son premier voyage officiel à l’étranger. On a mis pour lui les petits plats dans les grands, c’est normal. L’autoritaire et dépensier partenaire stratégique de Paris au Moyen Orient sort du lot comme le meilleur client qui soit de l’armement français, un acheteur émérite du Rafale et des chars Leclerc, courtisé par ses fournisseurs, en même temps qu’un gros investisseur dans l’industrie française : bref, un grand et fidèle ami de la République.
Son plus gros souci, l’Emir, s’appelle l’Iran, ce qui lui vaut un soutien stratégique massif de la France. Cet engagement est concrétisé – entre autres – par un stationnement régulier de forces sur une base d’Abou Dhabi. En fait, arrangement administratif après accord de stationnement, vente de missiles après conseils de défense, c’est une alliance militaire assez contraignante pour Paris qui a été forgée avec le richissime émirat du Golfe. Si Téhéran s’aventurait à le menacer, il ferait face à un dispositif français de défense. C’est cette réalité concrète qui fait dire à la diplomatie française que les EAU constituent ‘’ le pilier de son action dans le monde arabo-musulman’’. En fait, ‘’arabo’’ et sunnite, certes, mais beaucoup moins du côté ‘’musulman’’, sinon en option négative par rapport au monde chiite.
Mohammed Ben Zayed Al Nayhane s’est gentiment exposé à la notoriété internationale, chez un hôte amical et protecteur et comme à son habitude, il a souhaité que Paris réitère ses engagements. Il a aussi invité sa délégation à faire son marché en France et à acquérir quelques technologies utiles pour l’après-pétrole. Accessoirement, il a généreusement lâché quelques tankers de diesel à prix fort pour le pays d’Emmanuel Macron, qui le suppliait. En ces temps de pénuries annoncées, les visites officielles en France se font de moins en moins coûteuses pour l’invité.
Le contenu de la brève de lundi (‘’mon âme pour un baril’’) aurait pu être repris texto pour décrire cette visite d’émir en France. Il eût suffi de remplacer ‘’Etats unis’’ par ‘’France’’, ‘’Biden’’ par ‘’Macron’’, ‘’MBS’’ par ‘’MBZ’’ et ‘’résultat mitigé’’ par ‘’résultat mitigé’’. On sait trop bien que les deux ‘’MB’’ sont lourdement impliqués dans le conflit au Yémen, qui a ravagé ce petit pays pauvre, meurtri sa population et les laisse dans une situation inerte, mi-guerre mi-trêve, sans qu’aucune solution ne soit en vue. Les deux ‘’MB’’ sont aussi bien repérés par les ONG humanitaires comme des dictateurs répressifs. Rien d’original. En fait, ce serait idiot de mélanger frénésie de pétrole (chez nous) et mise au pas intégriste et brutale (chez eux). Notons d’ailleurs que, faute d’essence pour se déplacer, les associations de droits de l’Homme n’ont pas montré le bout du nez ou alors, si discrètement … On ne va quand même pas demander à Total ou à Emmanuel Macron de s’y coller à leur place : chacun son business !
Retenons plutôt qu’au Moyen Orient, la France se comporte en petite Amérique, sagement ancrée dans les pas de l’Oncle Sam. Bien sûr, il y a des écarts et des nuances. Le président français n’a jamais déclaré que les émirats étaient ‘’un paria’’ ; Il n’avait aucune connaissance préalable d’un journaliste émirati assassiné sur ordre du souverain. Aucun Congrès à Paris ne le force à conserver une ligne ‘’tout pétrole ou rien’’. De plus, la perception de l’Iran en tant qu’ennemi est nettement plus discrète à Paris, bien qu’elle se concrétise dans les faits. Enfin, les gilets jaunes qui ont pris d’assaut le Capitole de Washington, le 6 janvier, ne sont pas dénommés ‘’yellow vests’’, en anglais. Ces différences comptent.